VIH et génétique : science sans conscience

Publié par jfl-seronet le 22.01.2019
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Fin novembre, à l’occasion d’un sommet international sur l'édition du génome à Hong Kong, un scientifique chinois, He Jiankui, secoue le monde de la science – mais pas seulement – en annonçant la naissance de « bébés génétiquement modifiés ».

C’est une première mondiale qui place le scientifique sous le feu des critiques de ses confrères du monde entier. Les critiques sont de deux natures : le scepticisme sur la réalité même de l’annonce (on sait que c’est vrai !), et surtout la condamnation radicale car les recherches du biologiste semblent avoir « court-circuité les procédures réglementaires habituelles » et n’ont pas fait l’objet d’un consensus universel. De fait, ce qui a été fait contrevient aux règles éthiques : avoir exposé des embryons sains à des modifications génétiques. Mais qu’a donc fait He Jiankui ?

Formé aux États-Unis, He Jiankui explique avoir employé la technique Crispr-Cas9, dite des « ciseaux génétiques », qui permet d’enlever et de remplacer des parties indésirables du génome… comme on corrige une faute de frappe sur ordinateur, nous explique l’AFP. Selon le chercheur, deux jumelles, « Lulu » et « Nana » (He Jiankui est sans doute un fan de Zola et d’Alban Berg !) sont nées après une fécondation in vitro, à partir d’embryons modifiés avant leur implantation dans l’utérus de la mère. Mais quelle modification a réalisé le chercheur ? Il a « modifié l’ADN pour les rendre résistantes au virus du sida », nous indique l’AFP (28 novembre). Le gène ciblé est celui qui code pour la protéine CCR5 qui agit comme point d’arrimage du VIH sur les cellules pour y pénétrer. Sans le CCR5, le virus ne peut pas pénétrer dans la cellule. He Jiankui a réalisé cette modification des génomes des embryons de sept couples séro-différents (dont l’homme vivait avec le VIH)… et deux jumelles sont nées de cette « expérience ». L’idée du chercheur est que grâce à l’élimination du gène qui code le CCR5, ces bébés « pourraient être capables de résister naturellement au VIH ».

Comme on l’imagine l’annonce tonitruante a fait son effet et suscité de très, très vives réactions… de protestation. « Annoncer ces résultats par une vidéo sur Youtube est une pratique scientifique très problématique. Cela écarte les processus de contrôle sur lesquels reposent de nombreuses avancées scientifiques, telles que l’évaluation par les pairs », a soulevé un expert. On sait, en effet, que des mutations sur le gène CCR5 peuvent conférer une certaine protection contre le VIH. Mais cela n'est pas absolu. « Le fait que l'un des parents soit infecté par le VIH pour justifier la manipulation est absolument effarant, réagit le Pr Pierre Corvol, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine dans les colonnes du Quotidien du Médecin (28 novembre). Nous préparons un communiqué conjoint de nos deux académies pour condamner fermement cette initiative ». « C'est de l'amateurisme à tous les étages : technique, légal et éthique. Il était beaucoup trop tôt pour passer à l'être humain», dénonce le Dr Gaétan Burgio, généticien spécialiste de Crispr à l'université nationale australienne. « Ce type est complètement fou, c'est parfaitement scandaleux, réagit encore plus violemment le président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le professeur Jean-François Delfraissy, qui ne décolère pas depuis l'annonce. Une ligne rouge a été franchie. Cela pose le problème de la régulation de la recherche dans ce grand pays, la Chine, qui est au point zéro au niveau bioéthique. »

Les critiques et regrets sont également venus de celles et ceux qui ont, plus ou moins directement participé à cette « recherche », comme des autorités de tutelle. Ainsi, le directeur d'une ONG chinoise de soutien aux personnes vivant avec le VIH a indiqué (30 novembre) « regretter » d'avoir aidé le scientifique, indique l’AFP. « J'avoue que je regrette beaucoup cet incident. Je suis également inquiet pour ces familles et ces enfants », a indiqué dans un communiqué Bai Hua, le directeur de l'association. « J'ai vraiment envie de dire que j'ai été dupé. Mais je ne veux pas non plus me soustraire à mes responsabilités ». L'expérimentation menée par He Jiankui a provoqué un tollé au sein de la communauté scientifique à l'étranger, mais également en Chine. Fin novembre, le vice-ministre chinois des Sciences et Technologies Xu Nanping a dénoncé à la télévision d'Etat CCTV un mode opératoire « choquant et inacceptable ». Il a, par ailleurs, exigé la suspension des « activités scientifiques des personnes impliquées ». La Commission nationale chinoise de la Santé, qui a rang de ministère, enquête actuellement sur l'affaire, précise l’AFP.

Ce n’est pas un hasard si le biologiste a réalisé son expérience en lien avec l’infection par le VIH. Le nombre de personnes infectées par le virus du sida en Chine est en augmentation ces dernières années. Environ 1,25 million de personnes seraient contaminées par le VIH, a indiqué l'agence de presse officielle Chine nouvelle, en novembre dernier. Mais cela ne justifie aucunement cette expérience. Comme le rappelle un article du Monde (29 novembre), le biologiste a indiqué avoir fait appel à huit couples, dont un s’est désisté, tous avec père séropositif et mère séronégative, « pour ce projet dont le but officiel était de protéger les enfants du risque, non avéré, d’être infecté par le VIH ». Non avéré parce qu’avec le Tasp, le traitement de la mère en cours de grossesse, voire le « lavage du sperme », on connaît bien les techniques qui permettent d’éviter toute transmission en cours de grossesse ou lors de la conception. Dans ce cas, une modification génétique n’a aucun intérêt. « Avoir recours à de la manipulation génétique pour empêcher une infection VIH est comme tuer un oiseau avec un canon », avait jugé la veille le professeur de bioéthique Qiu Renzong, de l’Académie des sciences chinoise, cité par Le Monde. Finalement, He Jiankui a annoncé une « pause » dans ses essais, en raison du tollé international soulevé par ses allégations. Il fait désormais l’objet d’une enquête officielle des autorités de santé chinoise et fait l’objet d’une plainte de la part de l’hôpital où il a réalisé son « expérience ».

Déclaration des académies de médecine et des sciences
« Ayant pris connaissance de l’annonce faite par le Dr He Jiankui de la naissance de  deux enfants après modification du gène CCR5 à l’état embryonnaire, l’Académie nationale de médecine et l’Académie des sciences condamnent l’initiative de ce scientifique qui ne protège pas d’une éventuelle infection par le VIH et qui suscite de nombreuses questions scientifiques, médicales et éthiques non résolues à ce jour. De nouveaux outils moléculaires ouvrent des espoirs pour prévenir ou traiter des pathologies. Leur utilisation chez l’être humain ne doit être envisagée qu’avec la plus grande prudence. La modification du génome d’embryons humains suscite des interrogations majeures dans la mesure où elle sera transmise à la descendance et aux générations suivantes. Elle ne saurait être mise en œuvre quand le but recherché peut être atteint par d’autres moyens comme c’est le cas pour la prévention d’une infection par le VIH. Dans l’état actuel des connaissances, les conditions ne sont pas réunies pour ouvrir la voie à la naissance d’enfants dont le génome a été modifié à l’état embryonnaire. Si cette démarche était entreprise dans l’avenir ce ne devrait l’être qu’après approbation du projet par les instances académiques et éthiques concernées et  un débat public approfondi. L’Académie nationale de médecine et l’Académie des sciences tiennent néanmoins à réaffirmer l’importance pour l’être humain des recherches responsables faisant appel aux technologies modifiant l’ADN, y compris quand elles sont menées chez l’embryon, et leur apporte leur soutien ».
Pour nombre d’experts-es, ce processus n’était pas médicalement nécessaire. « Il s’est peut-être persuadé qu’il était en train de sauver l’humanité de l’épidémie du sida, mais il a l’air de s’être enfermé dans une conviction et ensuite, en connaissance de cause ou en faisant semblant de ne pas savoir, a utilisé toutes les failles possibles du système pour arriver à ce résultat », observe Hervé Chneiweiss, directeur du centre de recherches en neurosciences à la Sorbonne et président du comité d’éthique de l’Inserm, cité par Le Monde.

 

Commentaires

Portrait de mec95

Il ne faut pas supprimer le récepteur CCR5 qui se situe sur le CD4, car ce récepteur à un rôle très important lors de la réponse immunitaire contre beaucoup de virus...

Merci de trouver une autre solution Mr et Mme les chercheurs.