ARV : Les signalements de rupture en nette progression

Publié par jfl-seronet le 17.01.2011
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Très inquiet de l'augmentation du nombre de témoignages de séropositifs ne pouvant se procurer leur traitement pour cause de ruptures d'approvisionnement en médicaments antirétroviraux dans les pharmacies de ville, le TRT-5 lance en mai 2010 un Observatoire des ruptures d'approvisionnement des pharmacies en antirétroviraux. Que s'est-il passé depuis mai 2010 ? Membre du TRT-5, pharmacien, directeur de recherche à l'Inserm, Hélène Pollard de l'association Sol En Si fait le point sur une situation alarmante.

D'où vient l'idée de créer cet Observatoire ?
Nous savions qu'il y avait des ruptures d'approvisionnement d'antirétroviraux dans les pharmacies. Des personnes qui y étaient confrontées en parlaient. On considère qu'il y a rupture lorsque des personnes viennent demander leurs médicaments dans une pharmacie et qu'on leur dit que ceux-ci ne sont pas disponibles. Nous nous sommes rendu compte que cette situation s'accentuait. Nous avons également constaté que les ruptures se produisaient par vagues. A certains moments, c'est Norvir qui manque. A d'autres, c'est Sustiva ou bien Prezista. Manifestement, il y avait des malaises au sein des laboratoires pharmaceutiques. La troisième chose dont nous nous sommes rendu compte, est que l'ensemble des acteurs -- des pharmaciens de ville aux laboratoires -- travaille en flux tendu. Les pharmaciens d'officine ne font plus de stocks parce que les médicaments coûtent trop cher. Les grossistes répartiteurs, qui livrent les pharmacies de ville, sont plus ou moins soumis à des quotas de la part des laboratoires. Ces derniers ont une production très calibrée et à flux tendu. S'il y a le moindre aléa, le moindre grain de sable, c'est l'ensemble de la chaîne qui se bloque. Et on peut arriver à une situation désespérée comme celle concernant Kivexa l'été dernier lorsque le laboratoire GSK ViivHealthcare a été confronté à une grève dans son centre de distribution d'Evreux, une grève dont il avait d'ailleurs sous-estimé l'importante et au plus fort de cette crise, il n'y avait plus de délivrance de Kivexa dans les pharmacies de ville. Le TRT-5 a réfléchi à élaborer un dispositif d'alerte dès février 2010. Nous avons recueilli quelques observations entre février et mai 2010 et lancé officiellement notre Observatoire et son questionnaire en mai.

Quel bilan tirez-vous aujourd'hui de l'Observatoire ?
Les signalements de rupture d'approvisionnement en antirétroviraux dans les pharmacies de ville sont en nette progression. Nous avons obtenu aujourd'hui  87 réponses au questionnaire. Elles correspondent à 104 de ruptures d'approvisionnement dont  32 % ont débouché sur une interruption de traitement. En effet, un même questionnaire a quelques fois permis de signaler deux médicaments manquants. La moitié des ruptures s'est produite en région parisienne, l'autre en régions. Si on tient compte du fait qu'il y a une concentration plus importante de personnes utilisatrices de médicaments antirétroviraux en Ile-de-France qu'en régions ― la moitié des séropositifs en France sont suivis en Ile-de-France ― on peut dire que la province est, elle aussi, bien touchée par le phénomène. Pour nous, TRT-5, c'est une évidence que ces 96 signalements de ruptures d'approvisionnement en ARV ne représentent que la partie émergée de l'iceberg. La lecture des questionnaires nous indique que de nombreuses personnes ont déjà été confrontées par le passé à des ruptures qui, faute d'outils alors, n'ont jamais été signalées. Parmi les répondants, 32 % d'entre eux ont mentionné des interruptions de prise de traitements du fait des ruptures d'approvisionnement en ARV dans les pharmacies de ville. J'insiste sur le fait que ce chiffre concerne uniquement les répondants à notre Observatoire. Cela signifie qu'un répondant sur trois a été contraint d'interrompre son traitement entre un et sept jours. Avec tous les risques que cela comporte.


Ces ruptures concernent-elles tous les médicaments ?
Certains médicaments, peut-être parce qu'ils sont plus utilisés que d'autres, semblent davantage concernés. Kivexa, Ziagen et Combivir (laboratoire GSK), Norvir et Kaletra (Abbott), Truvada (Gilead), Prezista (Tibotec) sont les plus fréquemment cités. Norvir a été cité douze fois tout comme Prezista ; Kivexa, vingt-quatre fois. Les questionnaires signalent aussi des ruptures d'approvisionnement concernant Atripla, Isentress, Celsentri, Telzir, Epivir, Intelence, Invirase…  Lorsque nous téléphonons aux firmes pharmaceutiques, très souvent, on s'entend répondre qu'elles ont la situation en mains !

Le TRT-5 indiquait dans un communiqué de presse le 6 octobre dernier une "très nette progression" de ces ruptures. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il devient relativement systématique pour plusieurs raisons. La première est que les pharmacies de ville, les officines, ne font plus de stocks de cette classe de médicaments. Cette période est finie. Les médicaments coûtent trop cher. Même des pharmacies qui ont pourtant des patients réguliers n'ont pas forcément les stocks disponibles. Par ailleurs, la législation ne les y contraint pas vraiment. D'autres facteurs entrent en jeu. Les pharmacies de ville se heurtent aux problèmes de leurs grossistes répartiteurs. Chaque pharmacie a son grossiste attitré. Lorsqu'une pharmacie ne peut pas honorer une ordonnance, la première chose qu'elle fait, est de se faire dépanner par un de ses confrères du quartier. Souvent, les autres pharmacies sont dans le même cas. La pharmacie se retourne alors vers son propre grossiste répartiteur. Si ce dernier ne peut pas fournir l'ARV, elle se retourne alors vers un autre grossiste qui n'est pas son fournisseur habituel. Généralement, ces derniers ne sont pas très chauds pour pratiquer de tels dépannages au risque de ne pas pouvoir fournir leurs clients habituels. La pharmacie se retourne alors vers les laboratoires pharmaceutiques concernés qui n'ont généralement pas de solution rapide de dépannage. In fine, la pharmacie de ville n'a plus d'autre choix que de se retourner vers les pharmacies hospitalières qui disposent généralement d'une quinzaine de jours de stocks. Les hôpitaux jouent donc un rôle clef dans le dépannage en urgence des personnes confrontées à une rupture d'approvisionnement en médicaments antirétroviraux. En ce moment où les hôpitaux sont tellement malmenés, où on est en train de vouloir retirer la délivrance des ARV dans certaines pharmacies hospitalières, la situation risque de devenir dramatique.
Une des explications de ce phénomène est, entre autres, l'absence de stocks, pour des raisons financières, dans les pharmacies de ville.

Que se passe t-il au niveau des grossistes répartiteurs ?
Au niveau des grossistes répartiteurs, c'est un autre problème. Tous les laboratoires ne fonctionnent pas sur le système des quotas, mais néanmoins beaucoup le font. Les laboratoires procèdent à une estimation du nombre de boîtes de chacune de leurs spécialités qu'ils vont fournir chaque mois aux grossistes répartiteurs. La fabrication et les stocks sont donc, de fait, comptabilisés et limités. Par ailleurs, il se trouve que certains grossistes voient un intérêt financier à vendre ces médicaments en dehors du marché français, dans un autre pays de l'Union européenne. Ce n'est pas illégal, mais cela crée inévitablement des tensions sur l'approvisionnement. L'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) connaît ce phénomène, mais n'y a pas encore trouvé de solution.


Pourquoi ne fait-elle rien ? Après tout, il existe dans la législation européenne et française, l'obligation, tant pour les pharmacies de ville que pour les grossistes répartiteurs, de s'assurer qu'il y a une continuité de disposition des traitements pour éviter justement les ruptures.
Nous avons rencontré l'Afssaps début août, au moment où culminait la crise concernant Kivexa. Nous avons expliqué ce qui se passait et demandé deux choses à cette agence. La première, et nous l'avons obtenue, était une analyse de la législation sur les obligations de chacun des acteurs intervenant dans la dispensation des médicaments antirétroviraux : depuis la fabrication jusqu'à la pharmacie de ville. Nous voulions connaître qu'elles étaient les obligations des uns et des autres. Théoriquement, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus de signaler les problèmes, dont les ruptures, à l'Afssaps. L'agence est tenue de répercuter l'information à l'ensemble des personnes.
Un message d'information doit être publié sur son site. Elle doit également rechercher les solutions alternatives et surveiller l'évolution de la situation. C'est-à-dire suivre la manière dont ces problèmes sont résolus et prévenir lorsque tout rentre dans l'ordre. De leur côté, les grossistes répartiteurs doivent avoir des stocks pour une quinzaine de jours. Il est dit qu'ils doivent satisfaire leur clientèle habituelle pendant deux semaines. Auparavant, les stocks des grossistes étaient plus importants, mais une nouvelle législation a réduit cette durée. L'Afssaps s'était également engagée sur un deuxième point. Lorsque nous avions expliqué que chaque laboratoire pharmaceutique avait ses propres règles en cas de difficulté d'approvisionnement (numéro d'urgence, ligne pour les pharmaciens, ligne pour les patients, cellules de crise, etc.), l'Agence s'était engagée à rencontrer l'ensemble des laboratoires concernés par les antirétroviraux. Il s'agissait de trouver un moyen d'homogénéiser les procédures en cas de problèmes, de les répercuter et les faire connaître aux uns et aux autres. Cela devait être réalisé en 2010, ce n'est pas le cas. Nous avons donc relancé l'Afssaps qui nous a indiqué que cela allait être fait sous peu.

Comment expliquez-vous ce retard ?
Nous ne remettons pas en cause la qualité des équipes de l'Agence, mais nous faisons le constat que, pour le moment, cette question n'est pas leur priorité. Une personne de l'Agence doit s'occuper de cette question. L'Afssaps nous a clairement dit : "Vous savez, nous suivons 12 000 spécialités médicales. Nous sommes principalement focalisés sur les malfaçons, les effets indésirables, etc. Il nous est impossible de suivre au jour le jour l'ensemble des spécialités". Lorsque nous avons rencontré l'Agence, ils nous ont donné le sentiment qu’il s’agissait pour eux d’une priorité. Trois mois plus tard, nous voyons que cela n'a pas avancé de son côté. Forcément, c'est une déception. Comme je vous le disais nous l'avons relancée. L'Afssaps s'est engagée. Attendons le début de l'année, nous verrons alors ce qu'il en est.

Le TRT-5 compte t-il mobiliser l'ordre des pharmaciens sur cette question ?
Nous voulons mobiliser l'ordre des pharmaciens, à propos des pharmacies de ville et des pharmacies hospitalières, dans un cadre un peu général pour attirer leur attention sur la question des ruptures. Nous travaillons dans l'idée de permettre un meilleur signalement des problèmes de la part des professionnels. D'ailleurs, nous constatons une évolution à travers les réponses à l'Observatoire. Au début, c'était surtout des patients qui répondaient. Désormais, de plus en plus de professionnels de santé signalent les problèmes.

Le plan national de lutte contre le sida incite au dépistage généralisé, à la mise sous traitement rapidement… Tout cela peut avoir pour conséquence d'augmenter le nombre de personnes ayant besoin d'un traitement anti-VIH. Les laboratoires, les grossistes répartiteurs sont-ils préparés à cette évolution possible ?
Les personnes sont traitées plus longtemps. Cela joue. Nous rencontrons très régulièrement les laboratoires pharmaceutiques, nous attirons donc leur attention sur les nouvelles recommandations du Rapport d'experts Yeni 2010, sur le fait que les personnes vont être traitées plus tôt et qu'elles le seront plus longtemps… Nous leur demandons d'anticiper la production pour répondre à ces nouveaux besoins. Bien évidemment, les laboratoires nous répondent qu'ils y pensent. Notre rôle consiste à être vigilant et à alerter. Pour le moment, il n'y a qu'un maillon de la chaîne que nous n'avons pas approché. Il s'agit des grossistes répartiteurs. Nous manquons encore d'éléments pour les contacter, mais nous comptons bien évidemment le faire. Nous devons davantage travailler avec les pharmaciens de ville pour mieux identifier les problèmes rencontrés avec les grossistes. Cela nous permettra de mieux comprendre quels sont les problèmes que posent les grossistes et quelles solutions sont envisageables.

Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes afin qu'elles ne soient pas confrontées à des ruptures de traitement ?
Le principal conseil est de ne pas attendre le dernier moment pour renouveler son ordonnance, mais d'anticiper, de s'y prendre quinze jours à l'avance. C'est certain, un renouvellement mensuel revient très vite. A l'hôpital, les médicaments peuvent être dispensés pour trois mois. Ne pas attendre le dernier moment, c'est le grand conseil qu'on peut donner. Dès qu'on apprend qu'il manque un médicament de sa prescription dans une pharmacie de ville, il faut se retourner vers les pharmacies d'hôpitaux… C'est ce qui, actuellement, fonctionne le mieux comme solution de dépannage.  Je constate aussi que les personnes peuvent compter sur la solidarité d'autres patients. C'est bien, mais c'est évidemment une solution qui ne doit pas devenir courante. Nous devons trouver des réponses structurelles à un problème grave qui semble désormais systémique. Nous ne devons pas oublier que l'interruption de traitement, a fortiori prolongée, est quelque chose de grave. L'observance est quelque chose d'important.

Propos recueillis par JFL

Plus d’infos sur http://www.trt-5.org/

LIEN DIRECT POUR ACCEDER AU QUESTIONNAIRE RUPTURES DU TRT-5 :
http://www.trt-5.org/article250.html
 

Commentaires

Portrait de renerene

heureusement que je n ai jamais connu ca car je prends entre autre le norvir et le prezista j'ai toujours tout eu a paris 11eme chez moi ou a la campagne dans l orne en esperant que ça dure !
Portrait de riquet

Je n'ai pas encore fait face à des ruptures d'approvisionnement, mais, n'oublions pas que pour ceux qui sont proche d'un hopital que les pharmacie de ceux_ci délivrent aussi nos médocs ! Et à noter également qu'il n'y a pas de franchise à régler...... ! (et cela coute moins cher à la sécu, produits moins chers )
Portrait de nathan

jfl-seronet wrote:


Nous ne remettons pas en cause la qualité des équipes de l'Agence

Bah justement, plutôt que de vouloir toujours collaborer, c'est ce qu'il aurait peut-être fallu faire en tant que collectif interassociatif quand on constate l'incurie pressentie depuis longtemps et aujourd'hui révélée de cette agence empêtrée dans ses conflits d'intérêt et désintégrée  samedi. A moins que ces conflits d'intérêt débordent largement de cette agence comme une fosse septique trop pleine et éclaboussent bien au-delà d'elle-même... Tout cela me laisse bien sceptique quant à la capacité de certains à représenter et à défendre nos intérêts à nous, malades.