La zen dictature... une arnaque bien huilée

Publié par Ferdy le 04.05.2011
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À considérer le peu de valeur accordée à l'indolence, à la paresse comme à l'ennui, chacun se croit plus ou moins condamné à s'engager dans une boulimie d'activités sociales, professionnelles, sportives, associatives ou de toute nature afin de tenter d'échapper au néant d'une existence contemplative.

Cette tyrannie nous est imposée depuis le plus jeune âge, enfin dès l'entrée en maternelle. Il faut absolument occuper le gamin à toute sorte d'activités dites d'éveil, pour qu'il ne puisse à aucun moment de la journée éprouver la sensuelle plénitude d'exister : découvrir son corps et son environnement autrement que sous l'angle de la domination conquérante ou de la compétition.

Il faut que ça bouge, que le planning soit surchargé, que le temps vienne toujours à manquer dans un mouvement de centrifugeuse pour le moins pernicieux. La constance dans l'effort annihile toute tentative de repli, de distance, d'observation immobile.
Parvenu à l'âge adulte, s'il en ressent le besoin, à la suite d'un possible burn-out annoncé, la méditation devient elle-même une activité comme une autre, programmée dans un lieu spécialement affecté à cette tâche, si distincte de l'univers habituel que le méditant se trouve propulsé vers un ailleurs exotique et désuet, sans lien commun avec son ordinaire surencombré d'obligations aliénantes. En inscrivant au cœur d'un planning surchargé une plage de silence et d'introspection, l'individu ne fait qu'ajouter à son programme de stress une fenêtre insolite, tout aussi encombrante que le reste.

Car si la nature a horreur du vide, l'homme ou la femme vit surtout dans la terreur de sa possible inanité. Le face à face avec le rien est source d'une angoisse irrépressible, l'aveu d'un échec narcissique trop cuisant.

Les vacances peuvent tourner au cauchemar s'il ne se trouve alentour aucune visite touristique exténuante, comme l'ascension d'un col ou la mortelle randonnée. Chez le salarié épanoui dans ses fonctions, le congé suffit parfois à déclencher une petite crise existentielle qui peut aboutir, dans certains cas, à une forme de dépression nerveuse ou à un accès d'agressivité particulièrement sensible sitôt que le promeneur solitaire redevient l'automobiliste pressé.

Afin de répondre à cette angoisse largement répandue, le marketing s'est emparé d'un concept philosophique ancestral qu'il est si bien parvenu à dénaturer de son essence originelle pour refourguer sa camelote de produits financiers "zen", de paisibles assurances et de toute une panoplie de gadgets lénifiants.
En quelques années, le monde occidental s'est saisi de cet artifice pour emballer à peu près tout et n'importe quoi, du shampoing-crème, aux séjours de thalasso, en passant par l'électroménager ou la tondeuse à gazon. Tout est devenu "zen", c'est-à-dire, dans la dialectique vénale du marché, une valeur ajoutée totalement abstraite, vidée de toute empreinte spirituelle subversive, qui sent bon l'encens, la sérénité harmonieuse et le folklore des anciens maîtres bouddhistes japonais.

Cette usurpation, bricolée de toute pièce par des prédateurs accomplis, est parvenue à greffer sur la parole du sage "qui se contente de peu", un ésotérisme de bazar qui ne se satisfait de rien.

Commentaires

Portrait de eris

 Depuis un petit moment presque plus connecté, je commence mon r(éveil) ici par cette lecture délicieuse ...

Oh, que tu as raison, cher Ferdy, sur tout ce que tu viens de dire !

On vit vraiment dans un monde où ne plus penser, donc ne plus exister par soi-même est devenue LA référence.

Plus personne n'est capable d'avoir une vraie opinion, une vraie activité désirée et voulue ( et non suggérée comme tu le dis bien par ces propositions incessantes  qui ne sont même plus subliminales !)

Je suis moi-même à mon grand désarroi influencé car je ne suis qu'un être humain comme nous tous, et je m'en désole souvent !...

Il faut donc "juste" savoir résister, savoir se faire plaisir, savoir penser... en tentant d'oublier toute cette frénésie d'occupations moins que plus intéressantes qui nous sont proposées.

Mais il est difficile de résister à cette aliénation voulue et grandement organisée de notre super société de consommation.

La peur du rien ou du vide, c'est selon, est toujours présente chez l'Homme, et, le comble, au moment où la diversité de propositions est telle ( du moins chez nous, pays dits riches), c'est là que l'on ressent la plus grande solitude n'ayant jamais existé peut-être ici bas ! Quel drame...

Un exercice qui n'en est plus un que je fais sans penser maintenant, m'écouter, savoir dire non, éliminer ce qu'on estime de superflou ou de superflu... ;-)

Tenter d'être soi, donc, un peu, encore, tant que ça nous est encore possible, sans pour autant devenir un moine tibétain... quoique, je les envie parfois, ne sachant pas pour autant  quels autres dilemmes envahissent leur esprit !

Amen !! Clin d'oeil

« Le but est le chemin lui-même » Soyons nous-mêmes, en toute circonstance.

Portrait de ouhlala

   Merci Fredy pour cet excellent article !

   Tu traites de sujets essentiels, qui pour certains me taraudent, et tu pointes un fait qui m'exaspère vraiment, la récupération du vocable "zen" dans le marketing. J'ai pensé depuis un moment écrire quelque chose sur le sujet et je trouve tes considérations, qui dépassent la stricte question de cette récupération, trés pertinentes. Ainsi que le commentaire d'Eris (je suis rarement laudateur mais c'est ma tournée!), merci donc à tous les deux.

   Quelques réflexions. Le capitalisme récupère et détourne valeurs et symbôles depuis son apparition, l'ascétisme (l'éthique de la besogne), puis le progès, l'individualisme et le développement personnel, même l'aspiration révolutionnaire (l'icône communiste révolutionnaire du Che champion toute catégorie du produit dérivé)... Tout est voué à devenir business, et les valeurs dominantes ou émergentes sont vampirisées par cette idéologie qui n'a pas d'esprit. Voir un livre de Boltanski-Chiapello Le nouvel esprit du capitalisme, dans lequel un corpus de textes de management des décennies 70-90 est analysé qui montre la montée en puissance significative de termes relatifs au développement individuel, aux bénéfices personnels et à l'autonomie que les salariés retireraient à être considérés comme acteurs impliqués à part entière dans le projet d'entreprise, pour justifier la pression à la productivité, pour tout dire démentielle, à travers la mise en concurrence et une évaluation accrue. C'est d'ailleurs le shéma à l'oeuvre derrière la nouvelle gouvernance et la démocratie participative avec les acteurs associatifs, mais c'est une autre histoire. Bref, il ne serait pas étonnant de lire aujourd'hui dans un manuel de management qu'"instaurer des modes de relation et une ambiance de travail "zen" dans l'entreprise est un gage de productivité des salariés", à condition toutefois que les plantes ne soient pas trop artificielles tout de même et avant que ces derniers ne se soient tous jetés par les fenêtres ou immolés par le feu. Qui songe à un développement personnel qui ne passerait pas par la consommation, ne serait-ce que de livres sur le développement personnel... de trainings, de coachs... d'encens et de bougies... de germinateur de graines et de diffuseur hightech d'huiles essentiels... que sais-je et je m'égare. Le plus souvent évidemment, par celle de la batterie de jouets narcissiques que l'import-export et la mondialisation offrent à notre jouissance ébahie.

   Quoi de plus étrangers à une telle situation que le zen ? Rien de plus subversif. Vocable, notion, c'est un mot censé générer des images ou des idées. La récupération est d'autant plus facile que la notion est molle. Le sens commun ne lui accorde pas de signification précise, excepté une espèce d'apologie de la tranquillité, du contrôle de soi, de la passivité, du détachement ? Quant aux images, de l'exotisme chatoyant voire sensuel, des lumières tamisées, une petite musique, de l'encens, ça ne mange pas de pain et ça fait du chiffre, sans endormir tout à fait. Tout cela est vrai et faux et insignifiant à la fois. Il y a autant de modes formels d'expression que de zones géographiques culturelles différentes où le bouddhisme s'est développé, avec plus ou moin d'exotisme déiste, d'ascétisme, d'iconophilie etc... Le bouddhisme zen, l'une des écoles bouddhiste japonaise, qui a son équivalent formel en chine, est particulièrement austère. Le point commun à tous les bouddhismes c'est la pratique de la méditation, qui est une discipline. Zen signifiant méditation en japonais. le plus souvent assise, zazen.

   Il est d'autant plus difficile de définir la pratique du zen -postulat d'indicibilité, que toute définition du zen manque le zen. ce qui n'empêche  pas une abondante littérature bouddhiste qui permet de se faire une opinion, si tant est que toute opinion préconçue... éloigne du zen de milliards d'années-lumière... Ce qui explique que le zen soto ou rinzaï définit simplement zazen comme "être assis sans rien faire", c'est la que ça se complique, sans produire ni saisir de concepts ou d'images mentales particulières, sans renoncer pour autant à une attention concentré, sans, donc, passé, ni avenir, ni mémoire, ni attente, ni préconception, ni objectif, ni recherche de bénéfices, absolument, ce qui représente un apprentissage graduel tout en se situant dans le pur instant et l'intemporalité. A la fois apprentissage et "transmission spéciale" d'esprit à esprit. Le zen aime les paradoxes, il les tranche tels des noeuds gordiens, d'un coup avec une lame acérée, ou observe attentivement et longuement leur dissolution, scrutant l'inexistence intrinsèque des phénomènes, dont l'égo. Voir son propre esprit, retrouver le visge d'avant sa naissance, connaître l'esprit de base, l'esprit foncier, ce sont des formules canoniques, une fois que les brumes de la production et de la saisie de concepts se sont dispersées, que le fonctionnement de l'intellect cesse de recouvrir l'esprit. La méditation assise, avec l'accent mis sur sa posture très formalisée, est une expérience rigoureuse du corps, de l'intellect (en l'occurence une non-expérience ou l'expérience de la non production-non saisie intellectuelle qui laisse apparaître progressivement l'esprit), de l'esprit lui-même, de la conscience attentive et concentrée. Une tradition transmise depuis des millénaires par des lignées de maîtres. Un accomplissement fragile comme un flocon de neige.

    A la fois non-expérience et bouleversement total. Inaltérable, resplendissant, indestructible, non-né et sans-second. Technique ? Hygiène ? Et prodige permanent. C'est aussi ce qui explique que tous les pouvoirs, en particulier l'égo, qui a le pouvoir total -qui en douterait, s'en méfient à juste titre, lui résistent ou cherchent à le détourner à leur profit. Ca me rappelle quelque chose. L'égo promu par le capitalisme lui est devenu consubstantiel.

   En tout cas, rien dans le zen qui puisse servir à vendre des voitures ou des ferments lactiques...

   Franck. 

Portrait de rickhunter

Comme Eris, je tombe là-dessus aussi par hasard et pas rasé. Et j'aime, j'aime, j'aime...

Pas évident de quitter le monde de l'utilité, de l'activité fanatique, de l'autoroute, du droit de survivre justifié par une agitation perpétuelle.

Mais on peut y arriver...

Et comme ils sont tous fatiguants, à trouver un nouveau sujet d'inquiétude chaque jour, à suivre les activités des "amis"... Tiens, si j'embêtais un pote à l'heure de la sieste?

Portrait de flamme

Je suis tout à fait d'accord avec toi Ferdy et ti l'as si bien écrit ! Mais comme c'est difficile de ne pas succomber à cette dictature. Ton billet en plus est arrivé juste au bon moment pour me rappeler le bienfait d'un moment de silence et de ''rien faire'' dans un peit rendez-vous intime avec moi.

 Bon week end et bonne contemplation Cool  Innocent

Flamme

Portrait de alsaco

que de balivernes  - l 'analyse, son adaptation personnel est propre a chacun . L 'écriture ne serait - elle pas elle aussi formatée .la lecture du Monde, de Libé et de Telerama n 'effluence t 'elle pas notre comportement ?

Nos posts ne sont ils pas un reflet de notre démarche  .

notre quotidien est conditionné de A à Z .

La note personnelle de la quête n 'est surement pas due a des reflexions mais bien a des re - portages d 'articles , de comparaison . on adhère ou pas .

Etre soi  quand le courant nous engloutit de part et d 'autre , resister mais quand mm dans la situation .

bonne journée

d.

Portrait de ecceomo

y a aussi "durable" qui devient très porteur ...

mis à part cela,

je pratique aussi activement l'errance, le lâcher prise, le silence, la solitude...

et i se passe une foule de chose dans ces non actions actives !

vrai que j'ai mis qq dizaines de km (voir + suivant l'affinité) entre la frénésie et moi 

en fait, avec l'impression de faire moins en quantité, bien plus de chose vont plus loin... le volontarisme exacerbé n'est pas "rentable", contourné l'obstacle si nécessaire, prendre le temps de la distance, c'est atteindre bien mieux la cible et s'apercevoir qu'il y a une vie derrière la cible !!!

être

seulement