"Partager pour vaincre", mon journal (1/4)

Publié par Jonathan Quard le 05.04.2012
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Militant à AIDES, Jonathan a assisté pour la première fois à une conférence internationale sur le VIH : l’AFRAVIH 2012 à Genève. A cette occasion, il a tenu un journal des moments forts de cette conférence.

"Partager pour vaincre", tel était le mot d’ordre de cette 6ème Conférence francophone VIH/Sida, tel est également l’objet de ce retour écrit !


Participer à ce genre d’événement, même si tout peut sembler s’enchaîner très rapidement, et que la fatigue s’accumule aussi très vite, est une expérience que je conseille à tous de vivre au moins une fois ! Je suis un jeune militant de la lutte contre le VIH/sida, à AIDES depuis bientôt trois ans, et pour une première conférence de ce type-là, je ressors riche. Non pas pécuniairement puisque la vie à Genève est excessivement chère, mais riche de nouvelles connaissances, de petites phrases galvanisantes lancées par-ci par-là dans les séances, de rencontres effectuées que ce soit avec des chercheurs, des militants d’autres associations venues de tous les pays francophones, de militants de la coalition PLUS, et même au sein du réseau AIDES !


Il m’est impossible de faire un compte-rendu exhaustif, parce que bien souvent il y a six sessions orales ou symposiums à la fois sur des sujets différents, et qu’il m’est physiquement délicat d’utiliser pendant quatre jours d’affilée mon don d’ubiquité ! Et puis également car des résumés des séances ont été faits sur les principaux thèmes par Sophie Fernandez de Seronet, Renaud Persiaux et d’autres. Par ailleurs, la conférence et toutes les séances ont été filmées et tout sera visionnable sur le site internet de l’AFRAVIH, pour voir ou revoir les sujets qui vous intéressent. Je me contenterai donc de relever, jour par jour, les faits, phrases et chiffres qui m’ont marqué durant les discussions auxquelles j’ai assisté ainsi que mon ressenti de ceux-ci. Que ce soit durant les temps ON ou dans les temps OFF qui satellisent la conférence, et qui sont tout aussi enrichissants ! Je m’excuse par ailleurs de la longueur que ce texte pourra avoir. En général, mes doigts ont du mal à s’arrêter de pianoter sur mon clavier (mais je mettrai des titres pour que vous puissiez zapper des parties et lire seulement les éléments qui seraient susceptibles de vous intéresser).

TasP, un puissant argument politique
Premier jour. Pas de grand dépaysement vu qu’étant de Grenoble, sur l’Arc Alpin, on travaille beaucoup avec le Groupe sida Genève et les occasions de se rendre dans la ville du grand jet d’eau ne manquent pas. Deux petites heures de TER et la pré-conférence peut commencer ! Médecins Sans Frontières organise un symposium intitulé : "Assèchement des financements, quelles conséquences pour les personnes séropositives". Je retiendrai surtout les paroles du président de AIDES, Bruno Spire, à propos du TasP (Treatment as Prevention). Depuis que les études ont entériné son excellente efficacité, le TasP est un puissant argument politique que nous devons utiliser ! Le traitement ARV (antirétrovirauux) est un bien public global depuis qu’il est reconnu comme un outil de prévention capable d’arrêter l’épidémie et, par conséquent, la lutte contre le VIH/sida n’est plus un puits financier sans fond. Il convient désormais que les politiques aient le courage de mettre les moyens nécessaires à l’arrêt de l’épidémie, car de grosses injections d’argent maintenant permettront de réaliser de colossales économies à moyen et long termes sur le soin, et puis surtout permettront d’arrêter l’épidémie dans un horizon à 20-30 ans. Pour arriver à ces fins, il est nécessaire de lutter contre la sérophobie, ce qui ne fera par ailleurs qu’inciter plus au dépistage, plaider pour faire baisser le prix des médicaments et des tests biologiques, et faire un lobbying pour mettre les questions de santé au top des priorités des agendas politiques, avec, par exemple, la taxe sur les transactions financières.

Le ruban rouge est à l’horizontal
Symposium suivant sur les médiateurs/conseillers psycho-sociaux (terme à améliorer car ça ne plait visiblement pas beaucoup aux psychologues et autres du corps social), un nouveau métier communautaire qui a un besoin de reconnaissance sociale, notamment pour les pays du Sud, où comme le faisait remarquer une personne : "Le bénévolat dans les pays pauvres, c’est vraiment pour les riches". C’est l’occasion pour AIDES de faire une présentation sur notre formation CNAM (Centre national des arts et métiers) pour les acteurs et responsables en santé communautaire.


Vient le temps enfin de la cérémonie d’ouverture. Je réfléchis enfin sur ce que peut vouloir signifier le logo de cette conférence. Le ruban rouge est à l’horizontal, peut-être pour indiquer un tournant dans la lutte contre le VIH, peut-être un clin d’œil à la très prochaine conférence de Washington dont le mot d’ordre est "Turning the Tide Together" ("Remporter la guerre ensemble") ? En tous cas, j’espère, dans quelques années, voir le ruban se retourner pour former le V de la victoire sur le VIH ! La cérémonie est présidée par Bernard Hirschel (qu’on ne présente plus… hein !) et Christine Katlama (présidente de l’AFRAVIH et maheureusement absente) et je retiendrai trois interventions sur les huit.


Michel Sidibé, directeur exécutif de l’ONUSIDA, revient sur le Swiss Statement (connu en France sous le nom de rapport Hirschel, on parle aussi de recommandations suisses). "Le traitement ARV fait désormais partie de l’arsenal de la prévention… C’est la révolution de la prévention", indique-t-il. Et il nous offre une plaidoirie pour un accès universel au traitement ! A cet accès universel, il oppose un frein universel : la pénalisation des rapports homosexuels. La prévention dans les pays africains qui ont des législations homophobes est assimilée à la promotion de l’homosexualité ou de la pornographie… J’imagine dans ma tête le fantasme de ces homophobes, comme il en existe de célèbres en France aussi, nous imaginant semer le germe de l’homosexualité partout dans la société ! Mais ces amalgames entretiennent le terreau de l’épidémie. Au Cameroun, on estime à 33% la prévalence du VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH). Au Togo, celle-ci est évaluée à 23% chez les HSH, dont 67% d’entre eux sont mariés ou bisexuels.
Par ailleurs, en termes de d’accès à la prévention, dans le monde en 2010, il y avait 9 préservatifs masculins pour 9 hommes, alors qu’il y avait un préservatif féminin pour 13 femmes. Autre problème relevé par Michel Sidibé, l’accès à la prévention dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ; des pays où l’épidémie continue de croître considérablement. Et si en Afrique francophone, une femme sur trois a accès à la PTME (Prévention de la Transmission Mère-Enfant), c’est seulement le cas d’une femme sur 10 en Afrique du Nord et Moyen-Orient.

On sent une démobilisation
Michel Kazatchkine, ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, relance sur la question des financements. Si l’argent était mis. En 2015 plus aucun enfant ne naîtrait séropositif. La crise est invoquée par tous les politiques comme prétexte pour baisser les financements. Ce dernier relève donc le paradoxe de la situation, car c’est justement en période de crise que la situation est la plus critique en termes d’infection et que les fonds sont nécessaires ! Un exemple européen proche de nous est flagrant, avec la Grèce, où à cause de la crise, le gouvernement a coupé énormément dans les budgets de la santé et le social, ce qui a eu pour conséquence directe une augmentation de 54% des nouvelles contaminations pour le premier trimestre 2012 par rapport à la même période l’année dernière (sans compter la hausse de la consommation de drogues, en injection notamment, très bon marché et de très mauvaise qualité, la hausse du taux de suicide, etc.). Ce qui ressort aussi dans son discours, c’est qu’il "sent une démobilisation", ce qui est d’autant plus marquant que juste après, Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine 2008, se fait l'écho du même sentiment… Une démobilisation des politiques, des associatifs, des militants, du monde thérapeutique, des scientifiques, du monde médical… Accoudée au pupitre, elle dresse un tableau plutôt morbide. "Malgré les évidences scientifiques, en France, on n’arrive pas, par exemple, à ouvrir des centres d’injection supervisée", "Les traitements préventifs sont disponibles dans moins de 30% des pays d’Afrique", "Seuls 5 pays d’Afrique ont atteint 80% des femmes sous PTME, et aucun parmi les pays francophones !" Les jeunes chercheurs aussi ne sont plus attirés par la recherche sur le VIH, il est nécessaire de les mobiliser, et elle continue positivement. Il y a des Natural Controlers (les contrôleurs naturels du VIH), les patients Visconti (personnes traitées dès la primo-infection), la recherche vaccinale qui est encourageante, le remède, c’est possible ! Ce que je préfère retenir de tout ce qu’elle a dit… c’est : "Ne baissons pas les bras et continuons à nous mobiliser !"

Lire les épisodes 2, 3 et 4.