Sérophobie/homophobie/sexisme : ça suffit !

Publié par Fred Lebreton le 09.09.2021
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Au cœur de l’été, une polémique a enflammé le web. Lors d’un concert, DaBaby un jeune rappeur américain, peu connu en France, a tenu des propos sérophobes, homophobes et sexistes très choquants. La vidéo, devenue virale, a suscité de nombreuses réactions d’indignations. Seronet revient sur cette affaire qui dit beaucoup de notre société actuelle.

Indignation collective

Tout commence le dimanche 25 juillet lorsqu’en plein milieu d'un concert au Rolling Loud Festival à Miami, le rappeur DaBaby prononce un discours profondément ignorant et stigmatisant auprès de son public : « Si vous n'êtes pas venus aujourd'hui avec le VIH, le sida ou n'importe laquelle de ces maladies sexuellement transmissibles qui vous tuent en deux ou trois semaines, mettez le flash de votre téléphone en l'air ». Et le rappeur de 29 ans d’ajouter « Mesdames, si votre chatte sent l'eau, allumez vos flashs. Les gars, si vous n'êtes pas en train de sucer des bites sur le parking, allumez vos flashs ! ». En deux phrases, le jeune artiste réussit l’exploit d’accumuler une immondice de propos sérophobes, homophobes et sexistes.

Bien sûr, la vidéo est filmée par une personne dans le public puis postée sur les réseaux sociaux. Elle va devenir virale en quelques heures et susciter des milliers de réactions sur Twitter et Instagram y compris de nombreuses stars de la musique et du show business. La chanteuse Dua Lipa, qui a réalisé un remix de sa chanson Levitating en compagnie du rappeur, a dénoncé ses propos homophobes et réitéré sur une story Instagram son soutien à la cause LGBT : « Je suis surprise et horrifiée par les commentaires de DaBaby. Je ne reconnais vraiment pas dans ce discours la personne avec qui j'ai travaillé. Je sais que mes fans savent où se trouve mon cœur et que je soutiens à 100 % la communauté LGBTQ+. Nous devons nous unir pour lutter contre la stigmatisation et l'ignorance autour du VIH ». Elton John, a lui aussi tenu à s'exprimer sur le sujet. « Nous avons été choqués de lire les informations erronées sur le VIH et les déclarations homophobes faites lors d’une récente prestation de DaBaby. Cela alimente la stigmatisation et la discrimination et est à l’opposé de ce dont notre monde a besoin pour lutter contre l’épidémie de sida », a déploré le chanteur et militant de longue date dans la lutte contre le VIH. Il a également rappelé à sa communauté que le VIH ne fait pas de discrimination et a déjà touché plus de 70 millions de personnes dans le monde avant d'ajouter : « Vous pouvez vivre longtemps et en bonne santé avec le VIH ». De son côté, l'icône de la beauté Queer Eye, Jonathan Van Ness, ouvertement séropositif, a déploré la sérophobie de ce discours : « Ce stigmate du VIH/sida est ce qui tue les gens et il est propagé par ce genre de désinformation ». Enfin, citons Madonna qui a condamné les propos du rappeur sur son compte Instagram : « Si vous faites des remarques haineuses sur la communauté LGBTQ+ concernant le sida, informez-vous. Après des décennies de recherches, il existe des médicaments pour les enfants nés avec le VIH qui peuvent leur sauver la vie. (...) Je prie pour votre ignorance. Personne ne meurt plus du sida en deux ou trois semaines. Dieu merci ! Et vos remarques sexistes sur les jeunes femmes ne font qu'alimenter la discrimination contre laquelle les femmes se battent chaque jour. Les gens comme vous sont la raison pour laquelle nous vivons encore dans un monde divisé par la peur ».

Victime ou bourreau ?

Dababy a-t-il voulu créer le buzz ? L’artiste, qui a plus de 19 millions d’abonnés-es sur Instagram et plus de quatre millions sur Twitter, connait parfaitement l’usage et la puissance des réseaux sociaux. Il savait aussi que sa déclaration serait filmée et diffusée sur le web. Il a d’ailleurs profité de cette polémique pour promouvoir son dernier morceau et a sorti dans la foulée un clip intitulé Giving what it's supposed to give  en réponse à celles et ceux qui le critiquent. Dans cette vidéo de cinq minutes, le rappeur s'amuse de son procès fictif en jouant le rôle d'un prisonnier. Le clip se termine sur les mots : « Ne combat pas la haine avec de la haine », écrits aux couleurs de l'arc-en-ciel, sous-titrés de la phrase : « Mes excuses pour être moi-même de la même manière que vous voulez la liberté d'être vous ». À travers cette mise en scène, l’artiste se dépeint comme la victime de ce que l’on appelle aujourd’hui communément la cancel culture. Cette pratique, née aux États-Unis et que l’on pourrait traduire par culture du bannissement, consiste à dénoncer publiquement, en vue de leur ostracisation, des individus, groupes ou institutions responsables d'actions, comportements ou propos perçus comme problématiques.

La cancel culture divise beaucoup. Il y a celles et ceux qui la critiquent en disant qu’on ne « peut plus rien dire » aujourd’hui, à cause d’une société qui serait devenue trop « politiquement correct ». Et puis il y a celles et ceux qui pensent qu’effectivement : « Ça suffit » ! Les femmes, les personnes racisées, les personnes LGBT+ et les minorités en général sont les cibles récurrentes, depuis des siècles, d’un humour graveleux et/ou de déclarations qualifiées de « dérapages » quand il s’agit le plus souvent de propos racistes, sexistes et/ou LGBTphobes totalement décomplexés et profondément discriminatoires.

Si le but de DaBaby était de créer le buzz, c’est réussi. Ce rappeur, peu connu en dehors des fans de R&B/Hip Hop, est devenu pendant quelques jours un sujet de discussion mondial dans les tendances Twitter. Mais à quel prix ? Suite au scandale, la marque Boohoo avec laquelle il devait créer sa propre collection a annoncé la fin de leur collaboration : « La diversité et l'inclusion font partie de l'ADN du groupe Boohoo et nous sommes fiers de représenter la diversité de nos clients à travers le globe. Nous soutenons la communauté LGBT+ et ne tolérons aucune forme de discrimination ». Quelques jours plus tard, le 31 juillet, le rappeur a été retiré de la programmation du festival de musique Lollapalooza où il devait donner un concert pour la soirée de clôture. « Lollapalooza a été fondé sur des valeurs de diversité, d’inclusion, de respect et d’amour », a déclaré le festival sur son compte Twitter en guise d’explication.

Face au tollé, l’artiste rap, de son vrai nom Jonathan Lyndale Kirk, a d’abord fait de timides excuses sur Twitter mais, après l’annulation de ses contrats avec la marque Boohoo et le festival Lollapalooza, DaBaby s’est finalement décidé à écrire des excuses plus officielles : « Je veux m’excuser auprès de la communauté LGBTQ+ pour mes propos blessants. Je tiens également à m’excuser pour mes propos ignorants sur le VIH/sida et je sais que l’éducation autour de ce sujet est importante. Que Dieu vous bénisse », a-t-il écrit le 2 août sur sa page Instagram.

Lil Nas X, le super-héros queer

Au final qui se souviendra de DaBaby dans 50 ans ? Pas sûr que l’histoire retienne sa musique. Les puissants moteurs de recherche Internet retiendront sans doute cette polémique de l’été 2021 qui a généré dix jours de buzz alors qu’au même moment, un autre rappeur noir américain était en train de faire changer radicalement la mentalité de la culture hip hop avec un courage et une énergie féroces. Il s’appelle Lil Nas X, de son vrai nom Montero Lamar Hill. Il a 22 ans. Il est ouvertement gay et il vient de Géorgie, un État du Sud des États-Unis réputé pour être très conservateur. À travers, sa musique, ses clips et ses performances live, Lil Nas X combat l’homophobie et tente de briser le tabou de l’homosexualité dans la communauté afro américaine et particulièrement dans le milieu hip hop. Noir, gay et fier, le jeune artiste est devenu en quelques mois le super-héros des jeunes queers. Le 27 juin dernier, lors d’une performance aux BET Awards, une cérémonie qui récompense uniquement des Afro-Américains, Lil Nas X embrasse langoureusement un de ses danseurs. L’image va faire le tour du monde et sera comparée au fameux baiser tout aussi langoureux de Madonna et Britney Spears lors des MTV Awards en 2003. Quelques heures plus tôt, sur le tapis rouge des BET Awards, le rappeur est arrivé dans une tenue flamboyante avec un ensemble jupe, corset et veste signés de la créatrice Andrea Grossi. Un tapis rouge plus habitué à des rappeurs musclés, ultra virils (jusqu’à la caricature) et avec des grosses chaines en or. Le jeune artiste a tout compris à notre société actuelle. Son marketing bien huilé fonctionne à merveille et prouve qu’on peut être à la fois un artiste engagé sur des questions de société tout en voulant divertir le public et vendre des disques. DaBaby aurait de vraies leçons à recevoir de Lil Nas X. Les deux rappeurs n’ont que sept ans d’écart, mais le premier semblé figé dans une vision datée et totalement has been de la culture hip hop où l’homme doit surjouer sa masculinité quitte à insulter et rabaisser les femmes, les gays et, dans son cas, les personnes vivant avec le VIH.

Cette masculinité toxique engendre des discriminations parfois très violentes des gays efféminés qui se revendiquent « folles » ou queer y compris au sein même de la communauté LGBT. En avril dernier, Matthieu Foucher, journaliste spécialisé sur ces questions, évoquait le sujet de la « follophobie » (rejet des gays identifiés comme « folles ») dans le journal Au Féminin : « C’est la société dans son ensemble qui est masculiniste et follophobe. Les gays, rappelons-le, grandissent avec l’idée qu’apparaître efféminé, pour un homme, est extrêmement dégradant et humiliant. Toute trace de féminité chez les garçons est lourdement surveillée et sanctionnée par la société : les jeunes gays perçus comme féminins sont souvent harcelés à l’école, isolés, moqués, voire, dans les pires des cas, poussés au suicide. (...) La haine des gays tue ».

La polémique autour des propos DaBaby et ses conséquences pour lui va-t-elle dissuader d’autres artistes de vociférer ce genre de discours haineux ? On ne peut que l’espérer. Les plus cyniques diront que c’est une forme de censure dictée par les règles du politiquement correct et du marketing et c’est en partie vrai. Mais au final, ce qui compte, c’est l’effet que cela peut avoir sur la jeunesse d’aujourd’hui scotchée à leur smartphone toute la journée. Si la cancel culture leur permet de voir moins de propos haineux et plus d’actes militants, courageux et émancipateurs comme ceux de Lil Nas X alors peut être que c’est un mal pour un bien.

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