Vieillir avec le VIH : une étude

Publié par jfl-seronet le 11.03.2023
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Droit et socialvieillir VIHvieillissement

Ces dernières années, les initiatives sur le vieillissement avec le VIH se sont multipliées. Le sujet intéresse la société civile et les soignants-es, peu les décideurs-ses. Un projet d’étude, « Vieillir avec le VIH », lancé par MoiPatient, entend changer la donne. Un récent séminaire lui était consacré. Seronet y était.

Les choses en grand

Le 2 février s’est tenu un séminaire sur un projet d’étude (déjà bien engagé) sur « Vieillir avec le VIH ». Un de plus serait-on tenté de dire, tant ces dernières années ont été marquées par une hausse significative de la réflexion sur les enjeux du vieillissement avec le VIH. Reste que le projet, mené par MoiPatient, une structure qui a trois ans d’existence, a sa pertinence, son intérêt et une grande ambition. MoiPatient est une plateforme collaborative montée par l’association de patients-es Renaloo. L’association faisait le constat que « l’expérience patient » était accaparée par le privé (les labos pharmaceutiques, par exemple) ou le secteur public (la recherche), mais jamais mise en avant par les personnes concernées elles-mêmes, comme si elles étaient dessaisies de leur propre expérience de patient-e atteint-e d’une maladie chronique au profit d’autres, cantonnées au rôle d’objet d’études au lieu d’en être les acteurs-rices. Au cours de ses trois années d’existence, avec le soutien de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France, MoiPatient a réalisé dix études (sur la migraine, les médicaments anti-rejets, les maladies hémorragiques rares, etc.). Cette plateforme — par et pour les patients-es — se compose d’adhérents-es qui ne peuvent être que des associations de patients-es. Elle conçoit des études, recueille des données de santé (dans le respect de la réglementation en vigueur, tout particulièrement celle relative à la protection des données personnelles et de santé). Elle possède un Conseil scientifique et a, entre autres, pour objectif la diffusion de la connaissance des savoirs liés à l’expérience de vie avec la maladie, tout particulièrement chronique.

Son dernier projet en cours porte sur « Vieillir avec le VIH ». L’idée est de définir les besoins et attentes des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) de plus de 50 ans et des professionnels-les (du champ médical et social…) qui les accompagnent. Pour ce faire, deux questionnaires ont été réalisés — le séminaire visait notamment à passer les questionnaires au crible en les discutant avec les personnes concernées et les parties prenantes du projet. Un questionnaire concerne les PVVIH de plus de 50 ans : 500 répondants-es sont espérés-es. L’autre s’adresse aux professionnels-les (santé, médico-social, etc.) : 150 répondants-es sont attendus-es. Si ces objectifs quantitatifs sont atteintes, cela ferait de cette étude l’une des plus ambitieuses et complètes en France sur le sujet.

Les défis de demain

Avant les ateliers d’échanges sur les deux questionnaires, MoiPatient avait choisi de planter le décor en ouvrant la réflexion lors d’une table ronde sur les « nouveaux défis du vieillissement avec le VIH ».

Soixante-trois ans dont trente-sept de vie avec le VIH, Jean-Luc Romero-Michel est intervenu sur un terrain personnel et militant, rappelant qu’à la découverte de sa séropositivité, il ne s’imaginait pas un instant pouvoir vieillir… tout simplement. Il a aussi rappelé que si l’espérance de vie des PVVIH s’aligne désormais sur celles des personnes séronégatives, ce sont les comorbidités, les conséquences physiques de certains traitements anciens, la qualité de vie, parfois amoindrie, qui peut en résulter, et le poids de la stigmatisation qui font toujours la différence. L’adjoint à la Maire de Paris a aussi placé son intervention à l’aune du politique en revenant sur les initiatives soutenues par la Ville de Paris, émanant le plus souvent d’associations comme GreyPride ou Les Audacieux et Audacieuses.

Pour Florence Thune, directrice générale de Sidaction, la réflexion à conduire sur les enjeux du vieillissement est celle de l’accompagnement ; le cœur de métier des associations. Un accompagnement qui doit s’appuyer sur une approche globale. Autrement dit, il faut réfléchir à un accompagnement global de l’avancée en âge, « donc au-delà de la question du traitement. Il faut aussi élargir le champ de la réflexion du strict cadre habituel (les PVVIH de 50 ans et plus) et réfléchir à l’accompagnement des enfants nés-es avec le VIH qui, elles-aussi, vieillissent avec. Sidaction mène depuis 2018 une réflexion sur l’avancée en âge en animant un groupe d’échanges sur ces enjeux, en confrontant les points de vue et les expériences.

Expériences

Le mot a fait tilt chez Thomas Sannié, président d’honneur de l’Association française des hémophiles et président de France Assos Santé Île-de-France. Pour lui, ce sont bien les savoirs expérientiels individuels qui produisent une expertise collective qui sert de base à un un ensemble de revendications permettant d’améliorer l’offre d’accompagnement. Il en veut pour exemple ce qui s’est passé avec le VIH et les avancées permises par cette lutte en « démocratie en santé avec ses pleins et ses déliés ». Pour lui, sans l’expérience de cette lutte, la défense des droits des malades ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui. Il reste donc important de s’appuyer sur les savoirs liés à l’expérience individuelle de la maladie (navigation dans les soins, ajustements aux soins, auto-soins, expérience de la maladie au quotidien, etc.) pour produire de l’expertise collective.

Dans cette vision, l’étude par questionnaire est un bon moyen de « capter la diversité des savoirs » et de les valoriser. Thomas Sannié déplore que les pouvoirs publics ne fassent « pas plus confiance à la population pour contribuer à trouver des solutions ». Il déplore que la démonstration faite dans la lutte contre le VIH de l’importance majeure du communautaire ait été oubliée dans la gestion de la crise de la Covid-19. Autrement dit, il faut de la consultation des personnes concernées, de la collaboration avec elles — patients-es, professionnels-les de santé, décideurs-ses — pour s’assurer que les décisions prises correspondent aux besoins des premiers-ères concernés-es.

Les soignants-es

Spécialiste du VIH, la Dre Clotilde Allavena (CHU de Nantes) s’occupe de prise en charge du VIH depuis 30 ans. À sa façon, elle aussi vieillit avec. Outre son activité de clinicienne, la chercheuse a travaillé sur un projet de recherche sur le vieillissement avec le VIH : le projet Septavih qui porte sur la « fragilité chez les personnes vivant avec le VIH âgées de 70 ans et plus ». La raison est simple : aujourd’hui, plus de la moitié des PVVIH a plus de 50 ans et 20 % ont 60 ans et plus — 5 % a plus de 70 ans. Si vieillir est évidement une bonne nouvelle, réfléchir à l’accompagnement du bien vieillir et à la prise en charge avec l’avancée en âge est un impératif, a fortiori lorsqu’il s’agit du grand âge. Clotilde Allavena note qu’il est compliqué aujourd’hui de trouver des gériatres (déjà peu nombreux-ses) qui s’intéressent au VIH, tout comme il n’est pas évident aujourd’hui que les jeunes médecins VIH s’intéressent aux enjeux du vieillissement avec le VIH, préférant s’investir sur des sujets comme la Prep ou le chemsex.

Le séminaire a aussi été l’occasion de revenir sur des initiatives dans le champ du vieillissement avec le VIH et sur quelques données  et faits. Médecin VIH et président du Corevih Île-de-France Centre, le Dr Marc-Antoine Valantin a expliqué qu’en Île-de-France, ce sont entre 5 000 et 10 000 patients-es qui sont dans la tranche d’âge concernée. Pour lui, l’avancée dans le grand âge d’un certain nombre de personnes ne pourra pas être prise en charge par les gériatres : « C’est aux médecins VIH de se former à la gériatrie », explique-t-il.

Le Corevih Île-de-France Nord a rappelé qu’il avait travaillé à une étude auprès de PVVIH de 60 à 80 ans suivies dans quatre hôpitaux franciliens (Beaujon, Delafontaine, Pontoise et Bichat) et qu’il réalise actuellement des focus groupes avec des personnes concernées pour en savoir plus sur les expériences et besoins des personnes de ces tranches d’âges. Clotilde Allavena est revenue sur l’enquête Septavih qui a suivi des PVVIH de 70 ans et plus, qui portait sur la faisabilité du dépistage de la fragilité chez ces personnes, la prévalence, les facteurs de risque l’impact sur la survenue d’évènements péjoratifs sur la santé. Cette étude observationnelle (on suit un groupe de personnes sur une longue durée avec des points d’étape annuels) vise à pallier l’absence de données actuelles sur cette tranche d’âge.

Les échanges avec la salle ont permis de revenir sur les deux questionnaires du projet MoiPatient. Didier Rouault, directeur de la Maison de vie à Carpentras — dont la structure a conduit sa propre enquête sur le vieillissement avec le VIH —, s’est étonné que, dans sa version actuelle, le questionnaire pour les patients-es fait 32 pages, dont 18 de questions médicales. Cela lui semble trop, d’autant que les PVVIH âgées ne sont pas forcément « obnubilées par les problèmes médicaux » et ont des histoires de vie à partager. Il constate aussi que ce même questionnaire ne comporte pas de questions ouvertes (dont on sait pourtant qu’elles facilitent l’expression des personnes) contrairement au questionnaire pour les professionnels-les qui, lui, en comprend. Reste aussi l’enjeu de la composition du panel. Comment s’assurer que les 500 participants-es nécessaires à l’enquête seront représentatifs-ves de la diversité des PVVIH de plus de 50 ans en France. Il reste quelques semaines encore à MoiPatient pour finaliser les questionnaires et les lancer dans les conditions optimales.

Une nouvelle enquête

C’est l’intervention de Christian Saout, membre du Collège de la Haute autorité de santé (Commission sociale et médico-sociale de la HAS) et ancien président de AIDES qui a permis de dégager une stratégie. Pour lui, la question du vieillissement avec le VIH est désormais assez ancienne. La particularité actuelle est qu’elle surgit « plus intensément » dans le débat et que, paradoxalement, elle reste « trop faiblement documentée ». Autrement dit, la question intéresse de plus en plus et l’on manque singulièrement de données. « Il y a des besoins nouveaux, il faut les montrer », a-t-il expliqué. C’est d’autant plus nécessaire que ces besoins ne se limitent pas à la question biologique. Pour Christian Saout, la question du vieillissement avec le VIH se déploie sur quatre axes : les lieux de vie, l’habité, les établissements spécialisés, le domicile seul ou partagé… avec son corollaire : l’autodétermination de la personne ; la médicalisation des lieux de vie en ville (lorsque je ne suis pas dans un établissement médicalisé, genre Ehpad). Comment apporte-t-on du soin aux PVVIH quand les personnes  ne sont pas dans des institutions ? l’accompagnement est-il assuré par des plateformes (du virtuel, du numérique…) ou des gens ; la question des ressources financières (trous dans les carrières, perte de trimestres…) puisque c’est une des clefs de l’autodétermination.

« À chaque fois que les choses ont avancé dans la lutte contre le sida, cela s’est passé ainsi : la production de données (le constat), le montage d’un événement qui les valorise en les mettant dans l’espace public, la mobilisation du politique en s’appuyant sur l’événement », explique Christian Saout. Autrement dit, le projet « Vieillir avec le VIH » va s’appuyer sur la vie des gens, faire émerger du savoir expérientiel, produire de l’expertise collective. Cette production pourrait être valorisée dans des États généraux sur le vieillissement avec le VIH qui mettraient la question dans l’espace public et potentiellement ce dossier plus haut dans la pile des priorités des décideurs-ses. « On parle souvent de zéro contamination, souligne-t-il. On pourrait élargir l’idée à zéro personne vieillissant avec le VIH sans solution ». Christian Saout note que le droit à l’accompagnement n’existe pas aujourd’hui dans les textes, comme dans la loi Kouchner, par exemple, alors que des structures officielles en font, tels les Caarud. Au moment où s’élabore toujours la stratégie nationale de santé, il y aurait, selon lui, un élément clef à ajouter.

Comme on le voit, les enjeux ne manquent pas. Il semble évident que l’apport du projet MoiPatient (des données nouvelles, actualisées…) pourrait constituer un tournant important dans la réponse à cette question : comment voulez-vous vieillir avec le VIH ?

Commentaires

Portrait de Superpoussin

Quand on évoque le vieillissement des personnes touchées par le VIH l'aspect physiologique est important mais ici comme ailleurs l'argent peut aider à se faire aider, si jamais suffisamment d'argent il y a.

En l'occurence pourrait-on s'intéresser aux retraites des personnes touchées par le VIH il y a longtemps et qui ont été de ce fait exclues du monde du travail? Quid des retraites de celles et ceux qui n'auront quasiment pas pu travailler? Qu'en est-il des méchanismes permettant, ou pas, de bonifier le SAM (Salaire Annuel Moyen) de ces personnes et de leur permettre d'espérer un peu mieux qu'une allocation vieillesse insuffisante pour payer des coups de mains pour des choses qu'on ne sera plus en mesure d'assurer? Je suis heureux que dans cet article la question des carrières incomplètes soient évoquées. Cette évocation sera-t-elle écoutée par qui aura les moyens d'y répondre?

A ce propos d'après ce que je crois savoir qu'en particulier les personnes touchant une pension d'invalidité obtiennent d'emblée le taux plein (à vérifier, celà a peut-être changé). En revanche je crains que le SAM puisse être très mauvais pour nombre d'anciens du VIH, d'où des retraites extrêmement basses possibles.

A votre question qui termine l'article j'aimerais vieillir avec une retraite décente qui aura tenu compte du fait que je n'ai pas choisi de tomber malade jeune et qui me permette de sortir enfin d'un état de presque misère qui est parfois excluant.

J'aimerais avoir enfin une vie sentimentalo-sexuelle et fonder ce foyer qui m'a été interdit jusqu'à présent, là aussi la question financière sera importante.

J'aimerais être assuré pouvoir avoir accès à une écoute bienveillante quand aujourd'hui cela est si difficile à obtenir pour les séropositifs non communautarisés.

En gros j'aimerais pouvoir vivre avant de crever après des années de simple survie.

Mais je sais aussi que la règle commune est un dépérissement du corps, une diminution affectant corps et parfois aussi esprit. J'ai peur que les associations VIH aient enterrés les gens comme moi qui ne sont pas dans l'air du temps: je ne suis ni homo ni migrant, je ne compte pas. Compterai-je demain?

J'ai déjà connu des périodes durant lesquelles j'étais affaibli et étais à deux doigts de ne plus être autonome. Par moments je redoute de le revivre en pire, à d'autres moments je me dis que j'ai déjà l'expérience de ces choses et saurais peut-être gérer l'ingérable.

Je n'ai personne à qui parler de ces choses, personne pour me défendre.

 

Portrait de RoCol

Je trouve très dommage voire bizarre que l'association Les ActupienNEs ne soit pas citée dans cet article. En effet c'est sous l'impulsion et l'étude faite par cette association que ce projet national voit le jour. ils/elles ont mené des entretiens courant 2019 après un long travail de réflexion en amont et c'est ce travail qui a été largement repris pour cet te nouvelle étude: Vieillir avec le VIH.

Il n’est jamais bon d’invisibiliser le travail acharné d’une asso surtout quand elle sert l’intérêt général des malades. On peut se demander pourquoi une telle omission et à qui sert elle…

Portrait de RoCol

et le centre de vie du Roussillon bien sûr !