ARV : Leibowitch pilote l'allègement !

Publié par Renaud Persiaux le 28.07.2011
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Iccarre : Intermittents en cycles courts les antirétroviraux restent efficaces. Un titre qu’il faudrait mettre à l’interrogatif. Tout comme l’est la réalisation de ce projet d’essai clinique très discuté, et dont le financement n’est pas réglé. En attendant que l’essai n’apporte ses réponses, le Dr Jacques Leibowitch, met en garde contre toute tentative "sauvage" de réduire de soi-même le nombre de ses prises.
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Des médicaments anti-VIH pris quatre jours sur sept peuvent-ils rester efficaces chez une personne dont la réplication du virus est contrôlée depuis plusieurs mois ? Pour poser cette question iconoclaste, sans doute fallait-il un homme qui le soit tout autant : Jacques Leibowitch, 70 ans et jeune retraité, a longtemps été maître de conférence, praticien hospitalier à l’Université Versailles Saint Quentin ; il reste médecin vacataire à l’hôpital Raymond Poincaré, à Garches. Envoyé en banlieue en 1979, "par un ponte du centre de Paris", l’homme a toujours été à la marge. Surtout, dit-il, après qu’on lui a fait "comprendre qu’il dépareillait dans les assemblées de constitué(e)s"...
Fougueux, voire emporté, "Leibo" est l’immunologue des stars. Il met facilement le conseiller santé de l’Elysée, Arnold Munnich, en copie des mails qu’il adresse au directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS). Impliqué dès le début de l’histoire française du sida, il considère avoir été "brisé" par les effets collatéraux de l’affaire du sang contaminé. Malgré des débuts prometteurs à la Harvard Medical School, pour des recherches en immunologie cellulaire au début des années 70, "à l’heure même de la naissance de la discipline", le Dr Leibowitch n’est jamais devenu professeur.
Souvent moqué par ses "pairs" médecins et chercheurs, il dispose cependant de données qui plaident pour la tenue de l'essai d'intermittence qu'il propose. Tout démarre en 2003. Lui et son équipe commencent à inviter quelques uns de leurs patients, déjà sous traitement et dont la charge virale est contrôlée depuis au moins six mois, à réduire leurs prises d’antiviraux, sous leur surveillance rapprochée. Des prescriptions "hors AMM" (hors autorisation de mise sur le marché) donc, un caractère dont il informe ses patients. De sept jours par semaine, ils passent à cinq. Puis quatre, puis trois… si la charge virale reste indétectable. Au total, 48 personnes seront traitées quatre jours par semaine pendant trois ans et demi. Certains passent à trois jours par semaine pendant plus de douze mois ensuite. Chez quelques uns, la réduction va jusqu’à deux prises par semaine seulement."Ça représente pas moins de 7 230 cycles hebdomadaires de traitement intermittent cumulés. Et ça, sans échec virologique !", souligne, pas peu fier, le médecin. Des données qu’il a publiées en janvier 2010 dans la revue scientifique américaine FASEB. Alors, pour lui, aucun doute : "Ces observations rétrospectives montrent la faisabilité des traitements de suite intermittents en cycles effectifs courts (quatre jours par semaine)".

Mais leur généralisation demande un passage obligé : celui d’un "essai clinique prospectif de grandeur convenable". Depuis plus de deux ans, il travaille sur le protocole, version après version. Cet essai ? Baptisé Iccarre pour "Intermittents en cycles courts les antirétroviraux restent efficaces"  – l’absence de point d’interrogation est un affichage qui inquiète beaucoup – et d’un coût estimé actuellement à 1,7 millions d’euros, ce projet ne sera pas mené par l’ANRS, mais par l’Université Versailles Saint Quentin.

Même s’il fustige le "conformisme" de l’AC5, l’instance d’évaluation scientifique des essais de l’ANRS, le "mouton noir du VIH" a, cependant, tenu à ce que son projet soit soumis à cette instance. "Je ne voulais pas d’un essai hérétique". L’an dernier [en 2010], on avait 9 voix contre, 1 pour. Cette année, c’est l’inverse, 9 voix pour et 1 contre. "Une dernière voix qu’il estime "primordiale, opposition salutaire, sorte d’aiguillon, qui nous évite les erreurs flagrantes". Et de fait, les remarques et propositions des évaluateurs ont permis d’améliorer nettement le projet.

"Primum non nocere"
Répertoire de bons mots, Jacques Leibowitch s’exprime dans un langage fleuri qui ne s’embarrasse pas des convenances habituellement observées dans les cadres contraints de la recherche clinique. Mais qu’on sous-entende qu’il a "expérimenté sur ses patients" et il s’offusque, criant à la diffamation. Car il le répète à l’envi : au cœur de sa pratique clinique, et au cœur de la question de recherche qu’il pose, il y a, justement, le souci des patients. Il commence la présentation de son projet en rappelant le code de déontologie médicale. "Primum non nocere", d’abord, ne pas nuire. Puisque, "quand on est médecin, on n’a pas le droit de donner plus de traitements que nécessaire", il voit dans Iccarre la possibilité de réduire la toxicité à long-terme des molécules antirétrovirales. "4 jours par semaines, ça veut dire au bout de 35 ans de prise d’ARV, s’être épargné 15 ans de toxicité. Pas négligeable si l’efficacité est la même !"
"Leibo" enchaîne les idées et les concepts, à toute vitesse, avec un faux air de Mélenchon ou de Gérard Depardieu. Lui dire le fait tempêter, ajoutant à la ressemblance ! De sa voix forte, il s’énerve. Car son essai, voyez-vous, il veut le mener, "défricher", avec le sentiment d’être un pionnier… Faux dur et séducteur, un brin paternaliste, "Leibo" parle avec cœur de ses patients… enfin ceux qui arrivent à le "supporter, parce que ce n’est pas une partie de plaisir tous les jours".

Une équipe compétente
Pour mener son essai, "Leibo" s'est entouré d’une équipe compétente, dotée d’un réel souci des patients, mais qui détonne : "Leibo" arrivant à vélo, le médecin Jean-Claude Melchior en jean et cheveux longs, l’immuno-virologiste Dominique Mathez, une collègue de trente ans, au sérieux reconnu mais discrète et donc… peu habituée des projecteurs. Au final, on est loin du look des médecins du centre de Paris, les leaders du Corevih Ile-de-France Centre, les respectés professeurs Gilles Pialoux, Christine Katlama, Pierre-Marie Girard. Ces derniers, assure "Leibo", sont cependant intéressés par son essai, comme co-investigateurs, pour inclure les patients de leurs services hospitaliers.

"Leibo" le martèle : "La plupart des cliniciens sont favorables à l’essai, car on sait désormais qu’il faut distinguer traitement d’attaque et traitement de suite. Le traitement d’attaque, qui doit être suffisamment puissant, il faut taper fort sur le virus, et, ce, tous les jours pour abaisser rapidement la charge virale, et empêcher l’émergence de mutations de résistances. Le traitement de suite, quand la charge virale est indétectable depuis six mois, peut être allégé". Après son tour de France, il l’assure, "presque tout le monde est convaincu de l’intérêt d’Iccarre !"

Une "révolution" en manque de financement
Convaincu, comment ne pas l’être quand le principe de l’essai, par les perspectives qu’il ouvre, est l’un des plus emballants qu’on ait vu depuis des années. "Iccarre, c’est une révolution en marche, s’enthousiasme-t-il. Ce n’est que le début, un essai pilote. Si on prouve que ça marche, il y aura de nombreuses nouvelles questions. A terme, ça peut tout changer !" Il veut d’un essai "sexy". "Certains ne le sont pas. Alors, les gens ne voient pas l’intérêt d’y rentrer, si ça ne change pas leur qualité de vie. Il ne faut pas s’étonner qu’ils ne recrutent pas".

Reste que la révolution a, pour le moment, du plomb dans l’aile. "Le nerf de la guerre, c’est le financement. Nous n’avons pas encore le financeur. Je voulais commencer avant cet été, cela ne sera pas avant 2012". Alors, pour faire le buzz, Jacques Leibowitch a écrit un livre, programmé pour la rentrée. Modestement intitulé "Pour en finir avec le S.I.D.A". Rien que ça !

Qualité de vie : quel impact ?
"Est-ce que cela sera mieux pour les patients ? En fait, on n’en sait rien, s’interroge Jean-Claude Melchior, un des médecins du service de l’hôpital Raymond Poincaré qui compte parmi les principaux investigateurs. Car après tout, peut être que ça va les perturber, les patients, de ne pas prendre leurs pilules tous les jours". Jacques Leibowitch opine : il y a les effets secondaires, aussi. "Sustiva [efavirenz, ndlr] par exemple, mieux vaut ne pas l’arrêter, sinon, c’est vertige assuré à la reprise !" Pour utiliser un questionnaire de qualité de vie le plus adapté possible, le médecin envisage de faire appel à Bruno Spire, chercheur en santé publique spécialiste de la qualité de vie [et par ailleurs président de AIDES, ndlr].

Le maintien de l’indétectabilité de la charge virale sera aussi un facteur majeur, quand on sait son rôle crucial dans les risques de transmission. Pour "Leibo", cette utilisation du traitement comme moyen de prévention [TASP], popularisée par Bernard Hirschel, est majeure, et ses observations sont rassurantes. "Leibo" s’amuse des réactions offusquées au moment des déclarations suisses : "Hirschel [un des premiers promoteurs du TASP] avait été si critiqué au début, alors qu’il avait raison !" Le médecin de l’hôpital Poincaré a un certain côté Hirschel d’ailleurs, en moins calme... Le lunaire Hirschel et le bouillant "Leibo" ! Lequel veut déterminer pourquoi la stratégie Iccarre marche chez certains, et pas chez d’autres. Trouver des critères objectifs, en somme.

Surtout pas d’intermittence sauvage !
Que des personnes vivant avec le VIH s’essayent maintenant aux interruptions, seules sans en parler à son médecin, et hors essai ? Certainement pas ! Jacques Leibowitch le déconseille formellement. "Ah non, il ne faut pas essayer seul dans son coin. On a montré que c’était possible dans certaines conditions, pour un certain temps, chez certains patients, et avec certaines molécules seulement. Et surtout avec un suivi rapproché. Le reste, pour l’instant, on ne sait pas". Et de terminer mi-rieur, mi-sérieux : "S’il y en a qui essaient, ils auront affaire à moi !"
On le taquine sur les deux noms du protocole. "Scariyet" (sic) en anglais, "effrayant, pourtant". Il ne l’a pas choisi par hasard. "Parce que oui, j’ai les boules que ça ne marche pas. Et c’est pour ça que je veux vérifier, que je veux faire cet essai".
"Iccarre" aussi parce que le nom sonne comme une mise en garde. Le jeune homme, pour avoir volé trop près du soleil, avait perdu les ailes de plumes et de cire que lui avait fabriquées son père Dédale. Et s’était abîmé dans l’océan. "Un peu comme nous, dans notre essai peut-être", précise "Leibo", "si on va en dessous de quatre jours sur sept". Simple référence amusée, ou avertissement avisé d’un médecin pas si tête brûlée qu’il n’en a l’air ? Allez savoir…

Plus de détails sur Iccarre ici.

Commentaires

Portrait de communard2011

Dr Leibovitch wrote:

 "quand on est médecin, on n’a pas le droit de donner plus de traitements que nécessaire"

En effet, et pourtant, pour un traitement donné, les doses sont les mêmes pour tous, gros, maigre, jeune, vieux... Sans parler des enfants qui disposent souvent de posologies bricolées...

Dr Leibovitch wrote:

 Surtout pas d’intermittence sauvage !

Que des personnes vivant avec le VIH s’essayent maintenant aux interruptions, seules sans en parler à son médecin, et hors essai ? Certainement pas ! Jacques Leibowitch le déconseille formellement. "Ah non, il ne faut pas essayer seul dans son coin. On a montré que c’était possible dans certaines conditions, pour un certain temps, chez certains patients, et avec certaines molécules seulement. Et surtout avec un suivi rapproché. Le reste, pour l’instant, on ne sait pas". Et de terminer mi-rieur, mi-sérieux : "S’il y en a qui essaient, ils auront affaire à moi !"

Ah ah ah quel blagueur ce docteur !

Evidemment cela marche mieux avec les prises bi-quotidiennes. Une prise oubliée et l'amplitude n'est alors que de 24 heures jusqu'à la prise suivante. 

Avec une prise uniquotidienne, l'amplitude est alors de 48 heures, - ce que rappellent/devraient rappeler notamment les infirmiers/mières dans le cadre de l'éducation à la santé -, soit deux jours jusqu'à la suivante qu'il ne faut pas oublier évidemment.

C'est une stratégie adoptée depuis au moins deux ans avec les diabétiques de type II équilibrés, c'est-à-dire dont le traitement et surtout l'hygiène alimentaire permettent de revenir à des constantes satisfaisantes. Leur diabétologue leur conseille d'oublier des prises afin de modérer les effets secondaires, notamment intestinaux..., provoqués par le glucophage, un vrai tue-l'amour.

Evidemment, comme pour les diabétiques de type II équilibrés, cette stratégie semble plausible pour les personnes vih à condition bien sûr, comme il est précisé, qu'elles aient "équilibré" au préalable, de façon durable et fonctionnelle (soit au-dessus de 20 % de CD4) la réplication de leur virus depuis plusieurs mois.

Mais n'est-ce pas ce qui se passe pour une bonne partie d'entre nous dans les faits, notamment le week end ou les soirs de sortie ? 

Portrait de romainparis

au sidaction pour financer cet essai ? Leibovitch a deviné qu'il y aurait une hécatombe chez les gays, il en a témoigné dans le documentaire Bleu-blanc-Rose d'Yves Jeuland. Surtout, enfin un docteur qui nous parle de qualité de vie...
Portrait de hugox

En effet, c'est à ça que devrait servir l'argent. Surtout qu'on sait que c'est ce qui se passera demain: beaucoup moins de médocs et de doses. Mais le système pourri est encore en place. Seule une prise de conscience pourra faire avancer les choses et surtout via Internet. Pire, les gens ont du mal à changer leur mentalités et beaucoup de protagonistes du sida restent très moroses et négatifs. Quand on voit ce que sont devenues les assos... Il est temps de briser ce système à fric.
Portrait de lounaa

bonjour hugox il y à un lien pour le soutenir ce toubib ? Bises
Portrait de hugox

mais changez les mentalités, postez en ce sens sur les forums. On peut améliorer beaucoup de choses dans le combat thérapeutique du vih mais cela n'arrange pas certains...fric. J'espère qu'on ne mettra pas de bâtons dans les roues de leibowitch...
Portrait de lounaa

suis d'accord avec toi ! à plus de 100/100 vu les dégats chez moi des traitements je sais de quoi je parle ! bizzzzzzzzz