PMA : on verra ce qu’on verra !

Publié par jfl-seronet le 16.08.2019
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Les futurs débats, dès la fin septembre, concernant le projet de loi de révision de la loi bioéthique, vont bien illustrer ce qui est en jeu en matière d’évolution des droits et d’égalité entre les couples.

Une des mesures du texte suscite déjà bien des discussions : l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Le cas est d’autant plus intéressant qu’il s’agit d’une revendication ancienne, que le parti socialiste avait défendu en son temps, puis qu’il avait refusé de mettre en place sous la mandature de François Hollande (pour cause de protestation contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe) ; une revendication dont l’actuel président de la République a clairement fait une promesse de campagne lors de la dernière présidentielle.

Des mois durant, l’exécutif a fait réalisé des travaux préparatoires (travaux parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale, comité national d’éthique, séminaires gouvernementaux avec des élus-es, etc.) dans le souci d’éviter les reproches sur la « précipitation » à légiférer sur le sujet et pour montrer qu’il n’entendait pas forcer la main à la société française. L’objectif était clairement d’éviter de revivre ce que nous avions connu avec le mariage pour tous : une opposition caricaturale, d’une incroyable violence contre les personnes LGBTI+ et, à la clef, des manifestations homophobes un peu partout en France, largement entretenues par les penseurs-ses réacs et une partie notable de l’Église catholique. Le gouvernement entend avoir sur l’ouverture de la PMA un débat apaisé et pas un traumatisme sociétal de grande ampleur.

Match retour… du mariage pour tous ?

Ces derniers mois, on a pu voir à différents signaux que la perspective d’un débat apaisé n’était pas assurée, loin s’en faut. Et des signaux récents indiquent que l’on s’achemine, doucement mais sûrement, vers un débat clivant… et sans doute toxique. Les opposants-es à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe entendent avoir leur revanche et usent, peu ou prou, des mêmes arguments, les intellectuels-les, juristes et autres psy opposés-es à la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires sont les mêmes (Sylviane Agacinsly, Chantal Delsol, Jean-Piere Winter, etc.). Du côté politique, une grande partie de la droite et l’extrême droite entendent jouer la même partition aux relents homophobes. Nouveauté dans le débat, la place donnée aux avis de médecins puisque la PMA est tout autant une question médicale que juridique.

C’est grave docteur ?

D’ailleurs, les médecins ne se privent pas de donner leur avis. Le 1er août, le Quotidien du Médecin publie un texte qui donne le ton : « PMA pour toutes les femmes : lettre ouverte au Premier ministre ». « Médecin depuis quarante ans, je travaille sur le terrain, voyant, écoutant des hommes, des femmes et des enfants de toute catégorie sociale. En 2013, sous prétexte de vouloir lutter contre l’homophobie et les discriminations, le gouvernement en place a sabordé le mariage homme-femme pour le remplacer par le mariage pour tous, ouvrant ainsi la porte au déraisonnable. Votre gouvernement, s’engouffrant dans cette porte, s’apprête aujourd’hui à utiliser et dévoyer la médecine pour « fabriquer » des enfants qu’on sacrifiera sur l’autel de l’égalité », déroule le docteur Raphaël Nogier. Et ce médecin généraliste à Lyon d’énoncer : « Une loi ouvrant la PMA à toutes les femmes aurait au moins trois conséquences majeures. Elle détournerait la médecine de son devoir, elle créerait des orphelins de père, elle réduirait les hommes à leur seule capacité de produire du sperme (…) En utilisant la médecine pour contrôler la procréation chez ces personnes parfaitement saines, vous franchiriez une ligne rouge, celle qui sépare les pragmatiques des idéologues et des doctrinaires. Un enfant n’est pas un moyen pour combler un vide affectif ». Comme on voit, ce médecin a bien révisé le bréviaire de la Manif pour tous, mais il ajoute un argument personnel pour remettre en cause l’engagement de certaines associations de lutte contre le sida en faveur de l’ouverture de la PMA. « Monsieur le Premier ministre, nous assistons aujourd’hui à un matraquage médiatique indécent pro-PMA par des associations revendiquées homosexuelles censées lutter contre le sida (Act-up par exemple). Il semble que les fonds utilisés pour ces campagnes de promotion proviennent de subventions publiques : municipalités, conseils généraux, conseils régionaux ou dons déductibles fiscalement à 66 %. N’est ce pas un détournement de bien social ? », s’interroge ce médecin.

Mais c’est sur d’autres arguments que s’avancent désormais d’autres médecins. On trouve ainsi des interviews ou articles qui mettent l’accent sur la difficulté à mettre en place une loi (dont on ne connaît pas les contours… puisqu’elle n’est pas votée et que le texte du gouvernement n’a pas encore circulé) voire la pénurie de dons de sperme… face à une demande qui, avec la nouvelle loi, augmenterait de façon exponentielle. « Ouverture de la PMA : la pénurie de sperme, risque à anticiper », nous prévient Marianne (29 juillet). « Avec l’arrivée de la PMA pour tous, les couples de lesbiennes et de femmes vont naturellement accroître la demande de spermatozoïdes, ressource déjà relativement rare en France où le don est gratuit. D'autant que le changement de loi provoquera une destruction des stocks existants dans les banques de sperme », explique l’hebdomadaire. « Si la PMA pour tous représente une victoire notamment pour les associations LGBT qui la réclamaient de longue date, ses effets concrets menacent de compliquer l'accès effectif à ce nouveau droit (…) « Environ 2 000 femmes (de plus) par an » demanderaient ainsi une insémination artificielle, a évalué la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, lors d’une interview sur France Inter. Et Marianne d’expliquer : «  Outre l'assèchement des stocks, l'ouverture du droit à l'accès aux origines risque d'entraver le recrutement de donneurs, voire de faire plonger leur nombre. Cette évolution leur imposera en effet de donner leur accord à la divulgation de leur identité avant d'entamer la procédure. Dans le Journal du dimanche (30 juillet), l'obstétricien Michaël Grynberg, spécialiste de la congélation des ovules, alerte sur un retard français qui risque selon lui de pénaliser les patientes et annonce que la « mise en œuvre de la loi va être difficile" et ce type d’interventions devrait se développer dans les prochains mois.

Un débat virulent, très virulent ou moyennement virulent ?

Libé (30 juillet 2019) nous annonce un « débat moins virulent que celui sur le texte Taubira de 2013 » et croit même que sur la PMA « la droite ne refait pas le match du mariage gay ». Bon, cela dépend de qui. Par exemple, le député LR de l'Oise Maxime Minot expliquait (27 juillet) sur Europe 1 que la droite devait « évoluer » sur le sujet de la PMA, une disposition à laquelle il est favorable et qu’il entend d’ailleurs voter. Certes, comme le souligne Libé, il y a bien dans les rangs des Républicains entre 15 et 20 députés-es qui « pourraient voter en faveur de la procréation médicalement assistée », mais ce n’est pas complètement assuré et surtout l’actuel patron des Républicains, le député Jean Leonetti, laisse entendre un discours qui ne joue pas l’apaisement. On en veut pour preuve une récente interview du président par intérim des Républicains (25 juillet) dans l’émission 24h Pujadas, l'info en questions sur LCI. Interview qui reprend les tics langagiers et les arguments de la Manif pour tous. « PMA sans père, je regrette que le gouvernement considère qu'il n'y a pas de problème éthique », explique ainsi Jean Leonetti. Et d’enchaîner : « L'important dans l'éthique, c'est de se poser des questions. Je regrette que le gouvernement ne se pose pas de questions. D'ailleurs, la ministre Agnès Buzyn a dit qu'il n'y avait pas de problèmes éthiques avec la PMA. »  Bon, lui en voit des problèmes d’éthique : par exemple, celle de la vision même « de la société dans laquelle nous voulons vivre » ainsi que notre vision « de la dignité de la personne humaine ». Pour lui (comme pour la Manif pour tous), la légalisation de la « PMA sans père » poserait trois problèmes majeurs : « Faire naître un enfant sans père, ça pose un problème pour son avenir » ; « La légalisation postérieure et inéluctable de la GPA », mais aussi « la pénurie de gamètes qui conduira à une marchandisation de celles-ci ». Interrogé sur la position de sa famille politique, au sein de laquelle plusieurs députés-es ont fait savoir qu'ils voteraient pour ce texte de loi, Jean Leonetti a rappelé qu'il était « normal qu'il y ait une diversité d'opinions au sein des partis. Je plaide pour la liberté de pensée et de vote ».  On verra donc au final quelle sera la stratégie des Républicains pour les débats parlementaires : choix des orateurs-trices et arguments avancés. Ce que l’on sait c’est que le président du groupe LR à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, a confirmé que serait donnée la liberté de vote à ses troupes.

GPA, le chiffon rouge qu’on manipule

Ce choix de laisser la liberté de vote n’écarte évidemment pas tout risque de caricature ou de manipulation de la thématique. On en a d’ailleurs un très bel exemple avec l’initiative prise, fin juillet, par le député LR Guillaume Larrivé. Invité sur RTL (30 juillet), Guillaume Larrivé (LR) qui est candidat à la présidence du parti Les Républicains, indique qu’il souhaite inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe d'indisponibilité du corps humain. Cela reviendrait donc à interdire la GPA (gestation pour autrui) dans la Constitution. « Les corps humains ne sont pas des choses, ce ne sont pas des produits biologiques qui seraient soumis aux lois du marché », défend le député de l’Yonne. Valeurs actuelles parle d’un « message fort ». Concrètement, l’élu LR entend déposer « une proposition de loi constitutionnelle pour inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe d'indisponibilité du corps humain ». Et de préciser : « aucun traité international, aucune loi, aucun contrat ne pourrait remettre en cause ce principe et ça aboutira à une interdiction totale des conventions de mère porteuse. […] On parle beaucoup de la lutte contre les violences faites aux femmes, il faut quand même qu’on se rende compte de l’extrême violence que constitue une convention de mère porteuse, louer le ventre d’une femme, l’utiliser comme une chose, vendre un enfant, c’est une violence inouïe à l’endroit de l’humanité. » Il a beau essayer de la vendre comme cela… cette initiative de Guillaume Larrivé n’est rien moins que de se lancer dans un course à droite de la droite pour tenter de prendre la succession de laurent Wauquiez. Évidemment, une telle initiative n’a aucune chance d’être adoptée, faute de majorité. Mais bon, c’est toujours une façon de se démarquer, même si le procédé est loin d’être glorieux.

Qu’en pensent les premières concernées ?

À rebours de nombreux articles, Cheek Magazine (29 juillet) et les Inrocks ont cherché à savoir ce que pensaient les militantes lesbiennes du projet de loi sur la PMA ? Comme l’explique l’article, l’ouverture de la PMA à toutes les femmes « comprend (…) des aspects problématiques, selon les militantes lesbiennes (…) interrogées ». Le Collectif PMA, qui regroupe plusieurs associations et personnes « concernées par la procréation avec l’aide d’un donneur ou d’une donneuse », résume : « Au-delà de cette avancée majeure en termes d’égalité entre toutes les personnes quelle que soit leur orientation sexuelle, le Collectif déplore un projet bien en deçà des attentes légitimes que ce principe d’égalité pose », indiquent Cheek Magazine et les Inrocks. Un des points d’acchopement réside d’abord dans la création d’un mode de filiation spécifique pour les couples de femmes. « Celui-ci aura pour effet l’inscription du mode de conception sur l’acte de naissance de ces enfants », rappelle l’article. « C’est comme si on étiquetait nos enfants : « né par PMA », et donc né d’un couple de femmes. Et cela ne choque personne. Or quelle est la logique ? Où est l’intérêt de l’enfant, dont on parle si souvent ? », explique aux Inrocks Céline Cester, présidente de l’association les Enfants d’Arc-en-ciel, qui accompagne les personnes LGBT dans leur projet parental et dans leurs démarches juridiques. Et ce choix de refuser d’universaliser les règles de filiation n’est pas le seul point critique comme on peut le voir dans l’article. « Cette réforme laisse de côté les personnes trans, intersexes, et les personnes qui ne veulent pas médicaliser la procréation. Les familles organisées autour de la co-parentalité sont totalement ignorées », rappelle Gwen Fauchois.

Encore une commission spéciale

Côté technique, la majorité LREM a annoncé (24 juillet) que c’est la députée (Agir) de Seine-Maritime Agnès Firmin Le Bodo, élue de l'ex-circonscription du Premier ministre Édouard Philippe, qui va présider la commission spéciale de l'Assemblée nationale pour l'examen du projet de loi sur la bioéthique. La députée a indiqué aborder cette tâche avec « la volonté farouche de faire de ce débat, autour de ces sujets importants pour notre société, car ils touchent à l'intime, un débat apaisé, serein où toutes les idées, toutes les opinions devront être écoutées et respectées ». Cette commission spéciale entamera fin août-début septembre des auditions puis l'examen du projet de loi, avant son passage dans l'hémicycle à compter du 24 septembre. La majorité veut largement associer l'opposition à cette commission, mais LR en a refusé la présidence, a indiqué l’AFP. Pharmacienne de profession, Agnès Firmin Le Bodo est une des proches d'Édouard Philippe, elle est en faveur de l'ouverture de la PMA aux couples de lesbiennes et aux femmes célibataires.

On verra ce qu’on verra !

Sans vouloir jouer les Cassandre, rien n’asure aujourd’hui que les débats sur la révision de la loi bioéthique et tout spécialement la mesure d’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires seront « apaisés » comme le souhaitent et en rêvent la majorité LREM et le gouvernement. Il y a même fort à craindre qu’on assiste une séquelle des affreux débats que nous avions connus avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Une manifestation d’opposants-es à l’ouverture de la PMA est déjà prévue pour octobre prochain et la Manif pour tous vient de lancer une vidéo où on aligne caricatures, rejet des autres, mépris, amalgames et outrances. On verra ce qu’on verra !