Chronique ordinaire d’une sérologie à variation amoureuse - 1

Publié par Luc et Térence le 03.11.2011
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Térence et Luc, en couple depuis quatorze ans, séropos depuis trois ans, annoncent la couleur. Tu veux notre témoignage ? Attention, ça va être du sexe, de la violence, des drames… au pays de la choucroute !

La découverte. Luc : En août 2008, Térence n’était pas super en forme. On est allé chez notre médecin, un généraliste, très ouvert, qui s’occupe du CDAG de Colmar. Il prescrit le bilan complet, le test VIH est rajouté à ma demande… et j’en ai demandé un aussi. On avait donc nos deux prescriptions pour ces deux tests de routine, qu’on n’avait pas faits depuis deux ans. Je l’ai fait le premier, Térence traine toujours avec ce genre de truc. J’ai appelé le labo un matin. Gêne au standard, on m’a dit : "Heu… C’est plus long à faire que prévu". J‘ai donc appelé le médecin : "Y a un souci, il faut que vous passiez le plus tôt possible". Pas d’annonce par téléphone donc, mais on avait capté quand même. Térence n’avait pas fait le test. Moi, j’étais vidé. Je me suis dit, je vais crever. J’espérais que Térence n’aurait rien.

Térence : Je me suis dis que j’étais séropo aussi, vu la fatigue inhabituelle qui m’a laissé cloué au lit durant deux semaines. J’ai donc fait le test VIH deux jours après Luc. Petit décalage. Positif aussi. Même labo, même médecin, même système. On l’a annoncé à la sœur de Luc, chez laquelle on déjeunait le midi, c’est la seule de la famille qui le sait, pour nous deux. Au début, j’avais envie de le clamer à tout le monde, comme pour exorciser ma peur face au virus. Je me suis ravisé par la suite !


L’acceptation. Luc : On s’est soutenus parce qu’on était tous les deux. On faisait des plans à trois. On n’a pas identifié le rapport à risque. Pendant un mois, on a essayé de faire les détectives, pour établir "la traçabilité". Pas très longtemps. En fait, ça ne change rien de le savoir, on l’avait ! Indélébile comme un tatouage ! C’est comme ça.
Térence : J’ai eu l’impression d’une deuxième naissance. Comme si je venais de naitre, seul au monde, sans défense, seul et apeuré… Ouais, je sais, je suis très "drama-queen". J’avais l’image de la déchéance physique à court-terme. On pensait mourir, la maladie, les stigmates, l’image de "Philadelphia". L’image des années quatre-vingts. On redoutait la contrainte immédiate des médocs, les effets secondaires. Le traitement nous faisait aussi peur que le virus. On se disait qu’il ne ferait que retarder l’issue fatale.
Luc : J’avais le sentiment d’être sale, souillé, dangereux.
Térence : Moi non, mais j’avais l’impression que la vie et les projets d’avenir s’arrêtaient. Je suis allé sur le net pour m’informer et lire des témoignages des personnes séropositives (un gros mot ?), mais c’était super flippant de lire tout et son contraire. Le médecin nous a rassurés sur les progrès médicaux, la vie qu’ont les personnes qui se contaminent aujourd’hui.
Luc : L’annonce, c’était pendant les vacances. Au bout d’un mois, ça allait mieux. Finalement, la vie a repris assez vite son cours, avec ses activités.


Les progrès. Luc : On a eu un rendez-vous à l’hôpital de Colmar. On nous a expliqués les phases de la maladie, l’espérance de vie, on était un peu perdu. On n’avait pas les notions de progrès. En 95, Térence était militant à AIDES. On avait un ami qui était mort du sida. Du coup, on s’est rapproché de AIDES. En novembre 2008, un Thémagay [rencontre de nombreuses associations LGBT organisée par AIDES] sur Strasbourg. On a fait plein de rencontres, et repris contact avec AIDES Mulhouse. On entendait beaucoup de témoignages d’anciens séropos, de vieux couples des années de braise. Ça donnait un vrai espoir, de voir ces gens qui avaient vécu tant de choses et qui étaient toujours là, unis.
Térence : Je savais que certains vivaient depuis dix ans sans traitement. Mais je n’arrivais pas sortir de ma tête la moyenne des trois petites années sans traitement, qui revenaient souvent sur le web. Moi, je ne le voulais pas, ce traitement. Je me disais : "Je vais résister le plus longtemps possible !"


La prévention, version 1. Térence : On nous a conseillé de mettre une capote entre nous. Alors qu’on avait le même virus, la même souche exactement ! On l’a fait, comme deux pauvres filles ! Après onze ans ensemble, on ressort la capote. Déjà baisse de la libido, et on nous demande de mettre des capotes. On avait l’air "fines" avec nos deux bouts de plastique au bout de la queue. On l’a fait deux fois. Et on s’est dit non ! C’est pas possible ! Le latex, ça nous file un complexe ! Se pose la question de la baise, classique avec capote et sans capote. Finalement, devenir séropo, c’est presque libérateur, on n’a plus ce poids de plus chopper le VIH, on l’a !
Luc : Au début, on avait une super appréhension de contaminer. Moi par exemple, j’évitais que mon sperme n’entre en contact avec quelqu’un d’autre.


Plan sexe. Térence : Y a une sorte de sexualité à deux vitesses qui se met en place. Au Thémagay, quelqu’un avait témoigné de la dicibilité, en donnant un exemple tout simple, celui des plans sur le net. Parfois, avec un mec, on est chauds tous les deux. Echanges de photos, avant que l’info passe : "Je suis séropo" ; là, tu passes de "baisable" à "pas baisable". Alors, moi, je me suis dit, si tu le dis, tu vas limiter tes plans culs. En même temps, ne pas dire, c’est compliqué, parce que parfois, des plans culs deviennent des amis. Maintenant, on a des plans sans kpote sur BBZ, on indique "plan jus" et les mecs comprennent très bien. Et si la personne demande une capote, on en a toujours à la maison.
Luc : Moi, la capote ne me dérange pas. Je préfère en mettre quand je ne connais pas le statut du partenaire.
Térence : Je donne des indices de la possibilité du no kapote.
Luc : Parfois, parce qu’on est en couple, ils peuvent être rassurés.
Térence :  A AIDES, on dit toujours que c’est 100% / 100% la responsabilité de chacun... Avec les séropos, je prends la liberté de proposer un plan Q no-kpots. Maintenant que je suis indétectable, je me sens plus serein et plus libre dans ma sexualité. Je sais que les "barebackers", séronegs ou séropos, n’ont pas la côte dans la communauté homo. Pourtant la plupart sont plus à l’écoute et au fait de leur santé que les personnes qui ne se soucient pas de leur statut sérologique. Souvent chez les "barebackers", le dépistage des IST est plus régulier. Ils ont un sens de la responsabilité plus aigu en prévenant leurs partenaires d’éventuels. La syphilis est très répandue actuellement.

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Propos recueillis par Renaud Persiaux.