Les « maux » justes !
Elle s’appelle Célia ; lui Fred. Tous deux vivent avec le VIH et ont publié un ouvrage sur leurs parcours. Deux visions différentes qui montrent la diversité de la vie avec le VIH.

En version courte, le parcours de Fred Colby (de 1981 à aujourd’hui) se déroule sur huit pages. On le découvre dans un album réalisé par la dessinatrice Alexandra Davis (1) consacré à des personnalités, originaires d’un peu partout dans le monde, peu connues du grand public, mais dont le point commun est d’avoir une vie avec une « dimension héroïque ». Un héroïsme du quotidien. La dessinatrice a travaillé à la façon d’une journaliste, enquêtant, dressant chaque portrait avec concision, s’efforçant de mettre en avant la singularité de chaque personnalité pour qu’aucune d’elle ne devienne un-e « oublié-e ». Reste que le parcours dessiné de Fred Colby (2), étroitement lié au VIH, est frustant : trop court, trop simplifié. Une lacune que pallie T'as pas le sida j'espère ?! (3), l’ouvrage que l’auteur consacre à son propre parcours. En version longue, tout prend une autre intensité, gagne en nuances et en émotion.
À l’instar de bien des personnes séropositives, Fred Colby a un parcours qui semble « classique » et assez partagé dans une partie du milieu gay. Il le résume dans son récit : « C’est l’histoire d’un jeune gay qui a fui une petite ville à la mentalité étriquée pour vivre son homosexualité de façon plus libérée à Paris. Un garçon qui a connu de grands moments de bonheur et aussi de grands moments de peine. Qui a contracté le VIH à une période de sa vie où il était particulièrement seul et vulnérable. Et qui a transformé cette épreuve en force, en combat et en fierté ». Son témoignage rappelle des situations partagées par d’autres : « Révéler sa séropositivité, c’est comme faire un second coming out quand on est gay ». Tout homosexuel passe un jour cette étape du coming out, comme une phase initiatique. Dès lors, on peut penser que concernant le VIH, cela puisse être plus facile. Après tout, l’expérience, déjà vécue, de rendre public un élément clef de son existence, permet de mieux préparer l’annonce, de mieux en anticiper les réactions et d’en gérer les conséquences. Mais rien n’est jamais si simple. Dans le cas de Fred Colby, la tentative de coming out sur sa séropositivité va se conclure d’une formule ressentie comme un « couperet », celle lancée par un membre de sa famille et qui donne son titre au livre. Un livre qui rappelle que « certains mots font plus mal que des coups », mais que, parfois, ils poussent à la riposte. C’est là que réside l’héroïsme qui a séduit la dessinatrice Alexandra Davis. Ce refus d’être écrasé par la sérophobie des autres, fut-elle un réflexe de peur chez celles et ceux qui l’exercent.
T'as pas le sida j'espère ?! est un récit de construction (édifiante) et de réaction (inspirante) face à une adversité aux différents visages qui déclinent le nuancier de la sérophobie : du clean des applis de drague gay aux formules brutales de certains proches. Un des intérêts de l’ouvrage est de proposer un témoignage actuel qui dessine une vie avec le VIH d’aujourd’hui, « ni banale, ni extraordinaire ». Une vie avec le VIH qui n’ignore pas le passé, mais rend compte des changements majeurs qui se sont produits ces dernières décennies comme le Tasp. « J’ai envie de montrer une image qu’on voit peu : celle d’un séropo qui va bien », explique-t-il. C’est d’autant plus convaincant que rien n’est enjolivé, ni édulcoré.
Ce récit au style concis et enlevé, souvent émouvant, se démarque par sa sincérité, son authenticité et son courage à dire les choses. Il frappe surtout par sa capacité à sortir d’une histoire personnelle, pourtant singulière, pour mieux démonter « les stigmates et la honte autour du VIH ». En cela, il est plus qu’un récit personnel d’une grande justesse, il est une invitation à voir les choses autrement, à sortir des carcans autant qu’à les combattre.
D’une toute autre tonalité est l’ouvrage Pour la vie de Célia Bonier (4) qui fait suite à un premier témoignage (5). Il propose une réflexion personnelle, une recherche individuelle au « long cours » à partir d’une décennie de vie avec le VIH. Il revient sur ce « sacré voyage » que l’autrice a fait et qu’elle « continue à faire avec ce virus ». On voit que Célia Bonier est traversée de sentiments ambivalents, oscillant entre révolte et sérénité. Ses questionnements, tous directement liés à l’expérience du VIH, font parfois l’objet d’un court texte, que conclut une question (posséder plus l’autre ou se donner mieux ?) invitant au prolongement de la réflexion, qu’illustre un schéma ou que résume une maxime. Les questionnements aboutissent à une lecture de l’épidémie et de ses conséquences qui ne sera sans doute pas partagée par tous-tes. Ici, pourtant pas de théories farfelues sur le VIH, pas de réécriture de l’histoire. À mi-chemin entre l’essai philosophique et le précis moral (bien que l’autrice s’en défende), le court ouvrage cède parfois à une forme de lyrisme, voire de spiritualité. Il ne délivre pas pour autant de messages religieux, mais défend l’idée que cette maladie n’est pas seulement une « épreuve », mais une « incitation à grandir », à « réfléchir ensemble au lieu de subir », à « avoir une conscience différente » de la sexualité, du couple, du rapport au corps, de la famille. Surprenant par son registre, mais limité par certains raccourcis, ce texte singulier pourra susciter l’intérêt de lecteurs-rices intrigués-es qu’une réflexion sur le VIH se double d’une autre plus large sur l’être humain.
(1) : Les Oubliés. Portraits d’hommes et de femmes extraordinaires, d'Alexandra Davis. Éditions Michel Lafon, février 2020, 20 euros.
(2) : Fred Colby est le pseudonyme de Fred Lebreton, journaliste pour Remaides et Seronet.
(3) : T’as pas le sida j’espère ?! Un parcours de vie de la sérophobie à la sérofierté de Fred Colby. Éditions Librinova, octobre 2020, 15,90 euros.
(4) : Pour la vie, par Célia Bonier, Éditions Baudelaire, juillet 2029, 13 euros.
(5) : Séropositive pour aimer mieux.
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