Générations positives : Thaïs et Cylvain

Publié par Rédacteur-seronet le 11.01.2022
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Thaïs et Cylvain sont de la même génération (respectivement 47 et 44 ans), mais Thaïs vit avec le VIH depuis 1993 et Cylvain depuis 2011. Ils ne se connaissent pas et ne se sont jamais parlé. Aujourd’hui, ils participent à un entretien croisé.

Dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité et quelles ont été les répercussions sur votre vie les premiers temps ?

Thaïs : Cela remonte à loin, en 1993. À cette époque, j’étais consommatrice de drogues et je savais que je faisais partie des groupes très exposés au VIH. Je faisais donc un dépistage tous les trois mois. Mon conjoint de l’époque a été diagnostiqué positif et six mois plus tard, c’était mon tour. Sur le moment, les médecins nous avaient annoncé qu’il nous restait six mois à vivre. Il y avait déjà des traitements comme l’AZT mais j’étais dans une situation très précaire ; j’étais SDF, toxicomane et désormais séropositive. J’avais 19 ans et aucune perspective d’avenir.
Cylvain : Un matin, en décembre 2011, alors que j’étais aux toilettes, j’ai fait une grave hémorragie et j’ai perdu connaissance. J’ai été conduit aux urgences où j’ai été diagnostiqué séropositif en stade sida avec des CD4 très bas, une charge virale à plus d’un million de copies et plusieurs maladies opportunistes, dont la tuberculose. Cela faisait plusieurs mois que je sentais ma santé se dégrader, fatigue, perte de poids, etc. mais je n’avais pas pensé au VIH car mon dernier dépistage remontait à un an. Visiblement, j’ai contracté une souche très virulente du VIH avec un processus de réplication très rapide. J’ai été placé en chambre d’isolement pendant plusieurs semaines à cause de la tuberculose. Les médecins m’ont demandé de prendre mes dispositions car ils n’étaient pas certains de l’issue. J’avais 60 comprimés à prendre par jour et je continuais à perdre du poids. J’ai passé Noël et le 31 décembre à l’hôpital. Heureusement, mon conjoint, qui est devenu mon époux par la suite, était présent tout le temps et a été un soutien constant dans cette épreuve. Il a tout géré à ma place.
Thaïs : En même temps, vu ton état, tu ne pouvais pas faire grand-chose non ?
Cylvain : C’est sûr, mais j’imagine que les personnes seules doivent gérer davantage de choses comme prévenir les proches. Quand je suis sorti de l’hôpital, j’étais encore très diminué. Je me rappelle qu’un jour, dans le bus, une mamie avait remarqué mon état et m’avait proposé sa place ! J’ai mis six mois avant de reprendre des forces et en décembre 2012, un an après mon diagnostic, ma charge virale était indétectable.
Thaïs : Tu as tout fait en accéléré finalement ! Ce qui est étonnant, c’est qu’en 2011 tu as eu, à peu près le même discours des médecins que celui que j’ai eu en 1992. Moi aussi j’ai été malade. Je suis tombée à 100 CD4 et j’ai été hospitalisée. J’ai accepté de rentrer dans un essai thérapeutique en 1996. Il fallait accepter le fait qu’on avait très peu de recul sur ces nouvelles molécules et qu’on était des cobayes, mais c’était ça ou la mort ! J’ai connu des effets indésirables très pénibles, j’avais des nausées, des diarrhées, une sensation de fourmis dans les doigts des mains et des pieds et jusqu’à aujourd’hui j’en garde des séquelles. Mais ce traitement m’a sauvé la vie et petit à petit, j’ai remonté la pente. J’avais très peur d’avoir des stigmates physiques du VIH et de faire une lipodystrophie (1). Alors en 2000, je me suis mise à fond dans le sport. Je pense que c’est ce qui m’a permis de rester en bonne santé physique et mentale, avec l’arrêt total de la drogue aussi.
Cylvain : Moi, j’ai essayé le sport, mais ce n’était pas vraiment mon truc. J’avais l’impression de devoir répondre à une norme sociale, surtout chez les gays et finalement peut être que le VIH m’a obligé à accepter mon corps tel qu’il est, c’est-à-dire naturellement svelte.

Thaïs, vous êtes maman d’un petit garçon de trois ans, comment est arrivé ce projet de parentalité ?

Thaïs : J’avais un désir d’enfant avec mon ex conjoint. Je suis tombée enceinte plusieurs fois, mais à l’époque il y avait un risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant. Et puis, en 2015, mon gynécologue m’a expliqué qu’avec les traitements actuels il n’y avait plus de risque de transmission car ma charge virale était indétectable depuis de nombreuses années. Je suis tombée enceinte rapidement une première fois, suivie d’une fausse couche précoce. Puis à nouveau deux ans plus tard ; je n’étais plus en couple avec le père, mais j’ai décidé de le garder. C’était maintenant ou jamais car j’avais déjà 43 ans.
Cylvain : Ma nièce est également séropositive. Elle est en couple sérodifférent et ils ont eu deux enfants. J’ai appris sa séropositivité, par des membres de ma famille en mai 2013, le jour des obsèques de ma mère. Ils m’ont expliqué que c’était la raison pour laquelle elle prenait son repas à part dans sa voiture…
Thaïs : Pardon ?! Mais c’était en quelle année ? En 2013…  C’est hallucinant, il y a du boulot encore.
Cylvain : Oui c’était clairement de la sérophobie et de l’ignorance et c’est ce qui m’a poussé, ce jour-là, à annoncer ma séropositivité à ma famille.

Cylvain, vous avez décidé de témoigner à visage découvert depuis un an, en quoi cette visibilité est importante pour vous ?

Cylvain : J’avais besoin de dire au monde entier qu’on pouvait être séropositif et heureux et puis j’étais le seul dans mon groupe d’amis à parler ouvertement du VIH. C’était un acte militant même si sur le coup je n’en ai pas saisi l’ampleur. Par la suite, des amis sont venus me confier qu’ils étaient, eux aussi, séropositifs, mais ils me demandaient de ne pas en parler y compris à nos amis en commun. En parlant à visage découvert je veux lutter contre la honte et le secret autour de la séropositivité.
Thaïs : En ce qui concerne ma famille, je n’ai pas eu besoin de le faire car une amie de l’époque l’avait fait à ma place en écrivant à ma mère ! Cela partait d’une bonne intention, mais elle m’a volé ce moment et je n’avais pas encore totalement digéré la nouvelle. Par la suite, je n’ai jamais caché mon statut sérologique sauf au niveau professionnel car j’ai malheureusement connu une situation de discrimination qui a d’ailleurs fini aux Prud’hommes.

Comment avez-vous découvert la notion I = I (Indétectable = Intransmissible) et qu’est-ce que cela a changé dans votre rapport au VIH ?

Thaïs : Au début, mon infectiologue me disait : « C’est bien, votre charge virale est inférieure à 50 ; le virus ne réplique plus », mais on ne parlait pas encore de la notion Indétectable = Intransmissible. Et puis, j’ai entendu parler par les associations du rapport Suisse (2), mais quand j’abordais le sujet avec mon infectiologue, il était très frileux et insistait sur la nécessité de maintenir l’usage du préservatif. Du coup, pendant plusieurs années, je me suis retrouvée avec un double discours et c’était compliqué pour moi d’avoir un discours clair auprès de mes partenaires. Au moindre accident de capote, j’accompagnais mon partenaire aux urgences pour demander un TPE alors qu’en réalité il n’y avait aucun risque. Ce manque de consensus a installé un doute dans l’esprit des gens et m’a empêché d’avoir une vie sexuelle épanouie pendant longtemps.
Cylvain : En 2011, je me pensais bien informé sur le VIH, mais je n’avais jamais entendu parler de cette notion de charge virale indétectable avant d’être diagnostiqué. C’est mon infectiologue à l’hôpital qui me l’a expliqué.

Quel regard portez-vous sur la nouvelle génération I = I ?

Thaïs : J’ai parfois un sentiment ambivalent. Il m’est arrivé de me sentir un peu vexée par certains discours. Je me rappelle, il y a quelques années, avoir participé à un groupe de parole avec des séropos récemment diagnostiqués qui disaient que le VIH n’avait rien changé dans leur vie, alors que moi, 29 ans après mon diagnostic, j’éprouve chaque jour dans mon corps les conséquences de nombreuses années de traitements lourds ! Et en même temps, je suis super contente pour eux, qu’ils aient accès à des traitements très efficaces avec moins d’effets indésirables et qu’ils puissent vivre une vie normale.
Cylvain : Ce que j’ai observé à travers mes échanges avec des séropositifs récemment diagnostiqués et qui sont venus me parler en privé sur les réseaux sociaux, c’est peut-être un manque de connaissance de ce qu’ont été les traitements dans les années 80/90. Il y a un manque de transmission sur l’histoire du VIH. Et en même temps, je comprends ce besoin de légèreté et cette prise de distance avec les années sida. Aujourd’hui, le VIH, quand il est dépisté et traité, c’est une infection chronique et non plus une maladie mortelle.

Quel regard portez-vous sur la génération des personnes qui vivent avec le VIH depuis 30 ans ou plus ?

Thaïs : J’en fais partie, mais je ne la côtoie pas ! Et pourtant, je ressens une forte affinité avec cette génération comme si nous avions traversé cette épreuve ensemble. Il y a une histoire commune.
Cylvain : J’ai l’impression qu’ils se sentent un peu oubliés. J’entends certains dire qu’on ne parle plus que de I = I et de la Prep, mais pas de leurs difficultés ou de leurs vécus. D’autres continuent à utiliser le préservatif même si leur charge virale est indétectable. Je crois qu’il y a un véritable trauma dans cette génération et beaucoup de solitude. Il faudrait trouver un équilibre entre la transmission de cette mémoire et la nécessité de parler de I = I avec légèreté. Il faut aussi que ces générations se rencontrent et se parlent plus.
Thaïs : Pendant longtemps, la peur de transmettre le VIH était maladive chez moi. Je me considérais comme une personne toxique et vénéneuse. Et puis j’étais co-infectée avec l’hépatite C, dont j’ai guéri, et l’hépatite B, ce qui n’a pas arrangé les choses. Je me souviens avoir passé des jours entiers à nettoyer ma vaisselle à fond quand je recevais du monde. La naissance de mon fils m’a beaucoup aidée à intégrer la notion Indétectable = Intransmissible. Je l’ai conçu et mis au monde de façon naturelle et il n’est pas infecté. Aujourd’hui, j’invite toute personne avec un désir d’enfant ou qui découvre sa séropositivité au cours d’une grossesse à écouter son intuition et de ne pas hésiter à demander des informations et du soutien aux associations (3).

Propos recueillis par Fred Lebreton

(1) Lipodystrophies : anomalies de la répartition des graisses corporelles qui peuvent donner des stigmates physiques comme le visage creusé, un ventre arrondi et dur comme celui d’une femme enceinte, etc. Ils étaient provoqués par la prise de certains ARV dans les années 90/2000. La graisse disparait du visage, des jambes, des fesses et peut se localiser autour des viscères, au niveau abdominal et aussi sur la nuque (bosse de bison).
(2) : Le 1er décembre 2007, le professeur Bernard Hirschel et ses collègues experts-es suisses du VIH annoncent que : « Les personnes séropositives suivant un traitement antirétroviral efficace, ne transmettent pas le VIH par voie sexuelle ». Cette annonce, médiatisée en 2008, est ce qu’on appelle aujourd’hui « L’avis Suisse » ou rapport Hirschel. C’est le point de départ de la « révolution » I = I.
(3) : Thaïs participe bénévolement au projet « Grandes sœurs » du Comité des Familles. Ce programme d’accompagnement par les pairs s’adresse aux femmes séropositives enceintes ou ayant un désir d’enfant, et à leur partenaire.

Le vécu des personnes vivant avec le VIH a beaucoup évolué depuis l’arrivée des trithérapies en 1996. Avec les années et les avancées thérapeutiques, un fossé s’est creusé entre une génération qui a connu des traitements avec de nombreux effets indésirables, des comorbidités apparaissant avec le vieillissement et parfois même les décès de personnes très proches et une nouvelle génération qui s’est construite  autour du Tasp et de la Prep, de traitements simplifiés. Pourtant, chaque expérience de vie avec le VIH est unique et mérite d’être racontée et entendue. Comment renouer le dialogue parfois compliqué entre ces générations ? Comment les plus anciens-nes peuvent-ils-elles transmettre l’histoire de la lutte contre le VIH tout en acceptant l’optimisme et le vécu de la génération U = U ? Quels sont les points de convergences de ces générations ? Si vous voulez participer à un entretien croisé, n’hésitez pas à envoyer un mail à Fred Lebreton (flebreton "@" aides.org).