Pose : la visibilité compte !

Publié par Fred Lebreton le 15.07.2021
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La série Pose, produite par Ryan Murphy, se déroule dans la ville de New York entre 1987 et 1997. Elle explore le milieu de la culture ball (1) très fréquenté par les communautés LGBT noires et latinos. L’épidémie de VIH/sida est un thème central de Pose avec trois personnages séropositifs. Retour sur cette série qui, en seulement trois saisons et 25 épisodes, aura marqué l’histoire de la représentation des personnes LGBT et/ou vivant avec le VIH à la télévision.

Une histoire peu racontée

Dès le premier épisode diffusé aux États-Unis, le 3 juin 2018 (2), le décor est planté. Nous sommes en 1987 dans la ville de New York, Damon, jeune danseur noir, est mis à la porte du domicile familial de façon violente par son père après que ce dernier ait découvert son homosexualité. Blanca, une femme trans afro-portoricaine, le croise dans la rue en train de danser et décide de le prendre sous son aile en l’invitant à rejoindre sa « famille », la House of Evangelista. Car oui, plus qu’une troupe de danseurs-ses, les « maisons » dans la scène ballroom sont des foyers pour toutes les personnes qui ont été rejetées de leurs familles. Gays, trans, travailleurs-ses du sexe, etc., tous-tes issus-es des communautés noires et latinos, se retrouvent sous le même toit, dans la même galère, mais aussi avec la même détermination de s’en sortir. Cette famille de cœur vient panser les plaies de ces personnes fragilisées par le double rejet de la société et celui de leur propre famille. Pose raconte la difficulté d’être une minorité dans une minorité et la façon dont ces familles recomposées retrouvent leur dignité et leur fierté, la nuit, dans des clubs confidentiels à travers le voguing et des mises en scènes extravagantes de la scène ballroom. Au même moment, l’épidémie de VIH/sida fait des ravages dans ces communautés particulièrement exposées et va devenir le thème secondaire le plus marquant de la série. Une menace permanente dans la vie de ces jeunes qui débordent de vie et de rêves. En choisissant de raconter cette chronique, Ryan Murphy donne un énorme coup de projecteur sur une histoire peu racontée jusqu’ici dans les fictions grand public.

Du jamais vu !

Le 25 octobre 2017, lorsque le casting de Pose est annoncé à la presse, c’est une onde de choc qui secoue l’industrie de la télévision américaine. Pour la première fois, cinq personnages principaux seront joués par des actrices trans et racisées : MJ Rodriguez, Indya Moore, Dominique Jackson, Hailie Sahar et Angelica Ross. La production annonce qu’elle a recruté le plus gros casting d’acteurs-rices trans de l’histoire et qu’au final 50 personnages trans seront inclus dans la série. Du jamais vu !

Même constat en ce qui concerne les personnages vivant avec le VIH. En janvier 2021, la Glaad (Gay & Lesbian Alliance Against Defamation - une association américaine de veille médiatique œuvrant à dénoncer les discriminations et les attaques à l'encontre des personnes LGBT au sein des médias) publie « Where we are on TV report », son rapport annuel sur la présence des personnages LGBT à la télévision américaine. On apprend qu’en 2020, sur 773 personnages réguliers dans les séries américaines, seuls trois étaient séropositifs et tous issus de la même série : Pose. Dans son rapport, Glaad exhorte l’industrie de la télévision américaine à remédier à cette sous-représentation des personnes vivant avec le VIH, en ajoutant au moins trois nouveaux personnages réguliers vivant avec le VIH. « Hollywood doit raconter ces histoires qui sont, non seulement divertissantes, mais qui ont aussi la possibilité d’informer et d’éduquer le public », affirme DaShawn Usher, un membre de Glaad. Et d’ajouter : « Alors qu’il y a eu tellement d’avancées sur la prévention et le traitement du VIH, je ne peux pas en dire autant au sujet d’Hollywood et sa façon de raconter ces histoires dans leur diversité ».

Pour Juan Michael Porter II, journaliste chez The Body, un média américain spécialisé dans le VIH, Pose est un outil d’empowerment pour les minorités queer. Il cite des séries populaires comme Will & Grace, The L World, Nip/Tuck ou encore plus récemment It’s a Sin pour démontrer le peu de visibilité des personnages LGBT issus des communautés noires ou latinos. « C’est ce qui a rendu la troisième saison de Pose si déterminante et maintenant qu’elle est terminée, douloureuse. Les spectateurs-rices sont ressortis de cette série avec le sentiment que les personnes noires, latinos et trans avaient enfin la représentation qu’elles méritaient et le tout dans une joie digne des bals les plus décadents » affirme le journaliste.

Le courage de Billy Porter

« C’est à ça que ressemble une personne séropositive, je n’ai jamais été en aussi bonne santé de toute ma vie ». C’est la déclaration puissante de Billy Porter en couverture du magazine américain The Hollywood Reporter dans lequel l’acteur et chanteur afro-américain annonce qu’il vit avec le VIH depuis 2007. Dans Pose, Billy Porter incarne Pray Tell, un homme gay, noir et séropositif. La même semaine où le personnage annonçait sa séropositivité à sa famille dans la série, son interprète l’annonçait au monde. « La honte de cette époque et la honte que j’avais accumulée dans ma vie m’ont contraint au silence et j’ai vécu dans le silence pendant 14 ans », confie l’acteur. « Être séropositif d’où je viens, dans l’église pentecôtiste avec une famille très religieuse, c’est une punition divine ». Jusqu’il y a peu, il n’en avait parlé ni à sa mère ni à ses collègues de la série Pose car il avait peur pour sa carrière : « Cela aurait été un autre moyen pour certaines personnes de me discriminer dans une profession déjà discriminante. Alors, j’ai essayé d’y penser le moins possible, mais la quarantaine et la crise sanitaire m’ont beaucoup appris ».

Billy Porter, qui révèle également avoir été abusé sexuellement par son beau-père quand il avait sept ans, assure que le moment est venu de « passer à autre chose, car la honte est destructrice ». L’acteur veut également faire passer un message d’espoir et montrer que la recherche thérapeutique a fait de grandes avancées dans la prise en charge du VIH depuis l’époque, dans laquelle se déroule la série. « Il est temps de raconter une autre histoire. Il n’y a plus de stigma, arrêtons avec ça. Et de conclure : « La vérité est la guérison. Et j’espère que cela me libère. J’espère que cela me libèrera pour que je puisse éprouver une joie réelle et pure, pour que je puisse expérimenter la paix, pour que je puisse expérimenter l’intimité, pour que je puisse avoir des relations sexuelles sans honte. C’est pour moi. Je fais ça pour moi ». Ce coming out d’homme séropositif a fait le tour du monde en quelques heures et a suscité des milliers de réactions positives sur les réseaux sociaux. « L’interview de Billy Porter est importante. Pouvoir parler de sa séropositivité au VIH, montrer son corps, être un artiste reconnu, un activiste LGBT+ affirmé. À ce moment de sa carrière, c’est courageux. Bravo », a tweeté Hugues Charbonneau, producteur de films (120 battements par minute, entre autres). De son côté, Florence Thune, la directrice générale de Sidaction, a réagi sur l’annonce aux parents qui fait écho avec son histoire personnelle : « Tu as porté ce fardeau pendant 14 ans ? Ne fais plus jamais ça, je suis ta mère ». Après six mois de secret, mes parents ont dit la même chose. On n’a plus peur de rien après ça. Leur confiance nous rend fort ».

Dynasty and the city

Pose n’est pas dénuée de défauts, comme souvent dans l’univers de Ryan Murphy, la narration vire parfois au soap et kitsch. Dans la troisième saison en particulier, le personnage d’Elektra Abundance (incarné par la fabuleuses Dominique Jackson) nous fait furieusement penser à Alexis Colby, l’héroïne du soap opéra culte des années 80 Dynasty jouée par Joan Collins. Elektra est drôle, glamour avec un sens inné de la répartie, mais elle manque parfois cruellement de profondeur. Dans cette même saison, toute l’intrigue qui tourne autour du mariage d’une des héroïnes nous rappelle la série Sex and the city qui mettait en scène quatre amies new yorkaises au début des années 2000. Série critiquée pour son manque de diversité avec un casting exclusivement blanc. Pour le journaliste Juan Michael Porter II, cet épisode positionne les quatre héroïnes en version racisée du quatuor mythique de Sex and the city. « Du brunch à la façon de se faire servir, cet épisode explore ce que ça fait de tout avoir, comme une femme blanche, et va jusqu’à reproduire la fameuse marche des quatre amies pour se la réapproprier », explique Juan Michael Porter II. Et d’ajouter : « Cet épisode montre aussi que, même dans un pays dirigé par le capitalisme, le racisme et la transphobie l’emportent sur l’argent ».  En effet, sans trop dévoiler l’intrigue, le propriétaire de la boutique de robes de mariée apparait dégouté quand il découvre que ses riches clientes sont des femmes trans noires et latinos.

Une série politique

Malgré ce côté parfois too much, Pose demeure une œuvre unique et politique dans le paysage des séries américaines. Le final de deux heures diffusé le 6 juin 2021 rappelle une page très importante de l’histoire de la lutte contre le sida : l’arrivée des trithérapies en 1996 et cette année charnière durant laquelle certains malades en stade sida n’ont pas survécu tandis que d’autres ont pu bénéficier des traitements « miracles ». Cette terrible injustice est illustrée par une scène puissante durant laquelle les personnages se rendent à une manifestation organisée par Act Up-New York pour demander un accès rapide aux traitements pour tous-tes. Cette scène n’est pas sans rappeler le film 120 Battements par minute qui se déroule à la même époque en France et traite de la même problématique d’accès aux traitements. Une manif de militants-es dans une série américaine grand public, ça n’est pas si commun.

Pose prouve, s’il le fallait, que l’industrie du divertissement peut rendre une série populaire avec des personnages et des intrigues qu’on ne voit jamais ailleurs. La visibilité des minorités compte. Ryan Murphy l’a bien compris et ses dernières productions (Hollywood ou encore Halston) tentent de réparer des décennies d’invisibilisation de ces minorités. Espérons qu’il donnera l’inspiration à d’autres producteurs-rices car tant d’autres histoires attendent d'être raconter.

(1) : La ball culture décrit un phénomène de sous-culture LGBT aux États-Unis dans laquelle des personnes « marchent » (c'est-à-dire entrent en compétition) pour un trophée et des prix lors d'événements désignés comme des bals. Les compétitions peuvent inclure de la danse ou des catégories drag imitant d'autres genres et classes sociales. La plupart des personnes participant à la culture du bal appartiennent à des groupes structurés en « maisons » avec à la tête de chaque maison une « mère ».
(2) : En France et en Suisse, la série Pose a été diffusée sur Canal+ Séries en version originale entre le 6 juin 2018 et le 7 juin 20213 et en version française à partir du 2 septembre 2018.