À travers les yeux d’Hugh Steers

Publié par Lilou Spitz le 19.01.2022
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La lecture d’un article de Télérama, paru le 19 décembre. C’est ainsi que démarre (pour moi) la découverte de l’artiste peintre américain Hugh Steers. Décédé des suites du sida, l’artiste new-yorkais a consacré la majeure partie de son œuvre à chroniquer sa vie de personne gay vivant avec le VIH et son milieu. La Galerie David Zwirner montre pour la première fois en France une sélection de ses œuvres. Beau et troublant.

L’artiste comme modèle

Derrière l’œuvre, il y a un homme (ou une femme). Ici, on trouve les deux : derrière l’œuvre et même en son cœur. Hugh Steers, né en 1962 à Washington, est méconnu en France. En 1987, diplômé d’art de l’université de Yale, il apprend à 25 ans qu’il est séropositif. Artiste déterminé à réussir par son talent, il peint sans relâche tous les jours jusqu’à la fin de sa vie dans son atelier. Ses tableaux illustrent sa vie et son quotidien avec le VIH, mais aussi la communauté gay qui est à l’époque frappée par la crise du sida pendant les années 80/90. Emporté par la maladie, il décède en 1995 à New-York, un an avant l'arrivée des trithérapies.

Des tableaux troublants

Hugh Steers aimait peindre son chat noir, qui est présent dans un grande nombre de ses œuvres, cachant sa nudité dans l’une d’elle, d’ailleurs présentée à la Galerie Zwirner. Il se montrait souvent en talons ou en robe sans doute pour montrer sa part de féminité ou celle d’un des personnages de ses tableaux. Commissaire de l’exposition, Russel Tovey, rappelait dans une interview au magazine Numéro art (13 décembre 2021) que l’artiste était fasciné par les spectacles drag queens dans le New York des années 80, une des clefs possibles pour comprendre la présence des robes, des chaussures à talons hauts… qui peuplent nombre des œuvres. Il ne se représente jamais pareil dans ses nombreux tableaux. Les hommes y sont parfois comme floutés, parfois peints de sorte à ce que l’on ne voit pas leur visage. Les scènes prennent place dans des salles de bain, des chambres ou des salons, renforçant l’intimité des situations. Russel Tovey souligne, la volonté de l’artiste de nous mettre dans une situation délicate, comme « si nous étions le témoin d’une scène que nous n’aurions pas dû voir » dans une baignoire, sur un lit, voir des toilettes. L’artiste intègre constamment des pans de tissus ou de draps de couleur sombre dans le fond des scènes ; ce qui lui permet de découper l’espace, de créer du mouvement. L’artiste ne se représente presque jamais seul, toujours accompagné d’un homme ou d’une femme peints comme en couple. Il illustre souvent le quotidien de la vie d’un homme gay en couple, parfois en proie à la maladie. « Nous retrouvons l’histoire des homosexuels, les histoires anonymes et les vies quotidiennes moments d’humour, petites joies et luttes dévastatrices » écrit d’ailleurs Russell Tovey en ouverture de l’exposition, mais une histoire « assombrie par le spectre du sida ».

La tête dans le sac

Parfois, un des personnages est caché, un sac en papier sur la tête, ce qui peut représenter le sentiment de honte et de culpabilité d’avoir le VIH, celui que renvoyait la société de l’époque (parfois encore aujourd’hui) et l’isolement que l’artiste, en tant que personne vivant avec le VIH, a pu subir. Sur les sentiments qu’on peut découvrir dans les traits intimes de l’artiste, il y a une authenticité brute et troublante qui est pesante et qui déforme presque la réalité. On aperçoit un sentiment de délaissement, d’abandon sur quelques œuvres ; notamment une où un corps inerte est allongé par terre, sous un canapé, avec un autre homme qui se tient debout à côté, l’air de se demander s’il va secourir l’homme évanoui à ses pieds. Hugh Steers se sentait abandonné et seul face à la maladie. Si on observe le visage de ses autoportraits, on peut ressentir combien il semble dévasté et nostalgique, mais résolu aussi à nous dérouter. Ainsi ce que nous voyons dans chaque tableau est-il la conclusion d’une histoire ou le début d’un événement à suivre ?

Aujourd’hui, ses peintures sont exposées pour la première fois en France jusqu’au 29 janvier 2022, une occasion rare de découvrir un artiste singulier : exposition « Blue Towel Red Tank » (nom d’une de ses œuvres) à la Galerie David Zwirner (108 rue Vieille-du-Temple - Paris 3). Accès gratuit du mardi au samedi de 11 heures à 19 heures.