La corvée des courses ou le contrôle des plaisirs ?

Publié par Ferdy le 22.06.2011
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"Maintenant, le chariot de Marcovaldo était bourré de marchandises ; ses pas le portaient vers des rayons moins fréquentés ; il y avait là des produits aux noms de moins en moins déchiffrables, dans des boîtes avec des dessins dont on ne comprenait pas très bien s'ils voulaient dire qu'il s'agissait d'engrais pour la laitue, ou de semence de laitue, ou de laitue proprement dite, ou de poison pour les chenilles de la laitue, ou de pâtée pour attirer les oiseaux qui mangent ces chenilles, ou bien d'assaisonnement pour la salade, ou d'épices pour lesdits oiseaux en brochette. De toute façon, Marcovaldo en prit deux ou trois boîtes". (1)

Marcovaldo est un personnage de fiction, trop pauvre pour nourrir correctement sa famille. Il a donc convié femme et enfants à venir rêver avec lui au supermarché, comme on irait au cinéma. Chacun s'empare d'un chariot et y dépose des poulets rôtis, des régimes de bananes, des tubes de mayonnaise et une impressionnante quantité de marchandises qui sera ensuite redistribuée, un peu au hasard, dans les rayons avant le funeste passage en caisse.

De nos jours, faire les courses dans un hypermarché n'est pas une activité particulièrement valorisante. Dans les couples traditionnels, cette corvée se trouve donc le plus souvent dévolue aux femmes, avec cette petite exception du samedi après-midi où la famille se trouve parfois réunie pour pousser le chariot dans les allées.

Le ravitaillement collectif modifie alors totalement l'aspect ancestral, mesuré, plein de bon sens qui caractérise l'approvisionnement féminin du foyer. Les enfants en profitent pour exiger des douceurs nuisibles à la santé ainsi que de nombreux produits vus à la télé. L'homme abandonne rapidement son épouse dans les linéaires du rayon boucherie pour se diriger vers les espaces dédiés à ses petites passions (bricolage, accessoires auto, high-tech, jardinage, barbecue, etc.).

C'est ce genre d'évidences qu'un groupe de sociologues a tenté de décrypter à travers une étude sur la perpétuation de la différenciation sexuelle d'un chariot de supermarché (2). Car si cette corvée régulière est mieux partagée dans le couple que le ménage ou le repassage, elle demeure encore une prérogative féminine. Or, dans l'obligation même répétitive de la corvée, la ménagère tirerait une certaine satisfaction à contrôler les plaisirs de la tribu dans l'art du remplissage d'un chariot. L'héritage de pratiques culturelles ancestrales, familiales et sociales ne semble pas être remis en cause par la majorité de ces femmes interrogées, affirmant que : "sinon le frigo resterait vide". Le caractère sacrificiel serait ainsi transcendé par une sorte d'altruisme, inconnu chez le mâle, mais aussi compensé par la domination acquise sur le groupe auquel elle impose ses choix.

Toujours selon cette même étude qui ne révolutionne en rien les a-priori fondamentaux, les hommes chargés par intermittence du réapprovisionnement du foyer ont été rangés dans plusieurs catégories, parmi lesquelles : le "castré", envoyé sous mandat, avec une liste exhaustive et précise, puis pris en charge par le téléphone portable de sa femme agissant comme un audioguide dans les allées ; le "malin" qui adapte la liste à ses propres désirs et qui s'offre quelques bricoles pour se remercier d'avoir fait les courses, enfin le "gestionnaire" qui entreprend cette activité comme une performance économique dont il se croit être le meilleur garant. Tous auraient ceci en commun d'aborder cette activité banale comme une aventure des temps modernes.

Dans les couples de même sexe, c'est celui (ou celle) qui gagne le moins qui s'y coltine le plus souvent. Le temps disponible n'étant pas plus déterminant. Le discours égalitaire, pourtant si prégnant chez les gays et les lesbiennes, subirait ainsi les mêmes effets collatéraux dans le partage des tâches ingrates et récurrentes. Le statut social poursuivrait ainsi, par une certaine porosité atavique, sa petite tyrannie domestique au sein du couple homosexuel.

Mais cette étude scientifique, qui accrédite la plupart des présupposés en vigueur a, selon moi, négligé au moins deux facteurs déterminants :


- la valorisation conférée à celui ou à celle qui règle les achats ("Consommer, c'est exister") ;
- l'espèce d'ambiance de séduction qui peut régner dans ces allées du désir, où l'homme et la femme peuvent se raconter les fantasmes d'une rencontre autour d'un pot de Nutella ou d'un paquet de lessive.

Combien de fois, en faisant mes courses au Monop, ne m'est-il pas arrivé de croiser dans le labyrinthe des rayons autre chose qu'une tête de gondole...

(1) Marcovaldo, Italo Calvino, 1958. Ed.10/18)

(2) Petites histoires extraordinaires des courses ordinaires, sous la direction d'Isabelle Barth et Blandine Anteblian (Ed. EMS, 2011)

Rubrique librement inspirée par l'article Actu (17/06/11, Alice Géraud – Libération.)

Commentaires

Portrait de maya

je ne suis encore pas dans les "cases".

Nous sommes 2 et faisons les courses à 2 mais quelle galère ! je suis celle qui craque sur tout  ( par ex sentir toutes les senteurs de gel douche du rayon, passer une heure au rayon livres quand il trépigne ) et dois revider le chariot avant les caisses pour ne pas dépasser mon maigre budget

mon compagnon lui est rationnel et réfléchit aux menus possibles avec les denrées

moi je suis l'emmerdeuse qui achète nimporte quoi...

heureusement qu'il est là, au final on s'en sortirait mieux (et plus vite) s'il y allait seul

mais il refuse comme quoi ...chez nous faire les courses est une vraie corvée.Bisou

Portrait de BD92110

1 Truc déjà dit et redit mais toujours bon regarder le prix au Kilo. Et parfois calculer un peu car desfois les prix au kilo indiquer sont archi faux. Bien comparer les prix, il n'est pas rare que je voit un lot de 2 vendu plus de 2 fois plus chère que le même produit à l'unité pris 2 X. Faire une liste afin de rien oublier et surtout ne pas acheter plus que de ce que l ont a réellement besoin. Manger avant d aller faire c'est courses pour ne pas être tenter par de l'achat de gâteries. Si ont peut de temps étudier les prospectus. Sinon je dirais intéressant ce sujet.
Portrait de BD92110

ces courses et non pas c'est courses. ou ses courses. ces courses : celle là ses courses : les siennes.