L’Eglise a le genre mauvais !
La circulaire du ministère de l'Education nationale n’est pas neuve. Elle date très précisément du 30 septembre 2010. Elle prévoit que les programmes de sciences de première doivent, à la rentrée 2011, comporter un chapitre intitulé "Devenir homme ou femme". Celui-ci doit "affirmer que si l'identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l'orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée".
C’est une idée simple et juste qui devrait, ainsi abordée, soulager pas mal d’ados qui s’interrogent justement sur leur identité et leur orientation sexuelle. Mais voilà, rien n’est simple dans ce monde et les organisations catholiques ont décidé de mener campagne contre ces nouveaux programmes de biologie, une première. Les maisons d'édition ont évoqué selon des modalités variées ce chapitre, indique l’AFP qui a compulsé les dits manuels. Fin mai, la direction de l'enseignement catholique a écrit aux directeurs diocésains pour attirer leur attention sur "le discernement à apporter dans le choix des manuels pour cette discipline". Comprendre : utiliser les moins disant sur le sujet. Bien évidemment, histoire de faire bonne mesure, le courrier critique le chapitre incriminé car il fait "implicitement référence à la théorie du genre" qui a gagné ses dernières années ses galons de chiffon rouge… "La "théorie du genre", c'est que chacun choisit son identité sexuelle. Nous, nous disons qu'il y a une norme : on naît garçon ou fille et on réfute qu'on ait le choix de son genre", explique, de façon très dogmatique, à l’AFP Claude Berruer, adjoint au secrétaire général de l'enseignement catholique.
Il faudrait donc en rester au niveau des normes et des croyances, aux choux-fleurs et aux roses (avec option cigogne), sous la garde attentive de plusieurs associations catholiques, relayées par l’ancienne ministre Christine Boutin, présidente du Parti Chrétien-Démocrate (c’est le deuxième mot qui compte…) et désormais candidate à la présidentielle 2012. Cette dernière, jamais en retard d’un combat d’avant-garde, et des associations catholiques (tendance : "Darwin au poteau… les cathos auront ta peau !") ont lancé une pétition qui aurait recueilli "près de 32 500 signatures". Elle demande au ministre de l’Education Luc Chatel, d'apporter des "correctifs" ou d'"interdire l'usage des manuels incriminés". Il n’est pas encore question de soumettre les auteurs à la question… mais manifestement il suffirait de demander. Vu l’ampleur du barouf… l’AFP a interrogé les maisons d'édition. Ces dernières n'ont pas réagi, à l'exception de Bordas qui indique avoir "respecté le cahier des charges très strict fixé par le ministère, lors d'une réunion avec les éditeurs". Le ministre non plus n’a pas répondu. Crainte des foudres divines ? Chez les enseignants, en revanche, on s’agace. Le syndicat Snes-FSU dénonce une "croisade contre l'homosexualité" et l'UNSA Education juge que "les Eglises n'ont pas à donner leur avis sur des programmes scolaires qui visent à la formation de "citoyens" et non de "croyants". Bien vu, après tout le catéchisme, ça sert à ça.
Evidemment, comme souvent dans ces cas-là… l’Eglise ne voit que le soleil depuis sa fenêtre. Elle ne se préoccupe pas de savoir si ce choix pédagogique est fait dans l’intérêt des élèves. Le Groupe national information et éducation sexuelle en fait valoir un : lorsqu’il souligne que les personnels scolaires sont "confrontés au désarroi de jeunes en difficulté avec leur orientation sexuelle". Comme toujours, elle considère la moindre avancée sur l’orientation sexuelle comme du prosélytisme homosexuel. Interrogé par l’AFP (9 juillet), le sociologue Eric Fassin a une analyse des raisons de cette polémique. Il y voit "une dimension religieuse importante qui est explicite. L'Eglise catholique, du moins dans sa hiérarchie, s'est mobilisée contre le genre depuis 1995, c'est-à-dire depuis la Conférence de Pékin sur les femmes, en ayant compris que si l'on entre dans la logique du genre, cela veut dire effectivement que les rôles ne sont pas naturels. Et si les rôles ne sont pas naturels, ce que certains théologiens du Vatican ont compris, c'est que ça ne posait pas seulement la question de la place des hommes et des femmes, mais aussi la question des sexualités, par exemple la question du mariage homosexuel. Le lien entre théorie du genre et revendication homosexuelle a donc été fait très rapidement par l'Eglise, ou du moins par le Vatican". Et Eric Fassin de poursuivre : La "théorie du genre dit qu'il y a des normes. Simplement, comme ces normes sont sociales, elles sont discutables. Elles ont une histoire qui est politique, elles sont donc politiquement transformables". Généralement, ça s’appelle le progrès… lequel, contrairement au dogmatisme, n’est pas la chose la mieux partagée au monde. Evidemment, on comprend clairement ce qui panique l’Eglise catholique qui n’a qu’un rapport très lointain à la démocratie (il n’y a qu’à voir comment elle fonctionne). "L'inquiétude, c'est que si l'ordre des sexualités n'est pas fixé une fois pour toutes par Dieu ou la nature, cela veut dire que rien n'est fixé une fois pour toutes, et donc qu'il n'y a pas de limite à la logique démocratique. La logique démocratique, c'est qu'il y a des lois, des règles, des normes et que l'on peut les discuter", précise le sociologue. Evidemment, se placer dans cette perspective demande plus de travail… c’est plus difficile et plus exigeant que de faire croire que la théorie du genre est la nouvelle tenue de Lucifer !
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Commentaires
La meilleure réponse est :
sur le terrain, les choses diffèrent parfois
Oui, ces cas sont des gouttes d'eau dans
Un peu facile non ?
L'église, le sexe & l'histoire
ce qui me gène c'est l'amalgame...