"Penser solidairement la fin de vie"

Publié par Denis Mechali le 02.04.2013
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Peu après son élection de mai 2012, François Hollande a confié à Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du Comité consultatif national d’éthique, une mission concernant les conditions de la fin de vie en France, et les éventuelles modifications de la Loi à mettre en œuvre. Tout le monde attendait une prise de position "pour" ou "contre" le droit à l’euthanasie.

Les positions sont, en effet, très tranchées, et souvent passionnelles, entre ceux qui sont partisans d’une aide active "au mourir", ou d’un suicide assisté par les soignants, et les tenants des soins palliatifs, qui proposent d’aller loin dans la lutte contre les souffrances, et la limitation de "l’obstination déraisonnable" - que l’on nommait auparavant, ou encore actuellement : "acharnement thérapeutique", mais sans jamais franchir ce seuil de l’aide active à mourir. Les uns s’appuient sur la liberté individuelle qui devrait aller jusqu’à cette décision, et ce libre choix, seule façon réelle pour eux d’éviter l’acharnement ou les conditions indignes de survie. Certaines situations très douloureuses ont été très médiatisées, y compris des péripéties judiciaires, et la possibilité dans certains pays proches, comme la Belgique ou la Suisse, de mettre en œuvre légalement un processus euthanasique a été mise en valeur.

Les autres pensent que les évolutions de ces dernières années en France, et notamment la loi dite "Léonetti", votée en 2005, et réorganisant les problèmes de limites des soins et lutte contre la souffrance, permettent de répondre en réalité à la quasi-totalité des problèmes qui se posent (si on connait et si on applique vraiment cette loi, en tout cas…), et que l’on doit résister à cette dérive dangereuse que serait la demande faite aux soignants d’abréger la vie activement dans certains cas. Les risques seraient non seulement de dérapages et d’utilisation en excès au fil du temps, mais, d’emblée, une "rupture symbolique" grave d’un point clef et séculaire du "pacte de soin" entre soignants et malades. La loi Leonetti comporte toute une "panoplie" de mesures : Droit de refuser des soins que l’on jugerait excessifs, inutiles ou trop pénibles, obligation pour les soignants d’en tenir compte, "directives anticipées" prévoyant les limites pour soi-même en cas de survenue d’événements graves, désignation possible d’une "personne de confiance" permettant de surmonter d’éventuels désaccords familiaux, et, de nouveau, s’imposant en théorie à l’ensemble des soignants, en tant que manifestation de la volonté de la personne, etc.

Mais le décalage entre ce que prévoit la loi, et les pratiques quotidiennes des équipes médicales, explique le vent de fronde, voire de révolte, qui anime nombre de citoyens, qui ont le sentiment de ne pas être écoutés, que l’on dénie leurs paroles aussi claires soient-elles, et que le risque est grand "qu’on leur vole leur mort", ou celle de leurs proches. Il faut dire que plus de 70 % des décès ont lieu en milieu hospitalier, dont 3 à 4 % seulement dans des unités de soins palliatifs, qui ont souvent le personnel adéquat et les compétences pour contrôler les douleurs et la plupart des symptômes pénibles, à défaut de "tout"  contrôler, et avec ce seuil de ne pas entendre "au pied de la lettre" une demande explicite d’euthanasie... Les impatiences amènent à souhaiter disposer de la possibilité de mesures radicales, et rapides, pour ne pas dire expéditives.

Didier Sicard et son groupe ont travaillé très activement, pendant six mois environ, leur rapport ayant été rendu juste avant noël 2012. Pour l’essentiel, ils ont dénoué le piège de prendre parti pour l’une ou pour l’autre des situations tranchées, sans tomber non plus dans des propos flous ou louvoyants. Leur méthode a consisté à présenter une "photographie" assez précise des conditions de la fin de vie en France, et d’avoir recueilli l’expression de nombreuses personnes, notamment au travers de "débats publics"organisés via une sorte de "tour de France", dans diverses régions françaises. Pouvaient s’exprimer des "citoyens lambda", et souvent des personnes ayant été confrontées à des situations de fin de vie de personnes proches. Le groupe a même pu interroger, avec précautions et prudences, des personnes atteintes de maladies très sévères, et acceptant de parler de leur soin et de la façon dont elles souhaiteraient que l’on procède si leur situation s’aggravait de façon inexorable. En procédant ainsi, ils ont recueilli une parole souvent véhémente et engagée, mais différente de celle des professionnels ou associatifs complètement engagés dans un "camp" et une conviction. Le groupe s’est également déplacé en Suisse, en Belgique, et jusque dans l’Oregon (Etats-Unis), pour observer la réalité de pays engagés dans une légalisation partielle ou sous conditions, de l’euthanasie… J’ai joué un rôle infime (mais concret !), dans ce travail en organisant des rencontres en Seine Saint Denis, avec le même principe : Des personnes volontaires pour témoigner, à la librairie "Folies d’encre" à Saint-Denis, membres d’un foyer de vieux travailleurs à Clichy Sous-bois, et professionnels de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Casanova de Saint-Denis, etc. Le but était d’échanger avec des personnes étrangères ou confrontées à la précarité, ce qui n’avait pas forcément eu lieu au cours des autres rencontres.

Un regard sans complaisance sur un certain nombre de comportements médicaux, mais aussi de carences graves, anciennes et persistantes de la formation médicale, ont permis aussi au rapport de limiter l’écueil de la "langue de bois", et des recommandations lénifiantes. Le sujet est cependant trop complexe pour avoir permis d’éviter de décevoir certaines attentes. En outre les "rapports commandés aux experts" sont purement "consultatifs" pour le pouvoir politique. Il est tout à fait classique que certains de ces rapports soient immédiatement rangés dans un tiroir et enterrés, ou que l’on n’en retienne qu’une partie minime, voire un aspect un peu spectaculaire et rien d’autre ! Ce rapport Sicard peut tout à fait subir ce sort-là, puisqu’il doit être complété d’une réflexion de l’actuel Comité consultatif national d’éthique, avant que le gouvernement ne propose un élément législatif nouveau, dont on ne peut rien dire pour le moment !

Le rapport débute sur le rappel du "tabou de la mort dans notre société", tabou paradoxal : les conditions de fin de vie de maladies chroniques, ou plus fréquemment encore, la situations des personnes âgées isolées dans des établissements de soins, coûteux, et non ou mal pris en charge par la collectivité, contraste avec les prouesses techniques médicales, qui fascinent souvent à juste titre, mais parfois amènent à des dépenses énormes non compensées par le vrai service rendu. Les membres du groupe ont été souvent très choqués de constater qu’une aggravation de l’état de santé d’une personne âgée, la nuit, ou le week-end, amène à faire appel aux pompiers, au SAMU. Parfois l’émotion extrême d’une famille présente amènera à exiger des "manœuvres techniques" pénibles et inutiles. Parfois la personne sera transportée aux urgences, au risque de rester voire de décéder sur un brancard dans un couloir. Pompiers ou personnels des SAMU sont parfois conscients de ces déroulements inadaptés, mais faute d’anticipation, ils n’ont pas le choix. "Il nous est arrivé de faire semblant de tenter une réanimation pour une personne déjà morte", dira l’un d’eux !

Et la fin de vie "physiologique" se mêle, ou est parfois longuement précédée par "une mort sociale". Ce sentiment d’inutilité, ou d’abandon, ou de faire peser une charge excessive, en temps à donner ou en participation financière, aux enfants, parfois déjà assez âgés eux mêmes, de la part de grands vieillards. Ce terme de "mort sociale" était déjà employé concernant le sida, dans les pays ou les communautés qui excluent, discriminent, une personne atteinte par la maladie. Ce rejet du groupe, ces jugements négatifs sur une maladie, et un comportement supposé non conforme aux règles du groupe restent singulièrement actuels, et bien proches de ce qui est constaté dans ces histoires de fin de vie !

Mais on voit bien que l’on dépasse de beaucoup la question du "moment ultime", de l’agonie et de ses modalités. Bien des choses se sont jouées très en amont, et intéressent autant "les soignants" que "la société", et, en particulier, le groupe familial ou d’entourage. Et il faut tenter de discerner ce qui fait contrainte pour chacun, parfois impossible à surmonter, de ce qui est indifférence ou rejet. De la part de certains membres des familles, les expressions sont parfois d’autant plus violentes qu’elles masquent un sentiment intime de culpabilité ou de regret. Bien compliqué tout cela donc ! Les problèmes de l’information, du "consentement éclairé" , de la différence entre des listes longues et froides, et une information clairement expliquée, hiérarchisée, se posent de façon évidemment répétitive, presque lancinant dans la litanie des témoignages recueillis par la commission au fil des auditions.

Le principe de "directives anticipées" prévu par la loi est utilisé de façon quasi exceptionnelle, et on peut le comprendre : préparation, explication, possibilité de séparer une volonté exprimée "à froid", "intellectuellement", lorsqu’on est en adulte en bonne santé, et au vif d’une situation grave ou désespérée, qui peut tout changer. Il faut donc laisser en permanence ouverte la possibilité de repentir, ou d’un second document lorsqu’on est confronté à la maladie réelle et grave. Au bout de tout cela, la commission a pilonné sur cette nécessité de faire évoluer les regards, les modalités de formation des étudiants en médecine, en amenant quelques heures de modules spécifiques, mais aussi des possibilités de discuter, d’être confrontés à des situations réelles, de la vraie vie, de façon à réhabituer les regards et l’écoute à concilier la sensibilité, l’humanité, à la froide écoute technique, et au registre des protocoles. Pour les médecins séniors, des spécialistes qualifiés comme les cancérologues, la nécessité d’abolir la frontière actuelle, trop étanche, entre "soins actifs" et "soins palliatifs". Bien avant la "fin de vie", les préoccupations de confort, le souci d’éviter ou corriger des effets secondaires peuvent se poser, et demander des réponses compétentes, qui peuvent bénéficier d’une vraie collaboration avec des équipes comme celles "mobiles", de soins palliatifs. Discuter ou décider la fin des traitements trop agressifs, pour un bénéfice aléatoire ou ténu, doit également se faire bien avant d’arriver aux phases ultimes, quelques semaines ou jours avant le décès. Un cercle vicieux s’établit parfois dans la réputation de "mouroirs" de service de soins palliatifs, qui peut être favorisée par la proposition de transfert, voire la première information aux patients et familles, à un stade de fait extrêmement tardif.

La pondération différente des besoins d’accompagnement humain, le financement indispensable de postes d’infirmières, d’aides-soignantes, d’agents de service, peut amener, dans un système économique contraint, à pondérer différemment les arbitrages : Redoutable ambition ! Développer les possibilités de maintien à domicile, avec des systèmes d’aides pour les personnes, mais aussi pour les "aidants", les proches familiaux parfois sollicités jusqu’à l’épuisement, physique ou émotionnel.

Le rapport arrive alors doucement, après toutes ces précisions et préconisations, à envisager les problèmes de fin de vie active. Parfois, il ne s’agit pas d’euthanasie. Si l’objectif est de calmer une souffrance, au prix d’une sédation, la fin de vie peut survenir, sans avoir été le but premier. C’est la théorie du double effet : soulager est l’objectif visé, mais le moyen employé peut éventuellement raccourcir la vie, et entrainer un décès qui n’était pas l’objectif premier visé. Evidemment, comme toujours quand on arrive à des situations limites, on peut penser que ces limites sont floues, voire hypocrites. L’idée des échanges en groupe, des prises de décision peuvent être individuelles, mais préparées par un échange collégial, sont la façon de limiter ces écueils, ou en tout cas de tenter de le faire. Les décisions sont souvent extrêmement complexes, à envisager de façon individuelle, et avec un principe d’écoute la plus profonde possible des volontés de la personne, même si celles-ci peuvent être incertaines, vacillantes parfois.

L’assistance au suicide, dans quelques cas extrêmes et douloureux, est un point franchement abordé et accepté après tous les éléments envisagés précédemment, et les précautions dans la décision. Ne pas légiférer concernant une reconnaissance explicite d’un droit à l’euthanasie reste malgré tout la conviction et la préconisation de la commission. Et le choix de titre de leur rapport, sera, en définitive, plus chaleureux que l’intitulé initial, qui était : "Commission de réflexion sur la fin de vie en France". Le rapport s’intitule : "Penser solidairement la fin de vie".

Si les choses ne retombent pas dans une forme d’indifférence et d’anonymat, (malheureusement à craindre !), c’est bien une pensée novatrice, et très transversale, proposée à des soignants mais aussi à "tout un chacun" confronté à un moment ou à un autre à ces éléments de vulnérabilité et de détresse, un exercice de démocratie sanitaire, que propose ce rapport truffé de réflexions et de témoignages percutants et émouvants. Ainsi, à Grenoble, un citoyen qui avait accompagné sa femme pendant deux ans a dit : "On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants".

Commentaires

Portrait de Siwom

"On pense que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants"

Tout est dit ...j'aimerais qu'il en soit ainsi aussi pour moi ...

pouvoir partir tranquille apres que mes amies(s) et mes proches soient venus me rendre visite.

je comprends que cela pose question, et ce encore plus  si la personne est  inconsciente ,mais il ou elle  garde sa propre  histoire...

la loi se targue d' etre pour tout le monde mais dans ce cas elle devrait vraiment prendre en compte l'ensemble des cas....et lorsque l'on parle de fin de vie ..reste à savoir laquelle...

car  il y a une difference entre la personne accidentée et dans le coma et celle malade d'affection longue durée encore consciente....

ceci se trouve dans le definiton meme de la liberté ...s'y opposer, c'est refuser que l'on puisse etre libre...

on ne veut pas voir les gens partir à jamais mais eux non plus n'auraient jamais voulu devoir vous quitter ...

alors pour ceux qui  finissent pas en faire la demande ou pour ceux qui finnissent par le prendre à la place de leurs proches du fait de leurs histoires collegialement entendues...

la moindre des choses resterait de leur laisser ce choix ...

Portrait de IMIM

J'ai lu cette phrase sur votre forum.

 

Et elle me correspondait totalement à cette période.

 

Je suis restée avec des douleurs intenses pendant 2 voir 3 ans.

Alors qu'il suffisait d'un bon traitement anti-douleurs, le doc. n'a rien fait. Ni pour ma charge virale qui n'était + indétectable depuis des mois...

 

Bref,

J'ai voulu mourir tous les matins.

  Je téléphonais à ma soeur en pleurs, pour lui dire que je n'arrivais pas à me suicider !!

J'ai cherché des sites d'euthanasie (virussé, d'ailleurs!)

 

Je ne supportais plus ces douleurs ...

Et j'ai cru que la fin arrivait...

Mais ce n'était pas encore pour maintenant ... Tant mieux...

 

 

Quand il n'y a + d'espoir  et que notre corps ne peut ou ne veut  +,  on devrait pouvoir tirer sa révérence dignement...

 

Portrait de ballif

cela allait "bien"

puis ruiner" puis estropié la ça coince c'est l'udaf de tours ne suportant pas la technique utilisée pour NOTRE consception et l'avortement de travers m'enfermé d'office pour 2.5 mois résultat je n'arrive plus à marcher normarement la curatrice continu a faire des petits dans mon dos cela est une "protection"

alors veuillir comment dans un fauteuil en étant droguer par le bourage de crâne des progammes télé et les publicités

est ce qui nous attend,????????

laurent