Prep : L’Europe est-elle une île ?

Publié par Jean-Marie Le Gall le 26.07.2012
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ConférencesPrEPAIDS 2012

Les personnes séropositives sous traitement efficace ne risquent plus de transmettre le VIH, c'est un fait. Aujourd'hui, un nouveau débat est ouvert : qu'en est-il des personnes séronégatives qui souhaitent prendre des antirétroviraux pour éviter de contracter ce virus (Prep) ? La stratégie semble efficace, la Food and Drug Administration (Agence américaine du médicament) a même donné son approbation aux USA mais, encore une fois, l'Europe est à la traîne.

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Mardi 24 juillet, la conférence abordait les nouvelles stratégies préventives du VIH reposant sur la prise de médicaments antirétroviraux (ARV) par des personnes séronégatives, la Prep (en anglais : Pre Exposure Prophylaxis, en français : Prévention pré exposition). Le décalage entre les discussions et les interrogations françaises et européennes était frappant.

Pour les intervenants des deux sessions (venant des Etats-Unis, du Brésil, d’Afrique du Sud, du Pérou ou des représentants de l’Organisation mondiale de la santé) la question n’est plus pour qui et pourquoi (Who and Why ?) tout le monde est d’accord pour dire que ce nouvel outil est efficace et qu’il sera utile pour les personnes très fortement exposées au VIH (High Risk Populations) et pour lesquelles le préservatif ne suffit pas. Les recommandations tout récemment publiées par l’OMS l’affirment tranquillement.


La question est plutôt, dès maintenant comment mettre cela en place concrètement dans les conditions de la "vraie vie". Trois projets démarrent, dont certains dès août 2012, avec l’objectif d’évaluer ce qui va se passer réellement en dehors des conditions artificielles mais nécessaires des recherches des années précédentes. Le décalage avec le contexte français est, de ce fait, très marqué pour nous qui sommes encore dans un essai de recherche biomédicale en phase pilote (essai IPERGAY avec l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites et AIDES).

En revanche, pour les pays qui avancent sur la Prep dans la "vraie vie", de nouvelles questions émergent qui rejoignent celles que nous nous sommes posés ou que nous posons pour l’essai IPERGAY. Il s’agit notamment d’anticiper et d’accompagner la manière dont les personnes vont intégrer ce traitement préventif dans leur vie de tous les jours et dans leur sexualité. La recommandation officielle issue de la recherche est bien de prendre un comprimé de Truvada tous les jours, mais les concepteurs du projet imaginent déjà que cette prise tous les jours sera intermittente dans la durée en fonction des besoins de prévention des personnes (ils parlent de "seasonal prescription"). Il est clair, pour eux, que le besoin d’une Prep ce n’est pas pour la vie, ce n’est pas forcément pour toute l’année et quand on pousse le questionnement ils nous disent que, pour certains, cela pourrait être seulement pour une semaine même si cette semaine peut se répéter plusieurs fois par an !

En écoutant cela il est difficile de ne pas se demander comment ou pourquoi la situation vis-à-vis du Truvada en Prep est pour le moment abordée de manière si différente en Europe et en France. Sommes-nous sur une île avec une épidémie très différente qui justifie notre approche actuelle ? Sommes-nous plus prudents et plus protecteurs des usagers du système de santé ? Avons-nous des besoins différents en termes de données ou de garanties pour intégrer ce nouvel outil de prévention dans nos systèmes de santé publique ?


Autant de questions auxquelles chacune des parties prenantes, associations, scientifiques, décideurs en santé publique et politiques, aura à répondre cet automne, individuellement et collectivement. La France n’est pas le Brésil ou les Etats-Unis et nous avons à explorer nos besoins spécifiques dans notre contexte. Cependant nous n’avons pas forcément besoin de redémontrer, qu’aussi de notre point de vue, la terre tourne autour du soleil.

Commentaires

Portrait de frabro

Pourrait-on définir clairement ce que sont ces populations à risque élevé de contamination et "pour lesquelles le préservatif ne suffirait pas" ? Une vraie définition éviterait que l'on imagine comme nombre de séronautes que ce sera accès à la Prep gratuite pour tous en alternative au préservatif. A la lecture de l'article, il semble d'ailleurs que ce soit l'Amérique qui soit une île et non l'Europe...Quid de l'Afrique et de l'Asie dans ces raisonnements de pays qui, comme les USA, prônent les traitements préventifs alors même que l'accès aux soins des plus démunis sur leur territoire n'est pas assuré et que l'épidémie flambe dans les populations défavorisées qui n'auront pas les moyens d'accéder à ce mode de prévention ? Alors oui, peut-être que nous sommes une île : celle où l'accès au soins pour tous est garanti et priorisé sur des modes de préventions coûteux et encore aléatoires.
Portrait de jean-rene

Bien d'accord avec toi Frabro. La Prep m'a toujours semblé être un moyen de prévention coûteux (environ 600 euros par mois) qui, soit pourra être payé par des riches de pays développés, soit sera financé par le contribuable qui devra alors payer pour les quelques frénétiques du sexe à nu qui ne peuvent plus supporter la capote. "Jouir sans entraves" aux frais du contribuable !
Portrait de skyline

Mais enfin amis séronautes! C'est moins coûteux de fournir du Truvada à la demande (par exemple dans les temps d'activité sexuelle intense, ce qui ne dure pas toute la vie ni tout le temps pour la plupart des mecs) que de fournir une trithérapie pour la vie! Vous nous ressortez les mêmes arguments que sur le TPE ou le TasP, arguments démontés par la pratique. Et la bataille pour les génériques pour les pays pauvres, vous l'oubliez? Allons, allons, soyons pragmatiques...