Générations positives : Maya et Léo

Publié par Rédacteur-seronet le 08.11.2022
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Maya a 60 ans et elle vit avec le VIH depuis 1984. Léo a 42 ans et il vit avec le VIH depuis 2010. Ils ne se connaissent pas et ne se sont jamais parlé. Aujourd’hui, ils participent à un entretien croisé.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie ?

Maya : Je faisais partie des groupes à risque car j’étais toxicomane et je m’injectais. Mon dealer est mort des suites du sida, alors j’ai fait un test qui s’est avéré positif. Le médecin m’a annoncé : « Je vous donne deux ans maximum ». J’avais vingt ans et je n’arrivais pas à y croire ; je me sentais en pleine forme. ll n’y avait aucun traitement à l’époque et peu d’espoir. Je voyais mes amis gays et toxicos mourir les uns après les autres. J’ai fait une grave dépression et une tentative de suicide en 1986. J’ai été hospitalisée pendant un an pour réapprendre à marcher. J’ai été également infectée par l’hépatite C que j’ai réussi à soigner.
Léo : J’ai fait un test VIH en 2010. Je me souviendrai toute ma vie de ce que m’a dit la médecin lors de l’annonce des résultats : « Je suis à deux mois de la retraite et ça me fait mal de vous annoncer ça : vous êtes séropositif au VIH ». Ma première réaction a été de me dire : « Je ne veux pas mourir ». Quelques années avant, mon petit frère de cœur qui était co-infecté VIH et hépatite C s’est suicidé et ça m’a beaucoup marqué. La médecin m’a vite rassuré en me disant que j’allais vivre bien et longtemps grâce aux traitements. Elle a aussi rassuré mon copain avec qui j’étais en couple depuis seulement six mois. Avec le choc de l’annonce, les premiers mois, je n’avais plus aucune libido, mais petit à petit tout est rentré dans l’ordre et nous sommes restés quatre ans ensemble.

Quelle place a pris le traitement VIH dans votre vie les premières années, et aujourd’hui ?

Maya : J’ai pris mon tout premier traitement VIH en 2017 ; 33 ans après mon diagnostic ! Je fais partie de ces rares personnes qui contrôlent le virus naturellement. Je suis sous Eviplera, en allègement thérapeutique, quatre jours par semaine. Je ne ressens pas d’effets indésirables et le fait de ne pas prendre de médicaments le week-end, c’est comme des mini vacances ! Mais, j’ai d’autres problèmes de santé non liés directement au VIH.
Léo : J’ai toujours vu le traitement comme un espoir et un outil de protection. Ma charge virale est devenue indétectable au bout de quatre mois. Le fait de savoir que je ne pouvais pas transmettre le VIH à mon partenaire était un gros soulagement.
Maya : Ça motive à être observant.
Léo : Tout à fait. En revanche, moi, j’ai eu pas mal d’effets indésirables, notamment sur mon sommeil avec les premiers traitements. Je faisais des terreurs nocturnes et j’avais des changements d’humeur. Dès que le traitement injectable a été autorisé en France en décembre dernier, je l’ai demandé à mon médecin. J’ai fait ma première injection en avril et psychologiquement, ça me fait un bien fou de ne plus regarder ma montre tous les jours pour ne pas oublier de prendre mon traitement. Je me sens plus serein et plus zen.

Comment avez-vous découvert la notion de Tasp ou I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

Maya : C’est mon médecin qui m’en a parlé et c’était un soulagement, mais je crois que les séronegs ne sont pas suffisamment informés sur ça. Malgré le fait que ma charge virale soit indétectable, je suis incapable d’avoir une relation avec un séroneg. J’ai toujours cette peur de transmettre le VIH. J’ai toujours parlé ouvertement de mon statut sérologique, mais souvent les hommes que je rencontrais avaient peur et fuyaient à cause du VIH. J’ai vécu quinze ans avec mon compagnon de vie, Claude, qui était séropositif. Quand il est décédé, il y a trois ans, j’ai perdu mon meilleur ami et depuis je n’ai pas fait de nouvelle rencontre. J’ai l’impression que c’est plus simple chez les gays qui ont plus de lieux de convivialité et qui sont mieux informés.
Léo : Ça dépend, tu sais ! Il y a encore beaucoup de sérophobie chez les gays, comme les mecs sur les applis de rencontre qui te demandent si tu es clean. Cette question est horrible et laisse entendre que les séropos seraient sales ! J’ai reçu pas mal d’insultes aussi du genre : « Va crever, le sidaïque ! » Parfois je bloque la personne quand c’est trop violent et parfois je fais de la pédagogie sur indétectable égal intransmissible. C’est mon médecin qui m’a expliqué cette notion vers 2015 et pour moi aussi c’était un gros soulagement. J’en veux à l’État de ne pas faire son boulot pour promouvoir la notion I = I et de ne pas faire respecter les heures obligatoires d’éducation en termes de santé sexuelle et prévention au sein même des collèges et lycées. Pourquoi refuser à des associations la possibilité d’accompagner le corps enseignant dans ces démarches de santé publique ? L’Éducation Nationale a un rôle à jouer pour tous ces gamins afin de les protéger et mettre KO le sida d’ici 2030. Pour l’instant, il n’y a que les assos et les militants concernés qui en parlent !
Maya : On en est encore là au bout de 40 ans. J’en ai un peu ras le bol parfois. Avant j’étais militante et j’allais chez Act Up. Aujourd’hui, je laisse la place à la relève.

Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre la génération I = I et celle des personnes qui vivent avec le VIH depuis 30 ans ou plus ?

Maya : Je n’ai pas le sentiment que le dialogue soit compliqué. J’aime discuter avec de jeunes séropos et ça me fait du bien de voir une nouvelle génération de militants. Il ne faut pas oublier aussi que beaucoup de vieux séropos souffrent d’isolement et de précarité. C’est dur de vivre avec 900 euros par mois à l’AAH.
Léo : La vraie valeur humaine, elle réside dans le fait d’être unis tous ensemble pour combattre pour des causes communes. Je ne vois pas de barrière intergénérationnelle, c’est plus une affaire de personnes et d’affinités. Il y a un passage de flambeau à faire entre les générations pour transmettre la mémoire personnelle et collective de nos luttes. Nous sommes vivants, nous sommes visibles !

Propos recueillis par Fred Lebreton.