"Ma vie aurait pu être bien différente sans la loi de 70"

Publié par Cathy le 28.06.2012
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Bordeaux accueillait le 30 mai dernier un débat citoyen sur la loi de 70. A cette occasion, Cathy a témoigné de son parcours d’ancienne toxicomane, de femme co-infectée VIH/VHC, de militante aussi… Fort, précieux, ce témoignage a été un des temps forts de ce débat.

Bonjour, je m’appelle Cathy, j’ai 47 ans. Je suis militante, ancienne toxicomane, co-infectée VIH/VHC avec un cancer soigné.

On pourrait dire que j’ai eu plusieurs vies en une. Les produits et la maladie l’ont marquée. Le combat aussi. Combat contre l’injustice, combat contre la mort, combat contre la dépendance, combat pour la vie. C’est pourquoi je me trouve aujourd’hui ici. Ma vie aurait pu être bien différente si la loi du 31 décembre 70 avait été réformée, et l’usage de drogues dépénalisé.

Je suis tombée dans l’héro à 17 ans et demi, après le décès de ma mère. C’était en 1983. Je la fumais et je demandais à ce qu’on me l’injecte, car j’avais peur de m’abimer les bras. A l’époque, on n’avait pas accès à du matériel stérile. On achetait des vaccins antitétaniques quand les pharmaciens le voulaient bien ; on volait des seringues dans les pharmacies hospitalières, services hospitaliers, cabinets d’infirmiers ; on volait des ordonnances chez les médecins, des carnets à souche ; on utilisait du matériel usé et infecté, voire des stylos Bic, il fallait retrouver les anciennes aiguilles en argent, etc.

Pour pouvoir me payer ma conso, et avoir de la came de qualité, je faisais du commerce international : j’allais chercher le produit en Hollande. On se faisait passer pour des taxidermistes (avec des seringues stériles que nous ramenions en même temps). Je suis également partie en Thaïlande en rentrant par Amsterdam pour ne pas me faire arrêter par la police et les douanes. C’est l’usage d’héroïne qui m’a conduit à faire du trafic : moins cher, meilleure qualité. Car même quand on se drogue, on peut avoir envie de prendre soin de soi et avoir des produits de qualité. Et la marge qu’on se fait sert à payer notre propre consommation.

En rentrant en France, j’étais "jaune". Impossible pour moi de dire au médecin que je prenais de l’héroïne. J’ai fait des examens sanguins et passé un test pour l’hépatite. On m’a appris que j’avais une hépatite "non A non B" (le VHC n’a été nommé qu’en 1985). J’ai continué mon commerce international avec la Hollande.

J’ai fait mon premier sevrage en 1985, suite à un serrage par les douanes à la frontière (ils n’ont rien trouvé, mais ça m’a fait peur). J’ai tout revendu à un dealer parisien sans me garder un gramme. J’étais à Paris. Je n’avais jamais connu le manque. En pleine nuit, j’appelle SOS Médecins : le médecin a été top. Il a été cherché de la morphine et m’a fait un shoot avant que je prenne le train pour Bordeaux. C’était ça ou Sainte-Anne, HP. A Bordeaux, j’ai fait une cure de désintox, en psychiatrie à l’époque, avec interdiction de sortir du service, puis une postcure. Je suis retombée dedans quelques mois après. Si j’avais eu des traitements de substitution à l’époque, cela aurait changé les choses. En tout cas jusqu’à ce que j’apprenne mon VIH en 1989. Jusqu’alors j’étais bien insérée. Je travaillais : j’étais garde malades à domicile. Avec le VIH, j’ai commencé à me marginaliser. J’ai tout quitté : ma maison à Libourne, mon mari, coupé tout lien avec ma famille. Je n’avais plus aucune perspective. Je voyais bien les conditions dans lesquelles mes potes mourraient les uns après les autres. Je n’avais pas envie de faire vivre ça à mes proches.

C’était impossible pour moi de me projeter dans la vie avec le manque en plus. L’héroïne m’aidait à avancer et à tenir le coup. En plus, je ne tombais pas malade avec… Mon compagnon faisait des braquages, et avec les sous que ça ramenait je faisais des allers-retours en Hollande. Mon compagnon a préféré se suicider de manière ultra violente, plutôt que de mourir du sida en prison. Trois semaines avant, mon ex-mari était mort du sida. J’étais affaiblie, psychologiquement et physiquement ; je développais un sida, mais heureusement ne le savait pas encore. Pour moi c’était clair : ou je les rejoignais ou j'arrêtais. J’ai décidé d’arrêter. C’était en mars 1995.

Je suis partie à Bayonne, en hébergement thérapeutique postcure, mais ils m’ont virée au prétexte que je ne changeais pas mon comportement et ne me levais pas pour 10 heures. Parce que j’allais de temps en temps à un bar rock et que j’étais malade ! Pourtant j’avais décroché. Mais on ne croit jamais un tox... Je me suis retrouvée à la rue en sortant de l’hôpital car comme j’étais alors en sida déclaré le centre de postcure ne pouvait pas me reprendre ! J’ai dormi sur le canapé dans le local de AIDES à Bayonne. J’étais en stade sida déclaré et à la rue. Comment ne pas replonger ? Aucune structure ne pouvait m’héberger. J’ai dormi dans un hôtel avec des cafards et mangé avec les tickets-service. J’ai été la première à entrer dans le protocole expérimental du Subutex, que je n’ai jamais injecté. J’ai décroché du Subutex en 1996, grâce à la rachacha [dérivé du pavot, ndlr], dans le Sahara. Comme quoi, un produit illicite et naturel peut aider à faire décrocher d’une dépendance à un traitement de substitution…

A partir de là, j’ai tout arrêté. Je prenais de la coke occasionnellement, et fumais des joints. Mais c’en était fini de la toxicomanie, de la dépendance. Je voulais m’installer à Dakar. Mais j’avais moins de 400 CD4 et une charge virale importante : j’ai été mise sous traitement avec l’interdiction de partir en Afrique. C’était ma première bithérapie (j’avais refusé l’AZT jusqu’alors), en janvier 1997. A partir de cette date, pour moi, c’est l’errance. Plus de défonce pourtant, mais à la rue, l’AAH, le vol pour me payer un toit… Un peu de prison aussi… Je recherchais à me réinsérer. Et il n’y avait rien d’adapté pour les toxs séropos qui voulaient décrocher dans la durée. Ce n’est pas parce qu’on décroche qu’on n’est pas fragile. Et ce n’est pas parce qu’on est tox ou ancien tox qu’on est irresponsable. J’ai l’expérience de postcure comme une prison, ultra infantilisant.

2002 : traitement du VHC. C’est aussi pour moi la période où je me suis engagée dans la RDR [réduction des risques, ndlr] sur Paris. Je me suis engagée avec Jimmy Kempfer à la clinique Liberté, et j’étais volontaire à AIDES à Paris. Je prenais de la méthadone le week-end pour tenir sur les actions en milieu festif. Et j’ai bien vu l’impact désastreux de la loi de 70 en termes de santé, avec tous ces produits de coupe qui ont des effets irréversibles sur le cerveau et empêchent définitivement de s’insérer. Ce à quoi s’est ajoutée l’interdiction du testing…

A mon retour sur Bordeaux, on m’a refusé un logement thérapeutique sous prétexte que je n’étais plus "addict".  Il aurait fallu que je mente pour être logée, me refaire prescrire de la méthadone…

Aujourd’hui, je consomme peu et à des fins thérapeutiques. Car contrairement à ce que pensent la plupart des gens, on peut être sorti de la toxicomanie, de la dépendance, et consommer occasionnellement. J’ai eu un cancer il y a trois ans. Les médecins préfèrent que je fume mon cannabis et mon opium pour lutter contre la douleur et les effets indésirables.  Si aujourd’hui je vais en prison parce que je consomme pour vivre mieux avec mon VIH et mon cancer, j’arrêterai volontairement la trithérapie et je ferai appel à une grève générale des personnes séropos incarcérées pour usage de stupéfiants par le biais des associations et de mon avocat.

La toxicomanie, c’est un problème de santé publique. Cela nécessite un réel accompagnement, accompagnement dans la durée qui soit vraiment adapté. Et la prison n’arrange rien, au contraire. Elle marginalise, c’est l’apprentissage des drogues et de la survie… Et comme il n’y a aucune perspective à la sortie, on deale forcément pour s’en sortir, pour vivre ou on se prostitue.

On peut consommer pour raison médicale, ou parce qu’on est toxicomane, mais on peut aussi consommer de manière festive sans entrer dans l’addiction. Pour moi, c’est la loi de 70 qui m’a maintenue dans la marginalité et la consommation. Si la loi avait été modifiée, j’aurais eu de l’héroïne de qualité en France et pas besoin de faire des allers-retours en Hollande, avec tous les risques pour ma vie que cela présentait ; J’aurais pu avoir accès à de l’héroïne médicalisée au lieu de prendre des traitements de substitution dont j’ai dû aussi décrocher car inadaptés et inefficaces. En fin de vie, je vais être obligée d’aller en Asie, où il y a de l’héroïne, car la morphine ne m’est pas du tout adaptée, ni les médicaments opiacés coupés à la caféine ou autre avec lesquels je peux faire une hépatite médicamenteuse !

Les trithérapies fatiguent le foie. Je sais ce que c’est que de se défoncer aux médicaments, et les Français en consomment beaucoup. Fort effet psycho-actif. Mais c’est légal. Tout comme l’alcool, qui entraîne pourtant une forte addiction et des dégâts bien plus graves sur le corps, les organes, le cerveau. Et moi, qui utilise des produits illégaux qui me font plus de bien sur ma santé que certains médicaments, tout ça pour vivre mieux, je risque la prison parce que je me soigne de manière adaptée et avec des produits naturels non transformés comme l’opium et le cannabis ? Vous trouvez cela normal ?

Ce témoignage est pour moi, aujourd’hui, très important pour aider tous ces jeunes à la rue ! Souvent, ils n’ont pas d’autres choix que de dealer et consommer des produits nocifs pour survivre dans nos rues et nos campagnes ! C’est aussi un devoir de mémoire pour tous mes amis et compagnons décédés. Je vous remercie."

Cathy, mai 2012