Pas de vacances pour la pénalisation

Robert Musmacker, 37 ans, avait eu des relations sexuelles non protégées avec neuf jeunes hommes âgés de 16 à 20 ans sans les informer de sa séropositivité ; la justice américaine l'a condamné à quatorze ans de prison le 21 juillet 2010. Valerie-Lynne Johnsson, 54 ans, était détenue depuis mars 2010 pour avoir eu six relations non protégées avec un homme de 45 ans sans l'informer de son statut ; le tribunal du Michigan l'a condamnée à onze mois aménageables le 12 août. Christopher Everett, 26 ans, était poursuivi par un partenaire sexuel de 16 ans à qui il n'avait pas dévoilé sa séropositivité ; le Texas l'a condamné à quatorze ans de prison le vendredi 13 août. Le lundi suivant, au Texas encore, c'est Charles Benjamin, 33 ans, qui a été condamné à huit ans de prison pour ne pas avoir dévoilé son statut à deux ex-compagnes. Et, le même jour, en Allemagne, s'est ouvert le procès très médiatisé de la chanteuse Nadja Benaissa ; une affaire que nous avions annoncée en avril 2009.
Si les peines prononcées sont maximales* en ce qui concerne les relations avec un partenaire de moins de dix-huit ans, la grande variabilité des autres peines prononcées invite à s'interroger sur la nature des éléments qui ont motivé le verdict. La majorité sexuelle est fixée à 17 ans dans l'état de New York ; cela a très certainement aggravé la peine de Musmacker. Elle est également fixée à 17 ans au Texas : même facteur aggravant pour Everett. Mais au-delà de ces considérations et puisque, officiellement, les partenaires des accusés américains sont restés séronégatifs, il serait intéressant de savoir pourquoi les données médicales qui influent sur le risque de transmission (telle que la prise d'un traitement et la charge virale des personnes accusées) ont rarement été prises en compte pendant les différents procès. Pendant que les agissements des accusés sont qualifiés de "criminels" par les juges américains, pas un mot sur les affirmations scientifiques concernant l'impact d'un traitement anti-VIH efficace sur le risque de transmission du virus. Pourtant, l'année dernière, en suisse, cet argument a permis la relaxe d'un homme séropositif poursuivi pour les mêmes raisons. "Ces données n'entreront pas dans les procès américains tant qu'elles n'auront aucune reconnaissance formelle Outre-Atlantique", explique Deborah Glejser, porte-parole du Groupe Sida Genève. "Il faudrait que les experts des Etats-Unis et du Canada se rallient à la position suisse." Coté allemand, situation différente pour Nadja Benaissa qui semble avoir connaissance de ces informations (la jeune femme déclare que, d'après les médecins, le risque qu'elle transmette le virus "avoisinnait zéro"), mais qui est accusée d'avoir transmis le virus a l'un de ses ex-partenaires. Poursuivie pour coups et blessures aggravés, Nadja risque jusqu'à dix ans d'emprisonnement. Le verdict devrait être connu dans les jours qui viennent.
Alors que les acteurs de la prévention VIH/sida continuent de lutter contre une pratique qui aggrave la stigmatisation et qui n'a pas d'impact significatif sur le nombre de cas de transmission, un espoir fait surface Outre-Atlantique. Aux Etats-Unis – mais c'est aussi le cas dans plusieurs pays européens tels que la Suède – le simple fait de ne pas dévoiler sa séropositivité à un partenaire sexuel est encore considéré comme un crime dans 23 états. Et, chaque année, c'est aux Etats-Unis que se tiennent plus de la moitié des procès du monde pour exposition au VIH et/ou transmission du VIH. Si les lois américaines qui condamnent l'exposition au VIH et/ou la transmission du virus datent du début de l'épidémie, elles sont représentatives des connaissances limitées de l'époque. En juillet dernier, dans son premier Plan national de lutte contre le VIH/sida, le président Obama annonçait la révision prochaine des lois qui pénalisent les personnes séropositives, considérant que "les affirmations scientifiques en ce qui concerne les modes de transmission du VIH contredisent ces lois ; continuer à appliquer de telles lois pourrait sérieusement entraver les objectifs de santé publique en matière de dépistage et de traitement." "De tels aménagement risquent tout de même de prendre du temps, étant donné que chaque état à une législation qui lui est propre," modère cependant Deborah Glejser.
* Dans la majorité des états américains, quinze ans de prison est la peine maximale encourue par un séropositif qui n'a pas dévoilé son statut à un partenaire lors d'une relation sexuelle non protégée.
Illustration : Yul Studio
- 4415 lectures
- Envoyer par mail
Commentaires
Hausse des IST en France
Pour la France, cet article est à mettre en rapport avec le rapport de l'INVS rendu public hier selon lequel les ist ont augmenté de 2008 à 2009, surtout chez des personnes jeunes de moins de 30 ans, femmes et hommes. Cette augmentation serait liée à l'accroissement de la fréquence des rapports non protégés, même lors de rapports furtifs, et au développement du multipartenariat, selon l'INVS.
Mais une autre explication du développement des infections à gonocoques (+ 50 %) serait aussi la résistance de la bactérie à certains médicaments existants, pourtant toujours prescrits.
Comme les ist et les ist mal soignées font souvent le lit d'autres ist plus graves dont le vih, quel impact cette augmentation des ist aura-t-elle sur l'épidémie du vih et pourquoi pas, sur la pénalistation de la transmission en France, compte tenu des classes d'âge concernées ?
Ce qui me dérange vis-à-vis
Il me semble que pénaliser une personne
Je suis tout à fait d'accord avec toi
Décalage ?
A mon avis (1)
A mons avis (2)
Le 5 février 2009, lors de l’assemblée générale sur la question, quelques pistes avaient été suggérées pour lutter contre cette pénalisation croissante de la transmission sexuelle du VIH :
- Fournir une information juste et actualisée sur les conséquences quotidiennes de la séropositivité. Travailler sur l’image du Sida et des PVVIH dans nos sociétés. Il faut permettre à chacun de comprendre qu’aujourd’hui, dépister à temps, on peut vivre normalement avec le VIH et qu’une PVVIH n’est pas un dangereux agent infectieux en liberté. Cela implique de ne plus placardiser que la non-infectiosité des personnes séropositives qui ont une charge virale indétectable est de la science-fiction… alors même qu’un consensus international est maintenant établi. De ce point de vue, le silence assourdissant sur la question de la part des autorités sanitaires américaines (CDC) devient de plus en plus intolérable, l’article d’Emy-Seronet nous le montre bien.
- Ne plus laisser croire que tout rapport sexuel sans préservatif est forcément un rapport à risque de transmission. Il n’y a plus lieu de relier systématiquement la notion de non-protection au non-usage du préservatif, étant donné les connaissances actuelles sur l’efficience de la séroadaptation et du niveau de la charge virale en termes de réduction du risque de transmission. Il paraît dès lors injustifiable d’engager des poursuites contre une PVVIH qui observe correctement son traitement et dont la charge virale est indétectable.
- Ne plus continuer d’affirmer que les gais sont des « inconscients » qui ne se protègent plus, alors même qu’ils se protègent plus que les hétéros, et que, plus que « l’inconscience », c’est d’abord la forte prévalence et le vieillissement des séropos chez les gais qui est responsable de la non-diminution du nombre de nouvelles contaminations.
- Ne plus stigmatiser sans relâche les personnes qui ne correspondent pas à une conception traditionnaliste de la prévention (basée sur la seule capote) ou de la sexualité, alors qu’on sait que la stigmatisation encourage la criminalisation et la sérophobie [6].
Depuis cette assemblée générale… Rien !
[1] Lima VD, Johnston K, Hogg RS, Levy AR, Harrigan PR, Anema A, Montaner JS. (2008). “Expanded access to highly active antiretroviral therapy: a potentially powerful strategy to curb the growth of the HIV epidemic”. Journal of Infectious Diseases, juillet, 1, 198(1), p.59-67.
[2] Burman W, Grund B, Neuhaus J, Douglas J, Friedland G, Telzak E, Colebunders E, Paton N, Fisher M, Rietmeijer C. (2008). “Episodic Antiretroviral Therapy Increases HIV Transmission Risk Compared With Continuous Therapy: Results of a Randomized Controlled Trial”. J Acquir Immune Defic Syndr, 49, p.142–150.
[3] Holtgrave DR, Irene Hall H, Rhodes PH, Wolitski RJ. (2008). Updated Annual HIV Transmission Rates in the United States, 1977–2006. J Acquir Immune Defic Syndr & Center for Disease Control and Prevention.
[4] UNAIDS POLICY BRIEFS: Criminalization of HIV transmission. August 2008 : http://data.unaids.org/pub/BaseDocument/2008/20080731_jc1513_policy_criminalization_en.pdf
[5] Bernard EJ, Azad Y, Vandamme A-M, Weait M, Geretti AM. (2007). “The use of phylogentic analysis as evidence in criminal invistigation of HIV transmission”. HIV Forensics, février, Londres : NAM, Aidsmap : http://www.nat.org.uk/document/230.
Bernard EJ. (2009). “Using phylogenetic analysis and contact tracing to identify HIV transmitters possible, but legally problematic”. Aidsmap, January 23 : http://www.aidsmap.com/en/news/6AE57FD9-D0D4-4EB4-8831-54D080D829C4.asp.
[6] Carter, M. (2009). “Ignorance and stigma provide foundation for gay men's support of criminalisation of HIV transmission”. Aidsmap, January 26 : http://www.aidsmap.com/en/news/51C2CFFD-1979-4033-BD9E-38ABC51CDC33.asp.