Patience… pour le patient zéro !

Publié par jfl-seronet le 12.04.2016
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Un coupable. Il en faut toujours un. Cela permet parfois de donner une explication à un phénomène qui nous dépasse, de trouver un responsable. Comme si pouvoir expliquer, mettre un nom et un visage sur le chaos, permettait d’apaiser.

Quelqu’un a donc essayé de savoir, au milieu des années 80, qui avait "importé et diffusé" le VIH aux Etats-Unis. C’est l’écrivain et journaliste Randy Shilts qui s’y est employé. En 1987, au terme de recherches, il pense avoir trouvé le "coupable". Et dans son livre à succès, And the band played on (1), il explique qu’il s’agit de Gaëtan Dugas, un steward canadien, né en 1953 et mort des suites du sida en 1984.

"Homosexuel sexuellement actif", comme le présente étrangement Wikipedia, Gaëtan Dugas voyageait beaucoup, avait de nombreuses relations sexuelles. Dans son livre, Randy Shilts le présente comme un personnage peu sympathique, guère soucieux de ses contemporains, qui, se sachant atteint du "cancer gay", ne les prévenait pas ou alors très tardivement. Cela est difficilement vérifiable.

La désignation de Gaëtan Dugas comme "patient zéro" (le patient source en quelque sorte) par Randy Shilts n’est pas le fruit du hasard. Le steward québécois participe en 1982 à une étude sur les premiers malades du sida du Center for disease control (centre pour le contrôle des maladies - CDC). Il est atteint d’un sarcome de Kaposi et il lui reste deux ans à vivre. Le CDC établit un lien entre lui et quarante des 248 premiers cas de sida recensés aux Etats-Unis. Pas besoin d’aller plus loin… Pour Shilts, Dugas apparaît alors comme le coupable parfait, celui qui a introduit la maladie sur le continent nord-américain. Et cela d’autant qu’il apparaît avoir été le partenaire sexuel de neuf hommes parmi les dix-neuf premiers cas de VIH de Los Angeles, de vingt-deux personnes atteintes du VIH à New-York dans ces années-là, et le partenaire de neuf autres malades à Miami, Chicago…

Evidemment, à l’époque, on en sait moins qu’aujourd’hui sur la durée de la période d’incubation. Lorsqu’on regarde les nombreux articles qui lui sont consacrés… on voit des estimations de ces supposés partenaires (250 par an !). On le décrit comme beau garçon à la "vie dissolue" ou comme un "irresponsable". On le présente toujours comme le "coupable" ; rarement, on se demande qui a pu lui transmettre le virus. Durant près de trente ans, Gaëtan Dugas va être le "patient zéro", le coupable idéal.

Enfin, pas le seul… comme le rappelle un article du "Monde" en 2012, certains auteurs avancent un autre nom, celui de David Carr, un marin britannique décédé en 1959. En 1990, la revue scientifique "The Lancet" affirme que David Carr est le "plus vieux cas de sida répertorié, citant des examens sur plusieurs prélèvements. Et puis un autre chercheur découvre que les résultats qu’on dit provenir d’une même personne viennent, en fait, de plusieurs. Fin de l’hypothèse David Carr.

Aujourd’hui, pour les scientifiques, pas plus que David Carr, Gaëtan Dugas n’est le "patient zéro". Cette hypothèse-là a été levée définitivement avec la publication des résultats d’une nouvelle étude génétique, rendue publique à la Croi 2016 à Boston en mars dernier. Elle a été réalisée par l’équipe de Michael Worobey, biologiste moléculaire à l’université d’Arizona à Tucson. Celle-ci a analysé le génome du virus contenu dans huit échantillons sanguins de malades américains, faisant partie des neuf génomes les plus anciens jamais récupérés dans le monde à ce jour, prélevés en 1978-1979, ainsi que celui de Gaëtan Dugas récupéré en 1983. Les incroyables progrès des techniques de biologie moléculaire de ces dernières années ont enfin permis d’avancer. En combinant analyses moléculaires, analyses phylogénétiques (lien de parenté entre organismes vivants qui permet de composer un arbre génétique) et analyses historiques, l'équipe du professeur Worobey a établi que le virus avait été transféré d'Afrique vers les Caraïbes (Haïti notamment) entre 1964 et 1970 (probablement avant 1967) avant d'entrer aux Etats-Unis, par New York, entre 1969 et 1973 (probablement avant 1971). Le virus, dont le génome mute à chaque duplication, permettant de créer un historique géographique, a ensuite été transporté à San Francisco (avant 1975) "avec un important mélange géographique aux Etats-Unis et ailleurs peu après", selon le résumé de l’étude, cité par l’AFP. Grâce à l'arbre généalogique ainsi réalisé, les scientifiques ont déterminé que le génome de Gaëtan Dugas, le prétendu "Patient zéro", ne se situait pas au début de l'arbre génétique des premières années de l'épidémie aux Etats-Unis, mais "environ au milieu". Autrement dit, ce n’est pas lui le "coupable". Mais qui alors ? Le "patient zéro" ou "patient index", comme disent les spécialistes, est très certainement africain. On ne saura sans doute jamais qui il était. Pas de nom, pas de visage, pas de "coupable" !

(1) "And the band played on" de Randy Shilts, 1987, éditions St Martin's press. Le livre a été adapté au cinéma en 1994 par Roger Spottiswoode sous le titre "Les soldats de l’espérance" avec Matthew Modine, Alan Alda, Richard Gere, Steve Martin, Ian Mc Kellen et Nathalie Baye.

Commentaires

Portrait de jean-rene

Seronet wrote:

L'équipe du professeur Worobey a établi que le virus avait été transféré d'Afrique vers les Caraïbes (Haïti notamment) entre 1964 et 1970 (probablement avant 1967) avant d'entrer aux Etats-Unis, par New York, entre 1969 et 1973 (probablement avant 1971).

Voilà qui conforte ce que beaucoup d'entre nous pensaient sur l'extension du HIV vers les pays développés.

Portrait de Toutamy

"Un responsable"


L'élément intentionnel


Crim.5  octobre 2010, n°09-86.209

" (...) pour le déclarer coupable (co-responsable) de cette infraction, l'arrêt retient que, CONNAISSANT sa contamination déjà ancienne au VIH pour laquelle il devait suivre un traitement, le prévenu (COUPABLE) a entretenu pendants plusieurs mois des relations sexuelles non protégées avec sa partenaire en lui dissimulant volontairement son "état de santé" et a AINSI contaminé par voie sexuelle la plaignante qui entretenais des relations non protégées avec son partenaire et qui est désormais porteuse de l'affection virale VIH/SIDA.


 "(...) la cour d'appel a caractérisé en tous ces éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit prévu et réprimé par les articles 222-15 & 222-9 du code pénal."


Comme si pouvoir expliquer, mettre un nom et un visage sur le chaos, permettait d’apaiser.


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