La stabilité des découvertes de séropositivité en 2010 est-elle une bonne nouvelle ?

Publié par Renaud Persiaux le 29.11.2011
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Chiffresépidémiologie

C’est un des traditionnels rendez-vous du 1er décembre. La publication dans le "Bulletin épidémiologique hebdomadaire" (BEH) des chiffres officiels français de l’épidémie de VIH et des infections sexuellement transmissibles (IST). Verdict : 6 300 personnes ont découvert leur séropositivité en 2010. Comment comprendre ce résultat ? Décryptage.

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Une apparente stabilité qui cache des disparités flagrantes. Depuis 2008, le nombre de nouvelles découvertes de séropositivité est stable, autour de 6 300 (6 340 en 2008, 6 341 en 2009 et 6 265 personnes en 2010).


Augmentation chez les gays/HSH
Seulement voilà : en 2010, le nombre de gays découvrant leur séropositivité augmente. De gays et autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH dans le jargon épidémiologique), qui inclut les hommes mariés et plus généralement tous ceux qui ne  se reconnaissent pas comme gay.

 
Inversement, cela a tendance à baisser dans les autres groupes : hommes et femmes hétéros né(e)s en France, hommes et femmes hétéros né(e)s à l’étranger. En 2010, 2 500 gays/HSH ont découvert leur séropositivité et 3 600 hétéros. 70 usagers de drogues injectables (UDI) un chiffre stable qui représente 1% des découvertes.

 
Recours au dépistage
Des résultats qui ne semblent pas trouver leur explication par des modifications du recours au dépistage selon les groupes. Par exemple, un plus grand recours aux tests de dépistage chez les gays par rapport à d’autres groupes, selon l’épidémiologiste Francoise Cazein, de l’Institut de veille sanitaire. C’est là où la compréhension de ces chiffres est complexe. Il s’agit des découvertes de séropositivité en 2010 (celles-ci pouvant être ancienne ou récentes), dont la déclaration (anonyme) est obligatoire par les médecins depuis 2003. A ne pas confondre avec les nouvelles infections en 2010 (qui peuvent être découvertes ou pas, et qui sont calculées par des modélisations mathématiques, lire l'encadré ci-dessous).
Avec 5 millions de sérologies VIH en 2010, le recours au dépistage reste constant. Au total, pas moins de 77 sérologies sont réalisées pour 1 000 habitants. Une moyenne qui cache là encore des chiffres très variables d’une région à l’autre (très élevé, par exemple en DOM). En tête, la Guyane (168) ; en queue, les Pays de la Loire (51). Les trois quart des tests sont effectués en laboratoire de ville.

Découvertes
En moyenne, on compte 97 découvertes dé séropositivité par million d’habitants. Là encore, c’est très variable d’une région à l’autre. En Guyane, c’est 1 124 (11 fois plus !) ; 245 en Ile-de-France, 87 en Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’Auvergne est la région comptant le moins de découvertes par million d’habitants (31), les chiffres corses, limousins et francs-comtois n’étant pas disponibles.

Sous-type B
Autre tendance, celle révélée par l’étude des proportions des différents sous-types de VIH : le sous-type B (qu’on rencontre en Europe, et pas en Afrique subsaharienne) et les sous-types non-B (très fréquents en Afrique subsaharienne, pas en Europe). Selon Florence Cazein : "Elle révèle que 25% des personnes nées en Afrique subsaharienne sont contaminés en Europe." Autre chiffre : "20% des gays sont contaminés par un sous-type non-B, cela a augmenté de 15% à 20% en quelques années".

Un dépistage trop tardif
Parmi les mauvaises nouvelles : en 2010, encore 15% des personnes découvrent leur séropositivité au stade sida. Et plus d’une personne sur 4 la découvre à moins de 200 CD4. Alors qu’il est recommandé de commencer le traitement en dessous de 500 CD4, et qu’un dépistage aussi tardif est très préjudiciable à la santé des personnes. Et qu’on sait qu’un traitement commencé suffisamment tôt permet une espérance de vie pouvant rejoindre celle de la population séronégative. Résultats : deux autres chiffres ne diminuent plus. Celui des cas de sida, 1 500 chaque année depuis 2007. Et celui des décès liés au sida, 300 chaque année depuis 2007.

La part de dépistage en primo-infections reste trop faible

Si les gays sont dépistés de façon plus précoce que les autres (50% à plus de 500 CD4), la part de personnes découvrant leur séropositivité en primo-infection reste trop faible. Cette part de découverte en primo-infection a augmenté jusqu’en 2007, mais stagne à 20% depuis. "Ça n’augmente plus alors que c’est important pour diminuer la dynamique de l’épidémie !" Pendant les semaines qui suivent l’infection, la quantité de virus produit est très importante (avec souvent des charges virales de 100 000 voire 1 million de copies/ml) et une ignorance de son statut qui permettrait une adaptation des stratégies de prévention. Beaucoup de chercheurs estiment, en effet, que cette courte période serait à l’origine de la moitié des nouvelles infections.

Bonne nouvelle ou pas ?
Comment comprendre cette augmentation du nombre de nouveaux diagnostics chez les gays ? Spontanément, on se dit qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle. Mais certains, comme Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida, y voient une "bonne nouvelle, qui traduit une amélioration du dépistage dans cette population".
Pas si simple, selon Florence Cazein. "Bonne nouvelle ou pas, c’est difficile à dire. Cela pourrait éventuellement l’être si on avait une augmentation des diagnostics précoces (et notamment en primo-infection). Or ce n’est pas le cas". De fait, "ces chiffres de surveillance sont très difficiles à interpréter pour comprendre l’évolution précise de l’épidémie. Une augmentation de la proportion des dépistages tardifs est intéressante en termes de rattrapage des anciennes infections. Quant à l’augmentation de la proportion des primo-infections, elle l’est aussi en termes d’ "attrapage" (qui concerne les personnes nouvellement infectées) très précoce qui permet d’éviter des contaminations secondaires [ici, la transmission du virus à une autre personne par une personne elle-même récemment contaminée, ndlr], mais elle traduit aussi que l’épidémie reste très active".
A ses yeux, "la précocité du diagnostic est cruciale, pour améliorer la santé des personnes et réduire la dynamique de l’épidémie". Sa préconisation : "Sensibiliser les médecins et les personnes au dépistage".


Que se passera-t-il en 2011 ?
Sensibiliser au dépistage ? C’est précisément ce que prévoit le Plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014 rendu public fin 2010.  Florence Cazein espère voir sur les chiffres 2011 publiés en 2012 "une augmentation du nombre de dépistage (plus de 5 millions) et surtout des diagnostics précoces".  

Télécharger le BEH.


Incidence : 7 000 nouvelles infections à VIH en 2009    
Peu de nouveautés en termes des calculs d’incidence, c'est-à-dire le nombre de nouvelles contaminations survenues en 2009. Il s’agit d’extrapolations mathématiques fondées notamment sur le nombre de nouvelles découvertes et le taux de tests d’infection récente (moins de 6 mois) positifs, le tout mouliné avec des équations complexes.
Ces chiffres déjà connus sont rappelés par Stéphane Le Vu, épidémiologiste à l’Institut de veille sanitaire (InVS). Entre 2003 et 2008, on a constaté une baisse globale de l’incidence... qui atteint 7 000 nouvelles contaminations en 2008. On sait désormais que c’est resté stable en 2009.
Plus dans le détail, on voit qu’il n’y a pas de baisse chez les gays/HSH et les personnes usagères de drogues par injection. Et les niveaux d’incidence sont très différents. En population générale, il y 17 nouveaux cas de VIH pour 100 000 personnes. Et 1 006 chez les gays/HSH. Soixante fois plus, pour une incidence de 1% chez les gays/HSH. Ces deniers représentent à eux seuls la moitié des nouvelles infections. Pas d’évolution notable en 2009 : on reste à 18 en population générale (et toujours 1% chez les gays/HSH).
De nouveaux calculs ont été faits en fonction de grandes zones (Ile-de-France, métropole hors Ile-de-France, Départements d’outre-mer ou DOM), de l’orientation sexuelle, et de deux tranches d’âges (en-dessous ou au-dessus de 35 ans). Verdicts ? Ça baisse dans les DOM et en Ile-de-France, mais pas en métropole hors Ile-de-France (en "province"). "L’incidence est 2,5 fois plus forte dans les DOM. Ce serait plus fort si on ne considérait que les départements français d’Amérique (Martinique, Guadeloupe, Guyane), ce qui sera fait prochainement", souligne l’épidémiologiste. En revanche, l’InVS n’envisage pas de faire un calcul de l’incidence pour 2010

 

Quelle évolution des IST ?
Guy La Ruche, épidémiologiste à l’Institut de veille sanitaire (InVS), présente les derniers chiffres de surveillance des IST.
- La syphilis reste stable quelle que soit l’orientation sexuelle et quelle que soit la région. A noter que la part des gays/HSH a diminué de 60% au des débuts des années 2000 à 40% en 2010.
- La gonococcie ("chaude-pisse") augmente, et ce quelle que soit l’orientation sexuelle. Les gays/HSH représentent 50% des cas en 2010. On constate une augmentation des souches résistantes aux traitements de première intention (céphalosporine) ; le 1er cas a été observé en 2010, c’était un HSH.
- Les chlamydiae augmentent. En 2010, deux tiers des cas sont asymptomatiques, contre un tiers auparavant. Cela montre que le dépistage s’améliore.
- La LGV (lymphogranulomatose vénérienne) rectale et les rectites à chlamydiae (ce ne sont pas les mêmes souches qui les provoquent) restent stables depuis 3-4 ans. Elles concernent très majoritairement les gays séropos en Ile-de-France. Mais attention, elles s’étendent depuis peu à la province (Ile-de-France : 92% en 2002-2009, 78% en 2010) et aux séronégatifs (92% de séropositifs en 2004-2008 contre 83% en 2009 -2010).

L’utilisation de la capote pour la fellation "reste insuffisante" selon Guy La Ruche, entre 1 et 3%, "alors que c’est un mode de transmission des IST très efficace". Alors, face à ces IST qui se transmettent aisément par fellation, une solution : le check-up IST régulier. "Au moins un check up IST complet tous les ans si vous avez moins de 20 partenaires par an, et tous les six mois si vous avez plus de 20 partenaires", préconise le Dr Michel Ohayon, directeur du centre de santé sexuelle le 190 à Paris.
 

Commentaires

Portrait de frabro

Voici un lien permettant de lire l'article de l'Observatoire Régional de Santé d' Ile de France. Il serait intéressant de comparer les évolution sur le territoire national et sur cette région dans laquelle on recense un taux de séropositivités découvertes plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale et quatre fois supérieur à celui observé hors Ile-de-France. http://www.ors-idf.org/dmdocuments/plaquette_KABP.pdf
Portrait de Joan

I have a dream... Le jour où seront publiés les chiffres des personnes définitivement guéries du sida... Des chiffres qui chaque années augmenteraient dans le monde sans différence de sexe, de race, de couleurs ou de tendances amoureuses... Please dream with me!
Portrait de romainparis

en 2010, auquel il faut ajouter celles dont nous ne savons pas faute d'avoir été dépistées. Donc, officiellement, 525 personnes par mois apprennent leur séropositivité. Mon seul commentaire : je trouve ce chiffre énorme. Je ne nie pas, c'est juste que je pense qu'il y a vraiment un problème de communication/campagne d'information à revoir d'urgence derrière cela. Les assocs doivent vraiment se remettent en cause et ne pas s'endormir sur leurs lauriers. Plus de blabla, plus de consensuels, je réclame des actions percutantes et pertinentes !
Portrait de sonia

6300 personnes en France toutes confondues? car l'histogramme sépare les données entre français nés en France et ceux nés à l'étranger...ce qui englobe les antillais, réunionnais, guyannais, caldoches et kanaks , qui sont des departements français il me semble...