Etrangers malades : on maltraite en préfecture !

Publié par jfl-seronet le 17.12.2008
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Aujourd'hui, le droit au séjour pour raison médicale est devenu pour le gouvernement un outil de maîtrise de l'immigration. On peut en juger par les pratiques désastreuses dans nombre de préfectures qui fait passer un message aux étrangers, même à ceux qui sont atteints d'une maladie grave : “Vous n'êtes pas les bienvenus !” Séropositives, Anna, Marie-Thé, Solange, Fanny témoignent de ce qu'elles subissent.
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Sur son visage, la lassitude. Raconter une fois de plus ce qu'elle a vécu, revenir sur des moments douloureux, ressasser ses craintes… Pourtant, Anna se lance et reprend le fil de sa vie depuis son arrivée en France en 2002. Elle passe vite sur le séjour de deux mois à l'hôpital où elle a appris, de la bouche de sa sœur (le médecin ne lui a rien dit) qu'elle avait une tuberculose… et le VIH. Elle parle de ses démarches pour obtenir un appartement thérapeutique, de la vie avec des bons alimentaires et de la guerre continuelle pour avoir des papiers. Au début, les choses ne se sont pas trop mal passées. Elle a obtenu un récépissé de trois mois pour raison de santé pendant l'examen de sa demande, puis une carte d'un an et encore une…

“J'ai eu quatre fois la carte d'un an, explique Anna. C'est l'année dernière que les difficultés ont commencé avec la préfecture des Yvelines (Versailles). Mon dernier titre de séjour expirait en juillet 2007. Quatre fois, la préfecture de Versailles m'a donné un récépissé. Au début, j'avais une convocation lorsqu'il fallait que je passe prendre mon nouveau récépissé, puis après la préfecture n'a plus prévenu. Il paraît que c'est parce qu'il n'y a plus d'argent. Je devais donc tenter ma chance de temps en temps.”


A la préfecture de Versailles, les étrangers n'ont jamais été reçus comme des rois, mais ces dernières années, cela atteint des sommets. “La préfecture ouvre à 8 h 45, il faut faire la queue très tôt. Certains jours, seuls cinq ou six personnes, venues retirer leur récépissé, ont droit à un ticket d'entrée. Evidemment, on ne sait jamais à l'avance combien pourront rentrer. Parfois à 9 heures, il n'y a plus de place et certains jours il n'y a aucun ticket pour les étrangers. Il faut donc revenir. Au début, je me mettais dans la file vers 4 heures du matin, mais il y avait déjà des gens alors je suis venue la veille, vers 16 heures, pour être certaine d'entrer le lendemain matin.”


Anna n'est d'ailleurs pas seule à faire ça. Parfois, la file d'attente comporte des dizaines et des dizaines de personnes. Anna apporte des affaires, de quoi passer la nuit à veiller dans la file d'attente où tout le monde se connaît. Le premier fait une liste avec le nom des suivants et chacun garde la place de l'autre. Pour elle, la station debout n'est pas supportable longtemps. Siège pliable ou cartons apportent un peu de confort. Du côté de la préfecture, on n'aime pas trop ce camping improvisé devant les bâtiments officiels, alors on leur a demandé de déplacer leur file d'attente sur un côté plus discret du bâtiment. Il paraît que cela ne “faisait pas propre”. Désormais, des arbres les dissimulent à la vue des Versaillais.

“Dans la file, on sait tous qu'on vient pour des papiers, mais on ne dit jamais que c'est pour raison de santé. On reste très discret sur ça, indique Anna. Mais ces tracas, cette attente sont de plus en plus difficiles à supporter. Par exemple, la dernière fois que je suis allée retirer ma carte d'un an, j'ai vu qu'elle n'était plus valable que pour deux semaines avant son expiration… et j'ai tout de même dû payer 70 euros pour l'avoir. Lorsque je l'ai eue, j'ai bien compris qu'il fallait que je recommence sans tarder mes démarches pour avoir une nouvelle carte [normalement, les préfectures disent aux personnes de s'y prendre deux mois à l'avance pour faire leur renouvellement !]. C'est simple, j'ai l'impression de passer ma vie à ne faire que ça.”

Lorsqu'elle a des démarches à faire, Fanny vient la veille. Elle passe la nuit chez sa copine Catherine qui habite près de la préfecture. Comme ça, elle peut être sur le pied de guerre dès 3 h du matin pour ses démarches. “Avant j'allais à la préfecture de Bobigny, on délivrait jusqu'à trois cents numéros pour la file d'attente. Ça durait toute la journée, mais tu étais reçue. A Versailles, cinq à six personnes sont prises par jour. Et puis, ce qui est fatigant, c'est qu'à chaque fois, il faut tout refaire depuis le début. Comme si on ne vous connaissait pas. C'est humiliant.” En 2002, Fanny a eu des papiers. Une carte d'un an avec autorisation de travail. En 2006, Fanny qui travaille toujours fait une demande pour une carte de dix ans. Pas de réponse de la préfecture. En 2007, elle refait une demande de carte de dix ans, mais on lui répond qu'elle n'a pas encore cinq ans de présence en France. Entre temps, sa situation de santé ne lui permet plus de travailler et désormais la préfecture ne veut pas lui donner une carte de dix ans au prétexte que Fanny serait en invalidité. Et pourtant, la loi dit bien qu'avoir un emploi n'est nullement une condition obligatoire. Elle a un enfant et doit vivre avec 540 euros.


“C'est l'enfer !”, lance, pour sa part, Marie-Thé. Pour elle, cela fait neuf ans que durent les tracas administratifs. Le plus souvent, elle est passée d'un récépissé à un autre. Et il lui est arrivé de se voir remettre une carte qui n'était plus valable que pour trois mois. “Cela fait neuf ans que j'ai une carte d'un an renouvelable. Cela fait neuf ans qu'on me redemande de fournir les mêmes documents alors que je peux prouver, et pour cause, que je suis ici depuis 1993. Je sais qu'à partir de janvier prochain, il va falloir que je passe, de temps en temps, pour savoir où en est ma carte… Une fois de plus. Rien ne s'améliore pour nous, mais les frais de dossier sont passés de 50 à 70 euros”.


“C'est vrai que c'est compliqué. C'est même fait exprès. A chaque fois, je dois fournir les mêmes renseignements. Par exemple, on me demande de donner la liste de mes frères et sœurs et demis frères avec leur numéro de titre de séjour ou de carte d'identité, leur lieu de résidence… et comme ils sont une douzaine... [rien dans les textes n'exige une telle demande] Je sais qu'ils ont déjà ses renseignements, mais ils redemandent toujours tout”, dénonce Anna. “Bien entendu que la situation se dégrade, indique Marie-Hélène Tokolo, présidente de l'association Marie-Madeleine. Nous accompagnons beaucoup de femmes séropositives dans leurs démarches. Et parfois, on a l'impression de ne faire que ça. Je ne comprends pas pourquoi, alors que tout le monde sait qu'on ne guérit pas du sida, il est nécessaire de fournir un certificat médical à chaque renouvellement de carte de séjour. Et puis, les conditions d'accueil sont de plus en plus difficiles.” Marie-Hélène l'a bien vu avec Solange. La préfecture a joué l'intimidation en demandant à Solange la certification par le greffe du tribunal de son acte de naissance. Cette condition ne faisait pourtant pas partie de la liste des pièces que la préfecture avait, elle-même fournie, à Solange pour le montage de sa demande. Un coup de bluff pour faire capoter le dossier qui, cette fois, n'a pas marché. Solange a pu signer son récépissé. Lorsque celui-ci est revenu de la signature du préfet, la mention autorisation de travail avait été rayée par le service administratif. Elle avait pourtant demandé à pouvoir travailler pour être autonome, avoir son logement personnel. Ce ne sera pas pour cette fois.


Les exemples de ce type sont multiples. Ils montrent une nette détérioration de la façon dont les étrangers, dont ceux qui sont gravement malades, sont traités par l'administration. Un peu comme si les pouvoirs publics voulaient en découdre avec des étrangers au motif qu'ils seraient venus se faire soigner en France. Pas très glorieux de se justifier par un fantasme. Le droit au séjour pour raison médicale n'est pas un moyen de venir se faire soigner en France. Il s'agit, avant tout, de permettre aux personnes étrangères vivant en France l'accès à un titre de séjour lorsqu'elles sont atteintes d'une maladie grave. D'ailleurs, comme le fait remarquer l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), dans 94 % des cas cette maladie grave (toutes pathologies confondues) n'est découverte par les personnes qu'une fois en France.

Tout est dans le sac !
“On s'en amuse, lorsqu'on en parle entre nous, explique Anna. Ça fait rire, même si c'est un peu difficile et que ça fait mal aussi. Ce sac-là, on l'appelle le sac “L'immigration ne m'a pas réussi !” C'est le sens qu'il a entre nous. Le signe qu'on n'a pas été bien loin dans l'immigration. Moi, lorsque je suis obligée de renouveler mes papiers, j'y mets tout ce qu'il me faut pour passer la nuit devant la préfecture : un petit siège pliant, une doudoune, des cartons, une bouteille thermos…”

Dossier réalisé par Jean-François Laforgerie
Remerciements à Marie-Hélène Tokolo et à
l'association Marie-Madeleine, membre du RAAC-Sida.
Illustrations Yul studio et photos Stéphane Blot