Sérophobie par procuration

Publié par Paul Rey-Fauvine le 29.04.2023
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Ce jour-là, Quentin est presque tombé de son lit.

Quelques heures plus tôt, il faisait venir Vincent, son amant avec qui tout se passe toujours si bien et si simplement. Avec Vincent, ce n’est pas comme avec les autres. Vincent est à l’écoute de Quentin, et inversement. La baise est fluide. Vincent sait donner, sait recevoir. Il n’y a d’attentes, ni d’un côté ni de l’autre, si ce n’est celle de passer un bon moment ensemble, de réunir ces deux corps qui fonctionnent parfaitement l’un avec l’autre. La situation est claire entre les deux hommes : Quentin est en couple depuis douze ans, marié et heureux, dans une relation libre, consentie et transparente ; Vincent n’a ni le temps ni l’envie de se mettre en couple pour le moment ; s’ils se voient, c’est pour passer un bon moment ensemble, point.
Vincent est très flippé des maladies auxquelles il s’expose en baisant. Lui, c’est un inconditionnel de la capote. La Prep, très peu pour lui. Il y a quelques mois, diagnostiqué positif à la syphilis, il a usé d’un ton accusateur envers Quentin, le seul mec qui était en mesure de l’avoir exposé selon lui. Il a tellement peu de partenaires. L’histoire s’est apaisée entre eux, une fois Vincent guéri et les deux tests négatifs, à six semaines d’intervalle, de Quentin. Lorsqu’il comprend que Vincent a peur, Quentin lui pardonne facilement son ton péremptoire et ne se pose pas plus de questions.
L’excitation est à son apogée ce soir. Les amants n’ont pas besoin de mots pour comprendre que Vincent pénètrera Quentin quelques instants plus tard. Vincent marque une pause, enfile une capote, la lubrifie, se place au-dessus de Quentin, l’embrasse, le pénètre. Instantanément, l’excitation se mue en surprise sur le visage de Vincent. La capote a craqué. Il se retire illico. Quentin embrasse Vincent et lui indique du regard le placard dans lequel il trouvera une capote de rechange, mais Vincent refuse et s’allonge à ses côtés. À la frustration de Quentin, une discussion s’engage.

- Je suis saoulé, lâche Vincent.
- Pourquoi ?
- Ben… parce que la capote a craqué quoi, on s’est mis en risque !
- En risque de quoi, s’étonne Quentin. Tu t’es retiré tout de suite.
- Ouais, je sais, et heureusement que je m’en suis rendu compte, mais c’est quand même un risque ! Tu connais les modes de transmission du VIH, je ne t’apprends rien…
- Oui je les connais mais dans ce cas, tu t’es retiré tout de suite, on venait de commencer le rapport… Et puis tu sais, si on parle de risque théorique, tu ne m’as pas sucé avec une capote non plus tout à l’heure… Ni aucune de toutes les fois où on s’est vus !
- Je sais bien, maugrée Vincent. Mais le risque lors d’une pénétration est plus fort, tout de même.
Quentin se tait un moment, puis essaie d’apaiser son amant.
- Écoute, si ça peut te rassurer, j’ai fait un test il y a deux mois qui était négatif.
- OK, c’est cool, mais il faudra qu’on en refasse un rapidement, pour être sûrs, ajoute Vincent.

Le silence s’installe. Quentin ne parvient pas à comprendre la réaction de son amant, qu’il trouve excessive. C’est pourtant clair entre eux deux : aucun n’a de relations non protégées ! Comment Vincent peut-il flipper pour si peu ? L’épisode de la syphilis lui revient. Vincent est un méga-flippé des IST, c’est tout, il faut faire avec. Quentin décide de rompre le silence et s’inquiète de Vincent.

- À quoi tu penses ? lui demande-t-il.
- Comment tu gères, dans ton couple, le fait d’aller voir ailleurs ? Je veux dire, par rapport aux IST ?
- Bah, c’est assez simple dans notre cas. On est complètement ouverts et en transparence donc si on a le moindre doute, on n’hésite pas à s’en parler. Et puis le sujet du VIH, il est encore plus simple que le reste, mon mec est séropo sous traitement donc aucun risque pour lui de le transmettre, explique Quentin, avant d’ajouter non sans malice : c’est encore plus safe que d’être avec un séronégatif, et pas besoin de capotes !

Alors qu’il pensait rassurer son amant, dont le visage se décompose en quelques secondes, Quentin se rend compte que son propos a eu un effet complètement inverse. Il a désormais à ses côtés un garçon désemparé, dont le visage et le corps entier expriment une inquiétude extrême, et qui reste muet, les yeux écarquillés. Quentin reprend...

- Mais tu le sais qu’une personne séropositive sous traitement ne transmet pas le VIH, hein ?
- Oui bien sûr, je le sais.
- Mais pourquoi tu fais cette tête-là ?
- Parce que tu aurais dû me le dire !
- Te le dire ? Pourquoi ?
- Parce que c’est important de savoir !
- Qu’est-ce qu’il est important de savoir ? C’est surtout important de savoir que tu ne prends pas de risque avec moi dans le sens où je ne me mets pas en risque, puisque je me protège, et avec mon mec je ne peux pas chopper le virus, non ?
- Je sais pas, c’est pas rationnel. Ça me fait peur. J’ai toujours eu peur des maladies et là tu me dis que ton mec est séropo, ça me fait flipper. C’est pas rationnel je sais mais c’est comme ça. Écoute tu m’as dit que tu étais négatif il y a deux mois c’est ça ?
- Oui et je le resterai ! insiste Quentin.

La discussion continue. Vincent explique à Quentin à quel point il a peur des infections sexuellement transmissibles, et plus généralement de toutes les maladies. Il est hypochondriaque. Bien souvent, il préfère ne pas savoir d’ailleurs, que de se soumettre à un test. La syphilis, il y a quelques mois ? Finalement à la réflexion, ce n’était pas Quentin, mais « un connard », avec qui ça ne valait même pas le coup. Quentin, avec à son actif douze ans de couple sérodifférent, essaye de trouver les mots, mais n’y parvient pas. La discussion tourne en rond, il s’agace.

- Du coup, si je comprends bien, un mec te dit qu’il est séropo sous traitement, tu sais qu’il n’y a pas de risques mais tu ne couches pas avec ?
- Clairement pas !

La réponse a fusé. Aux oreilles de Quentin, elle est tombée comme le couperet d’une guillotine. Sa question, il l’avait pourtant formulée exprès de manière à ce que le doute s’installe, à amener la réflexion, la remise en question. Que dalle ! « Clairement pas ». Il ne coucherait clairement pas avec une personne vivant avec le VIH, tout en étant conscient de ne pas s’exposer, et de véhiculer une discrimination, une exclusion. Quentin regarde Vincent dans les yeux. Il pèse ses mots, lui d’ordinaire si modéré, si peu enclin au conflit qu’il ne sait adresser un reproche. Et il dit à Vincent, fièrement, sûr de lui :

- Ce que tu fais, le comportement que tu décris, ça porte un nom. C’est de la sérophobie.

Je m’appelle Paul. Quentin est mon mari et m’a raconté cette histoire, qui malheureusement ne s’arrête pas là. Quand Vincent est parti, il a exigé de Quentin qu’il lui envoie une copie de ses résultats d’analyse prouvant qu’il était séronégatif au VIH. Quelques jours plus tard, il lui a écrit à nouveau, lui disant qu’il n’arrivait pas à dormir, qu’il était en période d’examens, et qu’il serait rassuré si Quentin allait passer un nouveau test. Quentin, trop gentil, l’a fait. Vincent, de nouveau, a exigé de recevoir une copie des résultats. À ce jour, Vincent n’a pas recontacté Quentin. Je doute qu’il le fasse.

Cette histoire m’a profondément choqué. Mon mari, séronégatif, a vécu une situation de sérophobie plus forte encore que toutes celles que j’ai pu, moi, vivre dans ma vie de séropo depuis treize ans maintenant. Il m’est toujours aussi insupportable de constater qu'en 2022, alors même que l’on sait depuis plus de dix ans qu’une personne séropositive sous traitement ne peut pas transmettre le VIH, des personnes éduquées et informées continuent de propager la sérophobie et l’exclusion. Mais, je suis aussi particulièrement fier. Je suis fier de mon mari qui est aussi mon meilleur allié, qui a su tenir le flambeau militant sans se départir, sans défaillir, face à la bêtise crasse. Je suis un militant de la lutte contre le VIH et la sérophobie. Particulièrement dans ce combat, nous manquons cruellement d’alliés-es, et je suis infiniment reconnaissant d’en compter au moins un à mes côtés et pour la vie.

Commentaires

Portrait de jl06

Le genre d"article que les sites de rencontres devrait diffusé ,ou au moins l'expliqué ....en page d"accueil ,!