Générations positives : Marie et Ludovic

Publié par Rédacteur-seronet le 07.04.2021
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Marie a 59 ans. Elle vit avec le VIH depuis 1988. Ludovic a 32 ans et vit avec le VIH depuis 2019. Ils ne se sont jamais rencontrés ou parlés. Aujourd’hui, ils participent à un entretien croisé.

Quelle était votre situation personnelle au moment où vous avez découvert votre séropositivité ?

Ludovic : Ma vie professionnelle était stable. D’un point de vue familial, c’était et c’est toujours compliqué avec ma mère et d’un point de vue sentimental, il ne se passait pas grand-chose. De façon plus générale, je suis quelqu’un de sensible et je me sentais particulièrement vulnérable à l’époque de cette découverte.
Marie : Est-ce que je peux te demander ce qui t’a poussé à faire le test ?
Ludovic : À cette période-là, j’ai rencontré un garçon avec qui ça se passait bien. Il m’a demandé de faire un dépistage. C’était la première fois que je faisais un test VIH à 30 ans. J’avais peur du VIH et du corps médical de manière générale, j’avais en tête des représentations qui associaient le VIH au sida et à la mort. Notamment ces images de personnes avec des taches sur la peau (1) et je pense que c’est cette peur qui m’a fait attendre aussi longtemps avant de faire le test.
Marie : À l’époque [1988, ndlr], j’habitais dans le sud-est, j’étais en couple depuis trois ans et tout se passait bien. Un jour, j’ai commencé à avoir des boutons bizarres sur le visage et sur les mains. J'ai consulté une dermatologue qui m'a fait faire une prise de sang. J'ai appris ma séropositivité suite à cette prise de sang. Ce qui est grave, c'est que non seulement le dépistage a été fait à mon insu, mais, en plus, le résultat qui aurait dû être annoncé par la dermatologue m’a été communiqué par une tierce personne. C’était une période compliquée car à l’époque les personnes séropositives étaient très stigmatisées et catégorisées. Il y avait le sida « propre », c’est-à-dire les personnes infectées lors d’une transfusion sanguine, et le sida « sale », les personnes infectées lors de rapports sexuels ou en consommant des drogues par injection. J’ai été toxicomane pendant 6 mois en 1984, donc je faisais partie de la seconde catégorie aux yeux des gens mais je ne me suis pas laissée atteindre par ces jugements et j’ai continué à vivre ma vie.

Est-ce que vous parlez de votre statut sérologique avec vos proches (familles, amis, collègues) et si oui quelles sont leurs réactions ?

Marie : Je me souviens qu’un jour je gardais les enfants de ma sœur et mon beau-frère. J’étais en train de faire des crêpes et mon beau-frère m’a dit que je ne pourrai plus garder ses enfants à cause du VIH. Ma sœur a pris ma défense en buvant dans ma tasse et son mari a fini par s’excuser. Sa peur venait d’une certaine ignorance des modes de transmission, mais sur le coup, j’ai pris une claque. Je me suis sentie comme une pestiférée. Et puis, j’ai eu un autre souci dans mon boulot. Cette fois, mon statut sérologique a été divulgué. J’ai eu l’impression qu’on m’avait volé la décision d’en parler ou pas. Ça m’a mis en colère et depuis j’en parle librement si l’occasion se présente et si ça ne plait pas, c’est pareil. En ce qui concerne ma mère qui a 91 ans aujourd’hui, j’ai mis quinze ans avant de lui annoncer car je voulais la préserver et me préserver par la même occasion de ses inquiétudes, je suis toujours sa petite puce à bientôt 60 ans. (Marie éclate de rire)
Ludovic : Moi, je sélectionne les personnes à qui j’en parle car je veux me préserver de leur jugement. Quand on me pose des questions j’explique avec des mots simples quels sont les traitements ou ce que signifie avoir une charge virale indétectable, etc. Je n’en parle pas dans mon travail, par exemple, ni à ma famille. Je crains les réactions du genre « Oh mon pauvre » car, en réalité, je vais bien. Mon traitement fonctionne et je n’ai pas envie ni besoin de sentir la pitié, la tristesse ou l’inquiétude de mon entourage. J’ai besoin de personnes bienveillantes et compréhensives.
Marie : Dans ma courte période de toxicomanie, j’ai subi ce genre de jugement « T’as joué, t’as perdu : c’est bien fait pour toi » ou alors des questions très intrusives pour savoir comment j’ai contracté le VIH. C’est une question qui ne se demande pas.

Comment avez-vous découvert la notion de U=U (I = I / Indétectable = Intransmissible) ? Qu’est-ce que cela a changé dans votre rapport au VIH ?

Marie : Il faut savoir qu’au départ j’étais co-infectée avec le virus de l’hépatite C et j’ai subi deux années d’interféron (2), un traitement très lourd avec des injections dans les cuisses un jour sur deux. Après chaque injection, j’avais comme un syndrome grippal. En parallèle, j’ai aussi pris de l’AZT (3) à partir de 1994 avec des effets indésirables combinés très lourds comme la perte de poids, des diarrhées incontrôlables ou la perte de mes cheveux…
Ludovic : Je suis en train de me prendre une claque en pleine gueule et je réalise la chance d’avoir été diagnostiqué en 2019 avec un accès aux traitements actuels.
Marie : On a bien galéré, c’est clair, mais j’ai fini par guérir de l’hépatite C. Aujourd’hui, mon VIH est contrôlé en charge virale indétectable. En ce qui concerne la notion indétectable = intransmissible, le professeur qui me suit depuis des années ne m’en a jamais parlé. J’ai appris ça, il y a juste un an par un jeune infectiologue qui le remplaçait. Je suis en colère car c’est comme si le caractère sexuel n’avait pas d’importance aux yeux de ce praticien et avec mon mari on aurait pu arrêter le préservatif depuis des années si on avait su. J’ai même testé le préservatif interne et c’est forcément un mec qui a inventé ça !
Ludovic : Avant de découvrir ma séropositivité je ne connaissais pas grand-chose aux nouveaux traitements. Par la suite, j’ai commencé à lire des sites comme Parcours positif, Seronet ou Actions Traitements. Je me suis informé et j’ai compris que grâce aux traitements on pouvait vivre longtemps, en bonne santé et sans transmettre le VIH. C’est un message d’espoir important qu’il faut expliquer à tout le monde et surtout aux personnes qui apprennent leur séropositivité. Il faut briser cette peur autour du VIH, c’est à cause de cette peur que j’ai attendu l’âge de 30 ans avant de faire mon premier test.

Marie, quel regard portez-vous sur la nouvelle génération U = U ?

Marie : C’est fabuleux, quel bonheur ! Il n’y a plus cette épée Damoclès, cette peur de transmettre la mort. Et puis on a du recul sur les traitements. C’est vrai que j’ai parfois l’impression d’avoir servi de cobaye - et encore je n’ai jamais eu les 20 cachets par jour comme certaines personnes - mais on a de la chance d’avoir eu ces avancées thérapeutiques. Aujourd’hui, j’en suis à un cachet par jour, quel bonheur ! Et j’attends avec impatience le traitement par injection une fois tous les deux mois.

Ludovic, quel regard portez-vous sur la génération des personnes qui vivent avec le VIH depuis 25/30 ?

Ludovic : Effectivement, on a de la chance aujourd’hui. Je n’aurais pas voulu vivre ma séropositivité dans la période des années 80/90. J’ai lu des témoignages très durs sur cette époque. Je ne sais pas si j’aurais pu supporter de voir des amis ou des amants mourir.
Marie : Quand tu es dedans tu y vas. Par la force des choses tu es obligé d’avancer et c’est des années après que tu prends du recul et réalises le chemin parcouru.

Comment renouer le dialogue entre ces deux générations ?

Marie : J’ai du mal à comprendre ce décalage parfois. On n’est pas dans un concours de souffrance. Et puis chaque vécu est différent. Si ça se trouve, Ludovic morfle dix fois plus que moi j’ai morflé. On peut bien vivre avec le VIH et connaître d’autres épreuves comme le deuil par exemple. C’est comme certains anciens qui disent : « Il vous faudrait une bonne guerre. Vous n’avez rien vécu ». Chaque époque et chaque parcours de vie portent son lot d’épreuves.
Ludovic : Certaines personnes sont plus dans le jugement et pas assez dans la bienveillance. Il y a effectivement parfois une hiérarchie de la souffrance avec un discours du genre : « J’ai connu les années sida donc je sais mieux que toi ». Il faut plus de dialogue et puis je pense aussi que tout le monde n’a pas ta force Marie.
Marie : La force est avec moi ! (Marie éclate de rire) Au contraire, moi, je suis contente d’être en face de toi et de te dire avec le sourire et la pêche : « Regarde comment je suis au bout de 32 ans de VIH. Regarde la belle vie qui t’attend ». C’est un peu pour ça que j’ai écrit à Remaides pour participer à cette rencontre. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer d’amener ma pierre à l’édifice et donner une note d’espoir et d’optimisme.

Propos recueillis par Fred Lebreton.

 

(1) : La maladie de Kaposi (MK), anciennement appelée sarcome de Kaposi (SK) constituait l’une des pathologies opportunistes les plus fréquentes chez les personnes vivant avec le VIH en stade sida avant l’arrivée des trithérapies en 1996.
(2) : Un des médicaments utilisés dans le traitement de l’hépatite C.
(3) : La zidovudine (azidothymidine, AZT ou ZDV) est un médicament antirétroviral, le premier utilisé pour le traitement de l'infection par le VIH en 1987. C'est un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse (NRTI).

Le vécu des personnes vivant avec le VIH a beaucoup évolué depuis l’arrivée des trithérapies en 1996. Avec les années et les avancées thérapeutiques, un fossé s’est creusé entre une génération qui a connu des traitements avec de nombreux effets indésirables, des comorbidités apparaissant avec le vieillissement et parfois même les décès de personnes très proches et une nouvelle génération qui s’est construite  autour du Tasp et de la Prep, de traitements simplifiés. Pourtant, chaque expérience de vie avec le VIH est unique et mérite d’être racontée et entendue. Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre ces générations ? Comment les plus anciens-nes peuvent-ils-elles transmettre l’histoire de la lutte contre le VIH tout en acceptant l’optimisme et le vécu de la génération U = U ? Quels sont les points de convergences de ces générations ? Si vous voulez participer à un entretien croisé, n’hésitez pas à envoyer un mail à Fred Lebreton (flebreton "@" aides.org).

 

Commentaires

Portrait de Butterfly

Moi eu en 86 - comment je ne sais pas .. connu sniffette un an et des rapports sexuels tout genre bof je m'en fou  - mais même si connu la drogue 1 ans sur les comptes rendu médicaux c écrit toxicologie donc a vie je suis fiché fait chier bah .. sinon oui c bien qu'un jeune est voulu écouter aussi une de ces années 80 car les jeunes d'aujourd'hui ne cherche plus le dialogue même si il l'attrape la preuve sinon y aurait pas autant de cas positif de nos jours .. moi j'avais peur de mourrir , c normal et aujourd'hui encore mais + du covid bref.. 

Bonne interview donc - et courage aux nouveaux arrivants ....................................... l'histoire se finira jamais bah