Un ange passe

Publié par Ferdy le 21.09.2011
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Le chroniqueur hebdomadaire doit ici révéler l'embarras qui le saisit...
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Le chroniqueur hebdomadaire doit ici révéler l'embarras qui le saisit. Parmi les multiples sujets offerts par l'actualité la plus récente, il a eu beau s'efforcer de s'intéresser a minima aux grandes questions qui agitent la planète, il n'y en a pas une seule cette semaine qui retient vraiment son attention. Il fait comme vous, il butine, il croit pouvoir faire son miel d'un épisode que celui-ci se trouve déjà distancé par un autre, ni plus attrayant que le précédent, ni moins susceptible d'éveiller la curiosité pour qu'instantanément, dans le moment même de son saisissement, il perde pour ainsi dire toute matière, toute pertinence.
A chaque tentative, il éprouve l'inanité de sa mission. Il a beau y croire et tenter de faire partager son enthousiasme comme son doute que quelque chose de supérieur vient lui rappeler que son sujet lui échappe irrémédiablement. Il est ailleurs. Dans cette irrésolution, dans son impuissance à dire ce qui lui tient à cœur pour de vrai. Il a beau farfouiller dans ses dossiers, éplucher les dépêches d'agences, scruter le paysage, parcourir la cité ou s'asseoir face à son écran plat : sans renoncer totalement, il doit bien avouer son impuissance à commenter ce qui l'entoure. Ça lui échappe.
Pour une fois, il souhaiterait pouvoir s'abstenir et disparaître, au moins provisoirement. Ne pas avoir d'avis bien tranché, rien qui pourrait convaincre un lectorat volatile, comme lui nourri d'espoirs et de désillusions. C'est ainsi qu'il s'engagerait dans une chronique brouillonne, balbutiante, heureuse et vague, sans motif, sans mobile, sans référent. Peut-être y avait-il déjà songé auparavant, sans pouvoir se l'avouer. Ce n'était à l'époque qu'une esquisse, un rêve fou, un risque dont il n'était pas certain de pouvoir assumer la vacuité.
Le péril semble énorme pour celui qui tient une chronique d'exposer plus ou moins clairement qu'il n'a rien à dire. On pourrait, à juste titre, lui en vouloir ; on supportait jusqu'alors la banalité de ses propos ou ses provocations à peine risibles. Voilà maintenant qu'il mettait un point d'honneur à faire acte de présence pour affirmer que cet écran eût gagné à préserver sa limpide blancheur.

Il sait, ou croit deviner, qu'il se trouvera quelques détracteurs pour condamner cette hérésie d'affabulation narcissique. Les gens ont autre chose à faire, surtout par les temps qui courent, que de lire un billet sans humeur, sans opinion, sans sujet. Si encore il lui avait été donné de s'excuser d'une panne d'exaltation, le problème n'aurait pas été recouvert par tant d'arrogance. Mais non, il fallait que jusque dans le retranchement, il cherchât à exprimer l'objet même de sa faillite.
Pour être tout à fait franc, il avait bien été tenté un instant, un très court instant, de se lancer sur le sujet des gender studies. Qu'y aurions-nous appris de nouveau ? Rien. Que la sexualité n'est pas seulement anatomique, mais aussi culturelle, sociale et politique. Ce sujet n'a-t-il pas déjà été moult fois débattu ?
Non, il regardait la couleur du ciel, l'évolution des minces couches nuageuses en altitude, les quelques toiles d'araignées qui encombraient les encoignures des portes et des fenêtres de son taudis. Il rêvait, il se surprenait à rêver d'un déplacement, d'une rencontre, d'une possible mise en danger intime et nécessaire.
Peut-être que sa chronique ne faisait pas le poids face à toutes les turbulences financières, sociales et morales. S'il en avait eu le temps, il aurait bien cherché une citation appropriée à la situation. Mais il espérait qu'en laissant ainsi l'autre se faire sa propre idée de l'inachèvement de toute entreprise humaine, il lui offrait ainsi l'occasion de respirer et de goûter à ces quelques instants de flottement qui, mieux que tout autre, ouvrent une voie naturelle à cette impalpable félicité.

Commentaires

Portrait de alsaco

Portrait de frabro

Chaque ligne de ta turbullence oblige à réfléchir.

Je n'ai pas vu d'ange passer dans l'actualité, plutôt agitée de ses démons habituels : sexe, fric, pouvoir, parfois les trois à la fois. 

Alors oui, pourquoi pas : flottons quelques instant, prenons un grand bol d'air, respirons un peu de sérennité et...replongeons dans l'arène !

Soit, un ange passe, admettons que les anges existent. Mais me revient aussitôt en mémoire la réplique de Jeanne Moreau :" bon, quest-ce qu'on fait, on l'enc.... ?"

Portrait de GILA

Je ressens souvent cela....

"il croit pouvoir faire son miel d'un épisode que celui-ci se trouve déjà distancé par un autre, ni plus attrayant que le précédent, ni moins susceptible d'éveiller la curiosité pour qu'instantanément, dans le moment même de son saisissement, il perde pour ainsi dire toute matière, toute pertinence."

 

Fabro, excellente la réplique de Jeanne Moreau Clin d'oeil