"Ce rapport Hirschel, c’est un grand soleil qui entre dans ma vie" (1/2)

Publié par collectif le 03.02.2012
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L’Isle sur Sorgue, novembre 2010. Lors des Universités des personnes séropositives organisées par AIDES, une douzaine de personnes, séropositives ou séronégatives, mais toutes séro-concernées, ont choisi d’échanger, lors d’un atelier sur l’avis suisse.

Le TASP, on en pense quoi quand on est séropo ? C’est Emilie, la quarantaine flamboyante, qui est à l’initiative de cet atelier. Et qui introduit le sujet. "OK, on nous balance un rapport qui nous dit que notre risque de transmettre le virus à notre partenaire stable est quasi nul si on est traité efficacement et qu’on n’a pas d’IST. C’est bien beau, mais qu’est ce qu’on ressent sur cette idée nouvelle de non contamination en tant que séropos ? Comment on s’approprie cette information ? J’avais envie de confronter nos expériences sur cette question".


L’atelier en espace ouvert, c'est un principe venu tout droit des Etats-Unis. On choisit un thème, un lieu et une plage horaire. Et on en discute librement. On y arrive quand on veut, on en repart quand on veut, dès qu’on a le sentiment que cela ne nous apporte plus rien. Pour cet espace ouvert consacré au "rapport Hirschel", la grande majorité des participants restera les deux heures.

Autour d’Emilie, des personnes très différentes : des femmes, des gays, des hétéros, certains contaminés depuis longtemps, d’autres depuis peu. Des urbains, des ruraux, des migrants. Des personnes traitées, d’autres pas. Certains en couple séro-différents, d’autres qui n’ont pas de relation stable en ce moment. Et aussi Grégoire et Mathieu, tous deux la vingtaine, "séronégatifs au dernier test" et venus parce que leurs copains sont séropos. Et qu’ils se posent, eux aussi, des questions. Ça commence sur les chapeaux de roue…

Ne plus être contaminant, ça change quoi ?
Stéphane, la quarantaine : "Ma copine est séronégative, et nous on pratique Hirschel. Ce rapport a changé ma vie, tout redevient possible".
Marc, la trentaine : "Maintenant, quand j’ai envie de sexe, je ne coupe plus mes envies systématiquement".
Amine, la cinquantaine : "Pour moi, la nouvelle de ne plus être contaminant, c’est l’aboutissement d’un long chemin de misère et de bonheur. Ce rapport Hirschel, c’est un grand soleil qui entre dans ma vie, c’est de l’espoir. C’est quelque chose qui me donne plus de caractère pour lutter pour moi et pour ceux qui m’entourent et qui ont besoin de moi".

Georges : "Moi je me pose plein de questions. Si tu es Africain, si un séropo te demande ta fille en mariage, tu ne vas pas lui donner. Alors, c’est quelque chose d’hyper important, cette possibilité de non transmission. Ne plus être contaminant ou presque pas, c’est rassurant. Ça solidifie le couple, ça permet de faire des enfants. C’est bien aussi pour lutter contre la pénalisation de la transmission, qui m’inquiète beaucoup".
Didier : "Moi, j’ai l’impression de revivre. Je me sens plus léger. C’est le bout du tunnel".
Laurence : "Moi aussi, depuis deux ans, je m’autorise à vivre. Je n’utilise plus de préservatif avec mon mari, et il reste séronégatif. Ça simplifie plein de chose, ça permet de vivre pleinement la sexualité".

Mathieu : "On est ensemble depuis six mois avec mon chéri. Il est séropo et il me dit qu’il s’en voudrait s’il me contaminait. Alors, avec Hirschel, on se sent plus léger. Mais si le nom je le connais, le rapport, je ne l’ai pas lu".
Grégoire : "Ça nous rapproche, ça nous met sur un pied d’égalité, séropositif et séronégatif dans le couple".

Le rapport Hirschel, est-ce que c’est sûr ?
Marc : "D’abord, c’est pour les hétéros, Hirschel. Pas pour les gays. Moi je voudrais savoir si je risque de contaminer, et quand ? Est-ce que mon partenaire peut avaler mon sperme ? On a entendu des messages contradictoires. Des associations qui disaient que ce n’était pas du tout pareil, les quantités de virus dans le sang et dans le sperme".
Didier : "Si ce n’est pas encore sûr, ça vaudrait le coup de faire des études !"
Alex : "Maintenant, il y a des études qui montrent qu’il y a une bonne relation entre ce qui se passe dans le sang et ce qui se passe dans le sperme. Si on prend ses traitements régulièrement, depuis plus de six mois, quand on n'a pas d’IST, on peut dire que quand c’est indétectable dans le sang, c’est indétectable dans le sperme".
Marc : "J’ai beaucoup de partenaires, et donc beaucoup d’interrogations sur si ça marche et quand ça marche ! J’ai besoin de réponses claires et officielles. J’ai peur de contaminer mon partenaire, c’est un vrai frein pour lui et pour moi. J’ai besoin de savoir pour pouvoir me construire, me projeter. Car sinon, je ne me sentirais pas libre. Avant le rapport Hirschel, mon médecin me disait que non, la charge virale…  ça n’avait pas d’importance, que j’étais toujours contaminant. Et Act Up-Paris dit que ce n’est pas vrai, AIDES dit que oui. Moi, ça me perturbe. C’est quoi la vérité là-dessus ? Il faudrait un document officiel".
Didier : "Justement, l’affiche INPES [Institut national de prévention et d’éducation à la santé] qui dit que c’est une rumeur m’a vraiment déstabilisé !"
Marc : "Mon autre question, c’est comment une personne séronégative peut appréhender la situation, et accepter ou non ce risque ? Car c’est elle qui l’accepte, pas moi. J’ai besoin de savoir, je veux savoir si je peux aller au terme d’une relation avec une personne. Si je veux un plan cul, je mets un préservatif point barre. Si je veux construire, c’est préservatif et ensuite on voit. Tout dépend de la situation".

Courir le risque ?
Albert : "Moi je ne veux pas courir le risque. Je n’y crois pas. Même si c’est 20% de risque je ne veux pas".
Emilie : "C’est beaucoup moins".
Albert : "Même si c’est 10% de risques".
Emilie : "C’est beaucoup moins, c’est très faible".
Albert : "Même si c’est 2%".
Alex : "C’est beaucoup moins. Le groupe d’experts français sur le VIH estime que c’est moins de 1 sur 10 000 si on respecte les critères suisses".
Albert : "Je n’accepte pas si ce n’est pas nul".
Emilie : "Mais le préservatif, non plus ce n’est pas un risque nul".
Amine : "Albert, je vais te dire une chose. Un jour, j’ai rencontré un garçon très séduisant. On s’est vu plusieurs fois. Un soir, il est venu chez moi, on a diné ensemble et puis finalement, il me demande si je n’ai pas quelque chose à lui dire, si je ne suis pas malade. Je lui ai dit que oui. Il s’en moque. On a vécu cinq ans d’amour, il a toujours refusé le préservatif. Je ne l’ai jamais contaminé. Mais il est mort d’un accident de la route".

La peur
Emilie : "Ce qui me frappe, c’est la peur des gens de dire qu’on est plus contaminant. Ça heurte, mais il faut aller au-delà des angoisses, au delà du rejet de la stigmatisation. Les gens pensent que nous les séropos on va prendre plus de risques. Mais les conditions sont précises. Les choses ont changé avec les nouveaux traitements ! Mais on a été conditionné, on a baigné dans le préservatif. A l’époque, on nous disait qu’on était tout le temps contaminant, et on le croyait. Ne plus se percevoir comme contaminant, c’est un vrai pas à franchir. C’est comme se dire qu’on ne va plus mourir, mais qu’on va vieillir avec le VIH. C’est un bouleversement !"

La première rencontre avec le TASP et la suppression du risque de transmission ?
Mathieu : "Lors des déclarations suisses".
Amine : "Moi, par AIDES".
Marc : "Quand j’ai commencé à dire à mon médecin "que c’était insupportable la capote"".

Emilie : "Ça fait 10 ans que je sais ce qui est dans le rapport Hirschel, également sur le plan de la sur-contamination. On ne se protège plus depuis longtemps avec mon mari, sans l’avis des médecins : charges virales indétectables tous les deux, grâce à la trithérapie. Le rapport suisse nous a aidé, on ne portait plus ça tout seuls".
Laurence : "Hirschel a ouvert les portes. Mais il reste du travail, tout le monde ne le sait pas, tous les médecins n’en parlent pas".

(Tous les prénoms ont été modifiés).

Propos recueillis par Renaud Persiaux.

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