VIH : les labos font la loi… hélas

Publié par Sophie-seronet le 30.03.2012
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propriété intellectuelleAfraVIH 2012
Une session intitulée "Propriété intellectuelle et conflit d’intérêt" s’est déroulée à l’occasion de la Conférence francophone de Genève. L’occasion de comprendre les enjeux (ou du moins l’envie de saisir ce qui m’échappe encore) de cette question déterminante pour l’avenir de la prise en charge des personnes… et, par voie de conséquence, de la lutte contre le sida. Regard personnel par Sophie-seronet.
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La session "Propriété intellectuelle et conflit d’intérêt" s’est ouverte par une première présentation musclée de Benjamin Coriat sur le Patent pool (la communauté de brevets). Cet économiste de la santé, rattaché à l’Université de Paris 13 et expert à l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales porte ses mots hauts et forts. Il explique que tout ce qui a été acquis à la conférence de Doha en 2001, avec, entre autres, l’entée des fabricants de médicaments génériques dans la production des antirétroviraux est extrêmement menacée. Jusque-là… je suis. Mais il faut aussi tenir compte du traité ACTA  (Anti-Counterfeiting Trade Agreement /Accord commercial anti-contrefaçon) entre l’Union Européenne et l’Inde dont une des tares est de permettre d’assimiler les génériques aux contrefaçons. Ce qui participera, de fait, à bloquer la diffusion des médicaments génériques au Sud.


En parallèle, au Sud, il est vital pour de nombreuses personnes de proposer des antirétroviraux de seconde ligne et des outils indispensables pour mesurer la charge virale. Au lieu de ces avancées, pourtant indispensables, les pays du Sud se retrouvent avec une augmentation des prix des médicaments antirétroviraux de première ligne quasi constante depuis 2007. Cette situation est tragique. Elle constitue une menace pour la vie des personnes, mais aussi hypothèque très sérieusement un arrêt de l’épidémie. Quand on sait qu’un passage de traitement ARV de seconde ligne représente une multiplication qui oscille entre 200 et 500% du coût des traitements de première ligne, on estime encore mieux l’urgence de la situation. Et la solution idéale que constituerait le Patent pool… cette communauté de brevets qui permet de fabriquer des génériques diffusables largement dans les pays du sud sans pour autant priver les laboratoires qui ont créé les médicaments princeps de leur rétribution. Voilà le contexte pour le Patent pool…

Côté bilan, c’est aussi mitigé. Si l’idée même du patent pool, soutenu par les gouvernements et les organisations internationales est plébiscitée. Il convient aussi que les achats de médicaments qui sont financés par UNITAID soient exemplaires. Il s’agit d’argent public et ne pas ruiner la crédibilité de ce qui est fait, est primordial. Ce n'est pas aux laboratoires de fixer le coût des médicaments selon des critères qu'ils ont décidés. Vient s’ajouter à cela, le balai des laboratoires : entre ceux qui refusent de céder leurs brevets au Patent pool, ceux qui les cèdent partiellement, pour un temps seulement, qui cèdent la molécule mais sans le principe actif, aux pays à bas revenus, mais pas à ceux aux revenus intermédiaires, pas pour toutes les molécules et tout ça négocié contractuellement au coup par coup, contre des royalties. Benjamin Coriat fulmine contre le bilan du Patent pool parce qu’il est trop mince. Et d’ajouter : "De nombreux verrous doivent sauter. En attendant, je suis un économiste atterré !"

Un représentant de Gilead, présent parmi les auditeurs, et sur la sellette du Patent pool, demande un droit de réponse, qu’il obtient. Droit de réponse qui ne convainc personne. Quand on fait passer les profits économiques au détriment du droit de la santé pour tous, c’est difficile de le justifier… et  de se faire applaudir.


La deuxième présentation de cette session traite des "questions telles qu’elles se posent dans l’expérience du Fonds mondial" de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose. Très logiquement, elle est laissée aux mains expertes de Michel Kazatchkine, ancien directeur exécutif de l’institution : "Je ne suis pas un expert de la propriété intellectuelle, mais ce sont des questions clé pour le Fonds mondial. Le budget des produits de santé, c’est 40% du budget du Fonds mondial, ce qui représente 40% de 3 milliards de dollars par an". La discussion sera limitée aux antirétroviraux, source de la préoccupation de la session.

Chaque pays, qui bénéficie de l’aide du Fonds mondial est souverain dans ses achats de médicaments (quantités, tarifs…). Le rôle du Fonds mondial est de s’assurer que les achats se font au meilleur prix pour des médicaments de qualité, pré-qualifiés par l’Organisation mondiale de la santé. Depuis deux ans, certains pays souscrivent à des achats groupés parce des pays ne parviennent pas à estimer la quantité exacte d’ARV dont ils vont avoir besoin. Si l’objectif de ces achats groupés était de permettre, de manière transitoire, à ces pays de renforcer leur capacité à prévoir, il a permis d’obtenir l’achat d’antirétroviraux à des prix négociés, alors que ce n’était pas l’objectif premier. Je ne peux m’empêcher de me réjouir à cette annonce… qui montre de bons résultats obtenus par simple pragmatisme…
La transparence et l’affichage des coûts sur le site du Fonds mondial est un combat dont Michel Kazatchkine est fier : "La transparence pour 120 pays du monde, tous les prix, pays par pays". Au Sud, la pérennisation des traitements est liée au prix et à sa stabilité (pas de hausse) alors la volonté du Fonds mondial de s’engager uniquement pour un an, période renouvelable, va à l’encontre de cette pérennisation. Michel Kazatchkine le dira plusieurs fois pendant ces trois jours : "Maintenant que je ne suis plus au Fonds mondial, je libère ma parole".

Les médicaments génériques ont provoqué de l’innovation, les contraintes financières vécues par les pays du Sud, ont généré les doses fixes et combinées, ce qui a révolutionné les traitements au Nord. Une donnée dont on parle peu. Dans ce contexte, je comprends encore mieux que l’enjeu autour des génériques pour les pays du sud est un débat essentiel. Les antirétroviraux vont être de plus en plus brevetés et les brevets sont source de complexité. La molécule est brevetée mais la forme d’utilisation de la molécule peut l’être aussi. Pour vous donnez une idée : le ritonavir (Norvir) est l’objet de  800 brevets autour de sa petite boite. Difficile pour moi de seulement l’imaginer… Le Fonds mondial finance à 90% des génériques, si on assiste à la mort des accords de Doha à travers le Patent pool et ACTA, la situation sera dramatique et l‘accès vital pour les pays du Sud aux ARV de seconde ligne un rêve devenu cauchemar.

Afin que le tableau esquissé soit complet, il faut en plus, tenir compte des accords bilatéraux avec les Etats-Unis et l’Europe. Et là, je ne maîtrise plus du tout… J’ai donc demandé à nos amis de la Coalition PLUS un article sur le sujet ; on finira bien par l’avoir.


A ce moment là, je me dis que les priorités de santé doivent passer devant les priorités économiques, tout le temps et pour tous. Comment dans un système élaboré de manière aussi complexe, est-il seulement possible d’optimiser l’accès aux traitements ? Et le temps passé à élaborer de telles stratégies économiques ne serait-il pas mieux utilisé et avec plus de pertinence à le simplifier ? Je laisse le mot de la fin à Michel Kazatchkine : "Le traitement est un bien public mondial".

Commentaires

Portrait de KRIS3

Si je puis me permettre de donner un avis global , sur le texte ci-dessus ; Si je comprends bien , l'avis des laboratoires et de Gilead serait de faire" passer les profits économiques au détriment du droit de la santé pour tous " . S'il on prend en compte la situation économique de l'Inde , pays émergent dont la population sera supérieure à celle de la Chine dans les 30 années à venir , il existera un potentiel encore plus grand de population à soigner ! Ces 2 pays auront à soigner une population séropositive de plus en plus importante , d'autant plus si les génériques sont considérés comme des contre-façons et que seuls les médicaments originaux de chaque laboratoire auront le droit de citer , ce qui sera payer par la population et le gouvernement indien et chinois devenu plus riche dans 20 ou 30 ans . En deux mots , les laboratoires réalisent qu'en interdisant les génériques , ils se garantissent une population de séropositifs pour l'avenir dans ces 2 pays , dont les médicaments seront payés par leurs gouvernement et tranche de la population devenue plus riche ! tout comme ici , la sécurité sociale le fait ! Les laboratoires n'ont évidemment pas envie de laisser la source se tarir !! Ai-je raison ou tort ?