Dégâts des ondes !

Publié par jfl-seronet le 12.03.2019
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« Suivez-moi sur Europe 1 », expliquait une ancienne campagne de promotion de la radio, lorsque Patrick Cohen y officiait encore comme matinalier. Récemment un rapport de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), dévoilé par Médiapart (24 février), nous laissait entendre que le slogan tenait davantage du « Fichez-moi sur Europe 1 ! ».

En effet, entre 2002 et 2017, Europe 1 a emmagasiné des données sur ses auditeurs-rices, utilisant pour les qualifier des précisions relevant de leur orientation sexuelle, de leur origine, voire parfois des propos insultants… les concernant.

Comme de nombreuses radios, Europe 1 sollicite beaucoup ses auditeurs-rices dans un souci d’interactivité avec son public, de plus grande proximité. La radio possède bien évidemment un standard qui permet de poser des questions, témoigner, interpeller des invités, participer à des jeux, se manifester et passer à l’antenne. La radio procède (c’est légitime) à une sélection en amont du passage à l’antenne. Cela évite les sorties de route sur les ondes. Ce sont des téléopérateurs-trices qui accomplissent ce travail d’accueil et de filtrage. À charge pour eux-elles de « s'assurer de la pertinence du propos, de la qualité de la ligne ou de la clarté de l'interlocuteur-trice », indique un des employés de la radio au site Médiapart. « Le nom des auditeurs, leur numéro de téléphone, leur profession sont ensuite consignés dans un logiciel baptisé « Chamane ». Les problèmes commencent en juillet 2016, rappelle le site d’investigation : « La Cnil relève plusieurs infractions commises par le biais de ce fichier ». Lors d’un contrôle, la Cnil remarque que le fichier ne se limite pas aux informations standards. Les téléopérateurs-trices compilent des infos relatives à l’orientation sexuelle, l’origine, la religion, l’état de santé des personnes qui appellent et y adjoignent parfois des termes insultants.

Dans le rapport consulté par Médiapart, la Cnil constate des commentaires sur la santé : « Patrice séropositif », « plus alcoolique, mes fesses ! », « arrêt maladie, traitement pour un cancer »), ou sur l’origine ethnique ou sexuelle supposée : « accent juif tunisien, insistant et désagréable », « accent du Maghreb, pas toujours claire, bavarde, a besoin de parler de son cancer », « il est homo », « c’est un ancien hétéro, qui est devenu homo », « ne répond jamais ce fdp », « voix de vieille pédale », « raciste et mal aimable compare très finement les Arabes et les Chinois », détaille, entre autres exemples, l’article de Lou Syrah, pour Médiapart. Ces pratiques sont évidemment illégales. La loi interdit de collecter des données personnelles relatives à l'orientation sexuelle ou à l'état de santé, sans consentement clair de l'intéressé-e. À cela s’ajoute un délai très long de conservation de ces données : environ 15 ans, alors que le délai légal est de deux ans maximum. Au final, ce sont près de 573 315 personnes qui se trouvent fichées, dont certaines (448 auditeurs-trices) sur une « liste noire », c'est-à-dire interdites d'antenne. Les personnes qui sont dans ce cas doivent en être informées. Il ne semble pas que ce soit systématiquement le cas ici.

Évidemment, ces pratiques jettent un voile trouble sur l’image de cette grande radio nationale et pointe des failles dans l’organisation. Sur Twitter, l’actuel vice-président de la radio Laurent Guimier (en poste depuis mai 2018) a indiqué que depuis le rapport de la Cnil sur ces « pratiques honteuses de fichage », la direction de la radio avait pris des mesures afin qu’elles cessent définitivement. « Après le passage de la Cnil, Europe 1 a décidé de purger ses bases de données « Chamane », et d’adresser un mail de rappel à l’ordre à ses équipes de téléopérateurs. Ces mesures, combinées à d’autres, ont visiblement convaincu la Cnil de ne donner aucune publicité à l’affaire, de ne pas transmettre les faits à la justice, de ne prononcer aucune peine d’amende », note l’article de Médiapart. Reste que le site internet d’infos critique la confidentialité de ce rapport, selon une décision de la Cnil et contre l'avis du rapporteur de l’avis. « On est là pour accompagner les entreprises dans leur mise en conformité. Pas pour les pénaliser. Europe 1, c'était globalement un problème de management. Ce n'est pas comme si le recueil de données faisait partie de leur modèle économique », a ainsi expliqué un membre de la Commission ayant participé au contrôle, cité par Médiapart.

« Entre 2011 et 2017, la Cnil a prononcé quatre sanctions à l’égard de médias. Aucun avertissement n’a été rendu public », note encore le site d’investigations.