J’ai eu la chance de connaître très tôt des amis et des partenaires séropositifs

Publié par gayseropo le 11.08.2008
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Je suis gay depuis 25 ans et séropositif depuis un an et demi. Je souhaite témoigner aujourd’hui de la difficulté, mais aussi de l’importance qu’il y a à dire sa séropositivité, son orientation sexuelle, et à échanger sur nos pratiques.

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Il y a quinze ans, j'avais fait le choix de vivre au plus près de mon ami touché par le sida. J'avais recherché l'aide ou tout au moins l'écoute et le réconfort de certaines personnes en qui j'avais confiance. J'ai été confronté parfois à l'incompréhension, à la mise à l'écart, à l'exclusion : dans nos familles, au travail, dans le milieu gay... Ainsi, un médecin m'a dit un jour lors d'une consultation : "Ah, vous êtes homosexuel... vous n'avez pas choisi la voie la plus facile. Vous ne pouvez pas changer ?" Un proche m'a proposé : "Tu peux venir passer quelques jours à la maison, mais on préfèrerait que ton copain ne t'accompagne pas." Un gay que je ne connaissais pas et que je draguais m'a répondu : "Non, enfin, tu comprends, tu sors avec un gars qui a le sida". Un collègue que je considérais comme un ami, m'a dit lors d'une réunion de travail : "J'espère que ton copain va crever... Parfois, j'ai envie de te détruire pour ce que tu représentes."

Heureusement, j'ai plus souvent reçu de formidables preuves d'amitié et de solidarité pour moi-même et mon ami qui est décédé en 1993. Si je vous parle de mon coming-out, il y a quinze ans en tant que gay, c'est parce que le faire m'a aidé à me reconstruire, à m'affirmer et plus tard à dire ma séropositivité. Dès l'annonce de cette séropositivité à laquelle je ne m'attendais pas, j'en ai informé les hommes que j'avais rencontrés les mois précédents, ma famille, mes amis proches. J'ai voulu que mon entourage comprenne pourquoi je me sentais parfois un peu plus seul, pourquoi dire sa séropositivité pouvait provoquer la discrimination, que la séropositivité était souvent un obstacle aux rencontres sexuelles et me semblait limiter mes perspectives de construire une relation affective durable.

S'il est important pour moi d'être accepté comme gay et séropositif, d'être tout simplement reconnu dans mon intégralité, c'est pour pouvoir parler sans être stigmatisé de ce que j'aime, de mes envies, de mes amis, de mes doutes, de mes craintes, de mes projets, bref de ma vie. Certes la dicibilité est parfois difficile car je ne peux jamais préjuger de comment la personne à qui je me confie recevra l'annonce de ma séropositivité, ni comment elle me percevra ensuite, mais la cacher constamment serait ignorer une partie de moi et me laisserait isolé avec mon VIH.

Je veux aussi vous parler de prévention et de pratiques. J'avais toujours utilisé le préservatif lors de pénétrations avec mes partenaires de rencontre, et pourtant, depuis que je suis séropositif, il m'est arrivé d'accepter des rapports non protégés. Je ne l'ai pas fait par crainte d'un refus, par lassitude de la capote, par irresponsabilité, par désir malsain de contaminer ni par perversion mais parce que l'autre était séropositif ou parce que l'autre me le proposait. Parce que nous en avions envie et que nous en acceptions les risques, parce que nous avions convenu de certaines limites et enfin parce que tous deux nous désirions vivre une relation pleine, entière et insouciante le temps d'une heure ou d'une nuit.

Ce que je veux dire ici, c'est que, gay séropositif, j'ai aussi besoin d'espaces d'expression et d'échanges sur mes pratiques, sans jugement, sans tabous, et que je souhaite que les messages de prévention et de réduction des risques prennent en compte les réalités que je vis. Pour conclure, je veux vous dire que j'ai de la chance. Dès le début de l'épidémie, j'ai eu la chance d'avoir facilement accès à l'information dans la presse gay, auprès d'associations, d'avoir toujours pu me procurer des préservatifs, du gel et de faire régulièrement des tests de dépistage. J'ai eu la chance de connaître très tôt des amis et des partenaires séropositifs. J'ai aussi eu la chance d'être contaminé récemment et, même si je pense encore chaque jour à ma séropositivité, les avancées thérapeutiques font que je n'y pense pas en termes de maladie ni de mort. Enfin, j'ai la chance, depuis que je suis contaminé, d'avoir pu le dire à des proches, des amis, des collègues qui me reconnaissent aussi en tant que séropositif et qui m'apportent leur soutien quand j'en ai besoin. A eux tous, je veux dire merci, merci de leur amitié et de leur solidarité. Je dédie ce témoignage à Philippe qui me disait à l'hôpital il y a quinze ans : "Tu sais Jean-Christophe, je n'ai pas peur de disparaître ; on ne meurt vraiment que lorsque plus personne ne pense à toi." J'ai la chance et le plaisir d'être ici parmi vous pour penser à lui, aux autres, à nous, et à l'avenir. J'aimerais que mon témoignage puisse aider d'autres séropositifs à être plus visibles car c'est notre diversité et, hélas, notre nombre qui font également notre force.

Crédit photo : Joseph Robertson