Criminalisation : une affaire emblématique au Québec

Publié par olivier-seronet le 05.11.2008
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Victime de violence conjugale, Diane ne verra pas son conjoint condamné. Le motif ? Elle est séropositive et l'aurait caché à son partenaire. Du coup, c'est elle qui se trouve poursuivie et condamnée pour “agression sexuelle et voie de fait graves”. Ce jugement scandaleux, qui aboutit à ce que la séropositivité d'une personne excuse l'emploi de la violence contre elle, a mobilisé les associations de lutte contre le sida au Québec. Avocate et juriste à la COCQ-Sida, Christine Vézina revient sur cette incroyable affaire.
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Jugement ... de valeur

La justice québécoise peut-elle rendre des jugements… de valeur ? Hélas oui, laisse croire le jugement rendu le 14 février 2008 contre Diane (1), une femme séropositive, par le juge Marc Bisson de la cour du Québec (2) pour “agression sexuelle et voies de fait graves”. Ce jugement suscite de vives réactions au Québec et une mobilisation importante des associations de lutte contre le sida. La raison ? Cette décision légitime une discrimination institutionnelle à l’égard des personnes vivant avec le VIH. Car avant d'être déclarée “coupable” et sanctionnée, Diane est d'abord et surtout une victime du système judiciaire.


Tout commence en 2004, Diane, séropositive depuis de nombreuses années, porte plainte contre son conjoint, Georges, pour violence conjugale et voies de fait contre son fils. Georges est reconnu coupable. Au moment des représentations sur sentence [les peines demandées par le procureur], l’avocat de Georges explique que le comportement violent de ce dernier est la conséquence du choc provoqué par la découverte de la séropositivité de Diane, sa conjointe. Selon Georges qui est séronégatif, Diane aurait volontairement dissimulé le fait qu'elle était séropositive lors de leur première relation sexuelle. Cet argument trouve, curieusement, un écho favorable chez le procureur de la Couronne (3) qui, du coup, propose à titre de sentence, une “absolution inconditionnelle”. Le juge endosse la proposition du procureur et Georges échappe à la condamnation. Vous avez bien lu ! Dans cette affaire, pour la justice, le fait d’être une femme séropositive et de l'avoir tu est en soi plus condamnable que le fait d’être un homme ayant recours à la violence physique à l’égard de sa conjointe et du fils de cette dernière. Pire, la séropositivité d'une personne excuserait l'emploi de la violence contre elle. Car c'est bien ce que sous-tend ce jugement. L'affaire va prendre une autre dimension lorsque Georges décide, à son tour, de porter plainte contre Diane pour “agression sexuelle et voies de fait graves” parce qu'elle n'a pas fait état de sa séropositivité lors de leur première rencontre sexuelle. Relation non protégée selon Georges. Relation protégée selon Diane.

En toute logique, le procureur de la Couronne aurait dû comprendre que la plainte déposée par Georges s'apparentait à une vengeance et refuser d'aller de l'avant. D’autant plus que ce dernier a affirmé aux policiers avoir été “contaminé” alors qu’il n’en était rien. Faisant fi de ces considérations, il entreprend les procédures contre Diane. Peu lui importe que Georges soit séronégatif, qu'il ait entretenu une relation conjugale de quatre ans avec Diane, qu'il ne puisse pas apporter la preuve d'une éventuelle mise en danger, l'affaire sera jugée et Diane condamnée. “Le juge m’a reconnue coupable parce que je n’ai pas dévoilé mon statut sérologique. Le mensonge sort victorieux. La justice m’a abandonnée. L’invraisemblable devient vrai avec mon cas”, dénonce Diane. Les procureurs doivent-ils collaborer avec les individus amers et désireux d’utiliser le droit criminel pour procéder à un règlement de compte ? Notre réponse est non. Cette manipulation du dispositif pénal porte gravement atteinte à l’intérêt de la justice et la COCQ-Sida (Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida) s'y oppose.

Si la mobilisation contre ce jugement a été et reste encore très forte, c'est que ce dernier est critiquable sur plusieurs points. Premièrement, le juge a déployé des efforts considérables pour détruire la crédibilité de Diane. Il a ainsi refusé de prendre en compte le fait que Diane cherchait à protéger son fils et qu'elle avait été victime de violence conjugale. En décidant, de lui-même, que la relation sexuelle n’avait pas été protégée, le juge a surtout cherché une assise à son jugement. Ainsi, il s’est donné les moyens d'éviter de déterminer si le non-dévoilement du statut sérologique dans le cas d’une relation sexuelle protégée est un acte condamnable en vertu du droit criminel. A ce jour, aucun tribunal canadien ne s'est prononcé sur une affaire de ce genre.


"Je n’aime pas dire que je suis une victime, mais là je me sens victime d’une grande injustice, victime parce que je suis séropositive."
Diane

Le deuxième point qui pose un problème sur le plan de la santé publique est l’absence de reconnaissance par le juge de la responsabilité partagée, principe de base fondamental de la prévention du VIH. Le juge Bisson fait reposer exclusivement sur les épaules de la personne séropositive la responsabilité de la protection. Cette vision, reflet de craintes profondément ancrées, crée un faux sentiment de sécurité. Au Canada, on estime que près de 30 % des personnes qui vivent avec le VIH ignorent qu’elles sont séropositives. Enfin, le dernier point troublant est le rejet par le juge Bisson du témoignage du docteur Jean-Pierre Routy, médecin VIH de renommée mondiale. Ce dernier a fait valoir qu’aucune personne touchée par le VIH n’avait la stricte obligation de dévoiler son statut lors de relations sexuelles n’impliquant pas de risque significatif. Si on utilise des préservatifs, on doit pouvoir ne pas dévoiler sa séropositivité. Pour ce médecin, cela s'explique par la dure réalité, largement documentée partout dans le monde y compris au Québec, du rejet et de l’exclusion des personnes séropositives. Des arguments que le juge Bisson a balayés d'un revers de main.


“L'effet de ce jugement contribue non seulement à augmenter la stigmatisation des personnes infectées, mais aussi à créer la peur de se faire dépister pour ne pas être traîné devant les tribunaux”, explique le docteur Routy. Une analyse que partage Diane : “Le message donné par ce jugement contre moi est : “Arrêtez de déclarer que vous êtes séropositifs ! Surtout, ne passez pas le test !” Meurtrie par ce verdict, elle a été condamnée à une peine de douze mois à purger dans la collectivité [en France, on parle de sursis] avec conditions (suivi auprès d’un agent de surveillance, couvre feu), Diane poursuit, avec le soutien des organismes, son combat. Un combat personnel, mais pas seulement, car la conséquence de cette décision est “un danger immédiat pour le fragile équilibre entre les droits de la personne et la santé publique”, comme l'affirme le docteur Routy.


Christine Vézina, avocate et responsable de la recherche Droits de la personne
et VIH à la COCQ-Sida

La COCQ-Sida recueille des dons afin d'aider Diane à réunir la somme nécessaire à la demande d'appel. Les dons peuvent être envoyés à la Fondation québécoise du sida. 1, rue Sherbrooke Est, Montréal (Québec) Canada, H2X 3V8. Merci de préciser Fonds Saint-Valentin sur les chèques. Infos sur http://www.cocqsida.com


(1) Les prénoms ont été changés suite à une interdiction de publication émise par la cour.
(2) Cour de première instance.
(3) L'équivalent du procureur de la République en France.

Illustrations : Yul Studio
Photo : Alexis Hamel

Commentaires

Portrait de seanaque

je comprends dans cette histoire que le mec qui a tabassé la nana tente de s'en sortir devant le juge en disant que lui aussi a été victime d'une aggression

et que le juge lui donne raison ( probablement à tort ) puisque le mec  n'a pas été contaminé 

tout ce bordel parce qu'un magistrat est à coté de ses pompes et s'est fait roulé par l'avocat du mec qui est parvenu à séduire le juge ?

non mais c'est quoi ce délire ?

vous nous prenez vraiment pour des cons!