Entre inquiétudes et espoirs

Publié par Fred Lebreton et Bruno Spire le 22.07.2021
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ConférencesIAS 2021VIH

Mercredi 21 juillet, la 11e édition de la conférence scientifique, IAS 2021, s’est achevée par un discours militant et inspirant. Pendant quatre jours, la conférence a alterné des moments d’inquiétudes et d’espoirs. L’inquiétude de voir la crise mondiale liée à la Covid-19 ralentir le chemin vers la fin de l’épidémie VIH. Et les espoirs autour de nouveaux traitements et aussi de nouvelles façons de faire face aux problématiques de la lutte contre le VIH en temps de crise sanitaire.

Prise en charge du chemsex

La première plénière de la journée était consacrée à la prise en charge du chemsex avec la présentation de Stéphane Wen-Wei Ku, de l’hôpital de Taipei (Taiwan). L’usage de drogue en contexte sexuel n’est pas nouveau. Cela existe depuis l’origine de l’être humain. Les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les hétérosexuels-les peuvent utiliser l’alcool, le cannabis et la MDMA lors des rapports sexuels, d’après les enquêtes récentes. Au Royaume uni, une consommation importante de la cocaïne et du cannabis est observée chez les hétérosexuels-les. Chez les HSH, le chemsex a pris de l’ampleur avec des produits très répandus comme le GHB, le crystal meth, la méphédrone ou la MDMA. Une méta-analyse montre des taux d’utilisation de méthamphétamines entre 3 et 38 %. C’est celle qui est aussi la plus injectée et très associée à des rapports sexuels sans préservatif. Le chemsex est plus répandu en Europe et aux États-Unis, un peu moins en Asie ou Pacifique.

Le crystal meth entraine une accoutumance au cours du temps avec un besoin de doses plus fortes. Après un pic de consommation, la « descente » est très difficile et s'associe d'un syndrome de manque. Les dommages associés sont l’augmentation des comportements qui exposent à des risques d’infection au VIH et au VHC et un risque d’overdose mortelle, ainsi que des effets neurocomportementaux (délire, paranoïa, etc...). Des interventions cognitivo- comportementales de 16 semaines ont été testées avec un succès relatif. Certains antidépresseurs et la naltrexone (1) injectable ont montré une efficacité pour réduire les consommations. Les approches de réduction des risques incluant la Prep et l’échange de seringues ont aussi été utilisées pour réduire les dommages associés. Les services de santé sexuelle sont plus appropriés pour prendre en charge les HSH qui pratiquent le chemsex, que les centres d’addictologie classiques. Une attitude sans jugement est indispensable. Le plaidoyer doit continuer pour conserver et développer des centres de santé sexuelle qui accueillent ce public. Il est également important d’avoir des lois qui respectent les usagers-ères et les droits des personnes LGBT. Enfin, il est nécessaire de multiplier la recherche interventionnelle vers ces publics.

IAS 2021 en résumé

La dernière plénière est revenue sur les temps forts de la conférence. En ce qui concerne l’épidémiologie et la prévention, nous avons vu qu’il faut des approches multi-niveaux pour augmenter la couverture et l’observance à la Prep. L’hésitation des prescripteurs-rices est une barrière majeure pour la Prep et le Tasp. Les pharmacies communautaires peuvent être des bons points d’accès de délivrance de la prévention (autotests, Prep, etc.). L’incidence des IST est plus grande chez les HSH prepeurs que chez les non prepeurs. L’autotest a un haut potentiel en Afrique mais reste trop peu implanté. Les personnes détenues sont souvent les oubliées de l’accès aux soins et à la prévention avec des cascades catastrophiques. Le HPV augmente le risque d’acquisition du VIH chez les femmes en Afrique. L’autoprélevement pour le diagnostic des IST est acceptable par les femmes trans en Thaïlande pendant les confinements. Les HSH américains semblent préférer la Prep injectable. La Covid-19 a accéléré les procédures de simplification du suivi médical. L’anneau vaginal semble une option pour les jeunes femmes et adolescentes en Afrique du Sud. L’islatravir en comprimé une fois par mois est une stratégie de Prep prometteuse. Enfin le lenacapavir a montré des résultats encourageants en traitement injectable tous les six mois que ce soit chez les personnes vivant avec le VIH qui n’avaient jamais pris de traitement ou celles dont la souche de VIH a créé des résistances à certains traitements.

Recherche et crise sanitaire

La dernière présentation concernait la recherche opérationnelle face à l’adversité de la crise sanitaire. Beaucoup de progrès et de résilience ont été observés et la science a continué des innovations. Il y a eu des menaces sur les systèmes de santé et de protection sociale depuis la crise. En effet, les données suggèrent une augmentation de 39 à 87 % de mortalité VIH en 2020 et cette tendance risque de continuer pendant cinq ans. Il y a eu des reports et des retards dans différentes activités de prise en charge dans plusieurs pays, et aussi moins d’initiation d’ARV même si la tendance du nombre mondial de PVVIH traitées reste stable. Pour cela, on a augmenté la durée de délivrance des ARV à 6 mois, délégué la délivrance à des acteurs-rices non médicaux-les. Il y a eu beaucoup d’études sur l’acceptabilité et les préférences des usager-ères de prévention qui devraient être mieux prises en compte dans les politiques publiques. À San Francisco, deux tiers des PVVIH préfèrent un système de soins souple et pas forcément avoir toujours le même médecin. Point intéressant, la télémédecine n’est pas plébiscitée par les personnes interrogées. Il a été démontré que la qualité de la prise en charge dépend de la rapidité à remettre des résultats de charge virale, avec l’intérêt des point of care. Par ailleurs des programmes VIH intégrant d’autres maladies augmentent le taux d’initiation des ARV.

Un final militant

En plénière de clôture de la conférence, la parole était donnée à Susan Cole-Haley, activiste britannique ouvertement séropositive. Dans un discours inspirant, la militante a rendu hommage à toutes les personnes séropositives qui se battent depuis 40 ans et elle a exhorté nos dirigeants-es à s'inspirer de la lutte contre le sida dans la crise Covid-19. Susan Cole-Haley a souligné le fait que les avancées de la science ont été accélérées grâce à l’activisme mais elle dénonce aussi un monde de plus en plus fracturé et inégalitaire. « Nous ne pourrons pas mettre fin au sida tant que nous n'aurons pas mis fin aux inégalités » déplore la militante. Elle ajoute que l'épidémie de VIH ne touche pas toutes les populations de la même façon. Les HSH, femmes, travailleurs-ses du sexe et personnes trans sont touchés-es de façon disproportionnée. Susan Cole-Haley ajoute que le monde de la recherche doit faire un effort pour inclure plus de femmes et de personnes trans dans leurs études. Elle achève son discours sur une note d’espoir : « Des ARV très efficaces cela veut dire que le VIH n’est plus une condamnation à mort (…). Nous pouvons être la génération qui mettra fin au sida ».

Adeeba Kamarulzaman, Professeure en maladies infectieuses de l’université de Kuala Lumpur en Malaisie et présidente de l’IAS, a conclu la conférence en soulignant la réactivité du monde de la lutte contre le VIH à se requestionner face à l’arrivée de la crise sanitaire.

Nous vous donnons rendez-vous pour l’IAS 2022 à Montréal (Canada), du 29 juillet au 2 août, pour sa 24e mouture.

(1) : la naltrexone est un inhibiteur des opiacés utilisé à l'origine dans le traitement des toxicomanies aux opiacés puis dans celui de l'alcoolisme chronique.

Nouvelle bithérapie à l’essai
Le professeur Jean-Michel Molina, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis (AP-HP, université de Paris), a présenté les derniers résultats de l’essai qui évalue l’efficacité d’une nouvelle bithérapie doravirine/islatravir. Cette étude compare deux groupes de participants-es qui n’avaient jamais pris de traitement VIH. Un groupe de personnes était sous bictégravir/emtricitabine/ténofovir alafénamide (BIC/FTC/TAF) et un autre était sous doravirine/islatravir. À la semaine 72, les données d’efficacité entre les deux groupes étaient similaires ce qui montre que la bithérapie doravirine/islatravir n’est pas inférieure à la trithérapie bictégravir/emtricitabine/ténofovir alafénamide. Le principal effet indésirable observée chez les personnes sous doravirine/islatravir était des maux de tête et ces effets étaient de courte durée d’après les données présentées à la conférence IAS 2021.

Nouvelles données de l’essai Discover
Dans cet essai, il était question de comparer l’efficacité et la toxicité entre une Prep par TDF/FTC (ténofovir original/emtricitabine) versus TAF/FTC (nouveau ténofovir/emtricitabine). Selon le laboratoire Gilead, le TAF/FTC serait mieux toléré que le TDF/FTC. Cette étude rapporte l’impact à la fin du traitement des participants-es qui étaient dans le groupe TDF/FTC et qui sont passés-es au TAF/FTC. Les paramètres biologiques étaient meilleurs pour les marqueurs rénaux après le switch mais les taux de cholestérol augmentaient légèrement, la différence est significative mais faible. Le poids a également légèrement augmenté. Les paramètres de densité minérale osseuse étaient meilleurs après le switch.

PVVIH : nouvelles recommandations de l’OMS
Une session a détaillé les nouvelles recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en temps de Covid-19. Les personnes en VIH contrôlé (charge virale indétectable et CD4 stables) devraient pouvoir avoir accès à un rendez-vous de suivi tous les trois a six mois, idéalement tous les six mois. Des ordonnances de six mois devraient se généraliser pour ne pas risquer une rupture de traitement entre deux rendez-vous en particulier pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19. Il est également crucial de mettre en place des outils d’alerte pour ne pas « perdre de vue » certaines personnes pendant la crise sanitaire. Il faut reprendre contact par tous les moyens possibles : sms, mail, téléphone, courrier.