Générations positives : Doriane et Yannick

Publié par Rédacteur-seronet le 03.05.2023
3 220 lectures

Doriane, 48 ans, vit avec le VIH depuis 2011. Yannick, 49 ans, vit avec le VIH depuis 1989. Ils ne se connaissent pas et ils ont accepté de se prêter au jeu de l’entretien croisé.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie, les premiers temps ?

Doriane : J’ai découvert ma séropositivité en 2011, au moment de commencer un projet d’enfant. À cette époque, je n’avais pas commencé mon parcours de transition et avant de donner mon sperme, j’ai fait un test VIH qui s’est avéré positif. Je ne m’y attendais pas du tout car j’ai toujours été vigilante dans ma prévention. Je n’avais jamais eu de rapports sans préservatif. Je suis bisexuelle et j’avais une sexualité ouverte avec différents-es partenaires donc ma première angoisse a été de me demander si j’avais transmis le virus à d’autres partenaires, mais heureusement ça n’a pas été le cas. Les six premiers mois après l’annonce ont été catastrophiques et pendant un an je n’ai pas eu de sexualité pénétrative. J’ai « scanné » tous-tes mes partenaires car je voulais savoir qui m’avait contaminée. C’était important pour moi, mais aussi pour prévenir la personne qu’elle était contaminante. Tous les faisceaux indiquaient qu’il s’agissait d’une partenaire féminine, mais je n’ai pas pu retrouver sa trace malheureusement.
Yannick : Moi, je l’ai su en 1989, à l’âge de 18 ans à l’occasion d’un don du sang. L’annonce a été brutale. À la suite à ce don du sang, on m’a convoqué à l’hôpital Avicenne à Bobigny et j’ai rencontré une médecin qui m’a dit de façon cash : « Vous êtes séropositif. C’est votre dernier été. Vous allez mourir ! » Je suis ressorti sonné avec beaucoup de questions et de doutes. J’ai contracté le VIH lors de mon tout premier rapport sexuel avec une fille, à 16 ans. Une amourette de vacance que j’ai retrouvée et accompagnée car elle ignorait sa séropositivité. Après l’annonce, je suis parti en vacances et j’en ai profité à 200 % sans trop savoir combien de temps il me restait à vivre. Les premières visites au service de maladies infectieuses étaient très angoissantes pour moi. J’étais un jeune de 18 ans plein de vie et je voyais d’autres jeunes alités en stade sida, en train de mourir… Plus tard, j’ai eu la chance de rencontrer le Professeur Jean-Claude Chermann. Il a été ma bonne étoile. C’est lui qui m’a donné de l’espoir et qui m’a dit : « Il existe des traitements et on va travailler ensemble pour que vous viviez le plus longtemps possible ».

Qu’est-ce que le VIH vous a appris sur vous-même ?

Yannick : Cette maladie a été douloureuse, mais elle m’a aussi apporté des choses très positives comme le fait de mieux apprécier la vie et les gens ou relativiser les petites bricoles du quotidien. On m’avait annoncé un an à vivre et je suis toujours là, 24 ans après. J’ai une fille de 13 ans qui est mon pilier et, en 2000, j’ai monté mon association DMC Action Sida qui fait de la prévention auprès des jeunes dans les collèges, lycées, maisons de quartiers, etc.
Doriane : Je te rejoins Yannick sur le fait de relativiser les petits soucis du quotidien. J’essaie de profiter de chaque instant et de chercher une autre valeur dans les relations humaines. Le VIH m’a permis d’avoir un autre regard sur l’humanité et sur la société. Pour moi, ce fut comme une claque qui m’a réveillée. Il y a un avant et un après, qui m’a donné une forme de clairvoyance dans les relations humaines et plus d’empathie envers les personnes qui ont des maladies chroniques et envers les autres minorités discriminées.

Avez-vous connu la sérophobie dans votre parcours de vie avec le VIH ?

Yannick : Au moment de l’annonce, je travaillais en cuisine dans un palace parisien et j’ai dû arrêter ce métier à cause de certaines réflexions que je pouvais entendre et la peur de me couper. L’autre événement brutal, c’est que j’ai perdu tous mes amis en une soirée quand je leur ai annoncé ma séropositivité. Dès le lendemain, des potes que j’avais depuis des années ne voulaient plus me serrer la main. Ça m’a vraiment miné le moral les premiers temps. Plus récemment, en 2022, j’avais des soins dentaires à faire et j’ai consulté la remplaçante de mon dentiste habituel. Au moment de faire le détartrage, elle me demande mes antécédents médicaux. Je l’informe que je suis séropositif en charge virale indétectable. Je l’ai sentie stressée pendant le détartrage et à la fin du soin, elle me dit que pour le prochain rendez-vous, où elle doit m’extraire une racine, elle aura besoin de mon bilan complet VIH afin de mettre, selon ses mots, « le meilleur protocole de soin en place ». J’ai refusé de lui fournir mon bilan car le protocole doit être le même pour tous les patients. J’ai signalé ce refus de soin à l’adjointe à la santé de la Mairie de ma ville, Livry-Gargan et j’ai même proposé une médiation avec cette dentiste, mais, à ce jour, je n’ai aucune nouvelle et cette racine n’est toujours pas extraite.
Doriane : Je me sens chanceuse quand je t’écoute Yannick car je n’ai pas subi de sérophobie de façon aussi frontale. Mais j’avais un projet de partir vivre au Canada que j’ai dû abandonner car à cette époque-là, le Canada refusait le séjour de personnes séropositives étrangères. J’ai fait des études de biologie et de bio-technologie donc j’ai un rapport au corps médical peut-être plus d’égal à égal. Je prends la parole aujourd’hui à visage découvert car le VIH en 2023 n’est plus une maladie dramatique quand on est dépisté et traité. Il faut briser les tabous autour de toutes les maladies. Il y a aussi un vrai problème de représentation des personnes séropositives dans les médias, dans les films, dans les séries, etc. Quand on n’est pas représenté, quand on n’est pas visible, on n’existe pas dans la société.

Quelle place prend votre traitement VIH dans votre vie aujourd’hui ?

Yannick : Les premières années, je prenais jusqu’à 12 cachets par jour avec des effets indésirables compliqués à gérer au quotidien. Il fallait trouver des subterfuges pour prendre les comprimés en cachette sur mon lieu de travail et parfois mentir à son entourage… comme si on avait deux personnalités. J’ai un rituel tous les matins. Je me regarde dans le miroir et j’imagine que le VIH est au fond du miroir en lui disant : « C’est une journée de plus que j’ai gagnée sur toi et je te laisserai pas gagner ! » Un jour, ma fille a remarqué que je prenais des comprimés qui étaient oranges et elle m’a demandé de lui acheter des Tic Tac orange. Et le soir, au moment de prendre mes comprimés, elle a sorti ses Tic Tac et m’a dit : « T’as vu Papa, je prends mes bonbons comme toi tous les soirs maintenant ». Ça m’a encore plus motivé à les prendre ! Aujourd’hui, je prends un cachet par jour et tout va bien.
Doriane : C’est trop mignon ! Moi, j’ai été dépistée quasiment en stade sida, mes CD4 étaient tombés à 50 et ma charge virale était à 300 000 copies. J’ai vraiment bien réagi au traitement et je suis rentrée dans un essai clinique pour tester une nouvelle molécule. La première année a vraiment été compliquée jusqu’à ce que j’apprenne que j’étais indétectable. Ce fut une grosse révélation pour moi de me dire que ma vie pouvait continuer normalement et que, même en tant que séropositive, je pouvais encore avoir des projets, mener une vie normale. Aujourd’hui, je prends un comprimé par jour, je n’ai pas d’effets indésirables et ma charge virale est indétectable depuis 2012. Je suis très rigoureuse dans l’observance de mon traitement. Ce petit comprimé est devenu un reflex quotidien et il me permet d’avoir une vie normale. C’est ma ceinture de sécurité.

Comment avez-vous découvert I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre vie ?

Doriane : Je l’ai découvert dans un article sur Seronet qui parlait de l’avis suisse. Bien sûr, je me suis empressée de creuser l’information et j’en ai parlé avec mon infectiologue qui m’a confirmé la bonne nouvelle. En prenant mon traitement, je protège mes partenaires et ce fut pour moi un immense soulagement de savoir que je n’étais plus contaminante. Le souci pour moi, aujourd’hui, c’est que cette notion n’est pas connue du public, ni même d’une grande partie du corps médical.
Yannick : Tu as raison. J’en parle beaucoup autour de moi et notamment lors des interventions de mon association en milieu scolaire et la plupart des gens l’ignorent. J’ai d’abord entendu parler de cette notion par d’autres associations VIH, puis mon infectiologue m’a confirmé cette information. Mais il m’a fallu plus d’un an pour intégrer que je n’étais plus contaminant et enlever le préservatif. On m’a tellement martelé pendant 30 ans que seul le préservatif protégeait du VIH, qu’il fallait du temps pour déconstruire tout ça. J’ai eu l’impression de redécouvrir ma sexualité et des sensations que j’avais oubliées.
Doriane : Dans ma vie intime les choses sont claires, je préviens toujours mes partenaires que je suis séropositive en charge virale indétectable. Finalement c’est plus « safe » de coucher avec une personne séropositive sous traitement qu’avec une personne qui se croit séronégative, mais ne se fait pas dépister régulièrement. Il faut rappeler aux personnes séronégatives l’importance de se faire dépister régulièrement surtout quand on a plusieurs partenaires. Il faut aussi généraliser la Prep, c’est un outil qui fonctionne ! Prenez là ! Et l’éducation en milieu scolaire, c’est essentiel ; alors merci Yannick !
Yannick : Le souci, c’est qu’en matière de prévention, ce sont les associations qui font le travail des pouvoirs publics. Par exemple, ma ville Livry-Gargan est labélisée « ville engagée contre le sida » et c’est une catastrophe. Ils n’ont strictement rien fait pour le 1er décembre, on n’a même pas pu monter un stand…

Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre la génération « I = I » et celle des personnes qui vivent avec le VIH depuis les années 80/90 ?

Yannick : Il m’est arrivé d’entendre : « Vous êtes les vieux du sida. Vous dramatisez tout à cause de ce que vous avez vécu à l’époque », alors que justement mon but est que plus aucune personne séropositive ne vive ce qu’on a vécu. Quand on intervient dans les lycées, on essaie de venir justement à deux personnes de générations différentes pour que les jeunes sachent comment nous on l’a vécu à l’époque et comment ça se passe aujourd‘hui. J’ai pu aussi accompagner des personnes qui venaient d’apprendre leur séropositivité et c’était un bonheur de faire ça. J’avais le sentiment d’être comme un grand frère qui fait profiter d’autres personnes de son parcours.
Doriane : J’ai la chance d’avoir dans mon entourage proche une personne qui est séropositive depuis les années 80. C’est une survivante et elle été très rassurante et protectrice avec moi. J’ai conscience d’avoir une chance inouïe. J’ai bénéficié des traitements efficaces avec peu d’effets indésirables donc je me tais et j’écoute celles et ceux qui ont survécu aux années sida. Yannick a vécu des choses que je ne vivrai jamais. Pour moi, il faut respecter cette parole et ce vécu. Il faut une transmission de l’histoire et il faut se souvenir des personnes mortes du sida. Il y a un devoir de mémoire important à faire tout en restant positif sur les avancées thérapeutiques et optimiste pour l’avenir. 
Un grand merci à Doriane et Yannick

Propos recueillis par Fred Lebreton.

La rubrique Générations Positives propose une rencontre entre deux personnes vivant avec le VIH de deux générations différentes et qui ne se connaissent pas. Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre ces générations ? Comment les plus anciens-nes peuvent-ils-elles transmettre l’histoire de la lutte contre le VIH tout en acceptant l’optimisme et le vécu de la génération I = I ? Quels sont les points de convergences de ces générations ? Si vous voulez participer à un entretien croisé, n’hésitez pas à envoyer un mail à Fred Lebreton (flebreton "@" aides.org).