Une PASS, à quoi ça sert ?

Publié par Denis Mechali le 23.02.2013
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"PASS" est (entre autres significations !), le sigle pour "Permanences d’accès aux soins de santé". La création date de 1998, au sein d’une loi de lutte contre les exclusions, et a introduit au sein du code de santé publique, le principe de lieux d’accueil, au sein des établissements de santé (en pratique les hôpitaux publics), garantissant un accès aux soins de santé pour tous, accompagné pour les personnes précaires d’une aide aux démarches de recouvrement ou établissement de leurs droits aux soins.

Le principe est généreux, visant tout autant à éviter qu’une personne ne puisse obtenir de soins, faute de ressources ou de titres administratifs, qu’à l’acceptation de "soins au rabais", dans des lieux spécifiques de type "ghetto pour pauvres" ou encore pour étrangers en situation irrégulière. Il y a donc la volonté de mettre en place, selon le besoin, des dispositifs spécifiques permettant l’accueil, et les soins adaptés, couplés obligatoirement à des démarches sociales visant au retour des personnes concernées dans le droit commun. L’idée est celle de dispositifs transitoires ou éphémères, de façon à concilier le soin et le droit, le coût et le financement des soins, et l’accès néanmoins garanti à chacun.

Savoir, sans erreur, si un soin est indispensable, urgent, est parfois "évident", mais plus souvent demande un acte médical d’analyse, et ne peut être réglé par un accueil administratif à un guichet, qui va réclamer des papiers ou de l’argent. Mais, comme on le voit pour une foule d’autres sujets un peu complexes, tout est possible entre des mises en œuvre efficaces, adaptées, d’autres très insuffisantes ou inefficaces, et parfois, rien du tout ou une simple affiche sans contenu réel ; un petit tour de passe-passe, en quelque sorte.

Et, comme souvent aussi, la complexité technique, ou la variabilité des besoins, selon les lieux ou les périodes, sert à masquer des blocages beaucoup plus égoïstes, ou des rejets idéologiques… En outre, il y a un niveau basique, qui sont les "soins vitaux" pour une pathologie aigüe ou décompensée, mais cela recouvre ou révèle, souvent, des soins trop tardifs, une absence de recours à la prévention, du fait de déterminants de santé : accès au logement, aux ressources financières, à une légalité administrative, à un environnement social minimal, aux possibilités d’éducation et de scolarisation des enfants. De fait, souvent, on tire un fil, et toute une pelote apparaît. Et, bien sûr, l’accroissement des inégalités diverses, la montée de la précarité au-delà des "grands précaires traditionnels" a accru le nombre des personnes en état de renonciation aux soins, tout en rendant plus complexe, plus lourds, plus coûteux, les dispositifs de rattrapage.

De ce fait, les PASS sont "dans l’actualité", mais objets parfois de débats acharnés, de rejets explicites ou hypocrites, d’attitudes contradictoires. L’idée même de soins non discriminants, de recours au droit commun, a parfois des conséquences paradoxales, voire franchement négatives. En théorie, "tous les soignants", toutes les équipes doivent assurer accueil et soins. La pratique est parfois très différente, et les proclamations généreuses, mais creuses, viennent masquer la réalité quotidienne des rejets divers, ou des réponses incompétentes, parcellaires et cloisonnées. L’idée du "dispositif transitoire" ou éphémère induit une réalité subtile… malheureusement plus facile à disqualifier ou à méconnaître, et à frontières variables selon les cas ! A quel moment le recours à la PASS devient "inutile" ? Quand ce patient précaire va-t-il réellement trouver une structure ou un professionnel relais ? Tout ceci nécessite de mener un "super boulot" d’explications et de défense pour promouvoir les PASS ! Le fait que ces dispositifs drainent un grand nombre de personnes étrangères en situation irrégulière au plan du droit (même s’il s’agit de personnes présentes depuis de nombreuses années sur le territoire) est propice à des réactions exacerbées, et plus encore en situation de crise, de difficultés globales croissantes. La xénophobie, la désignation de boucs émissaires des difficultés, sont des réalités inusables, malheureusement et pardon d’enfoncer des portes ouvertes !

Pourtant, des réponses compétentes et respectueuses des personnes existent, heureusement, dans de nombreux lieux avec un ingrédient de complexité supplémentaire : La "compétence" ne peut être seulement de nature technique, technique médicale, ou technique de l’assistante sociale, ou du service financier de l’hôpital, ou du juriste. Les personnes vulnérables ont un besoin "vital" de respect, d’un sentiment de dignité un peu restauré par les modalités d’accueil et de prise en charge. L’interprétariat professionnel pour des étrangers non francophones remplit ainsi une double fonction : aide matérielle à la bonne compréhension des enjeux de santé, mais aussi symbolique de l’accueil et du respect. C’est ce double aspect, du "cure" et du "care", de l’accès aux soins techniques et à un accompagnement attentif et respectueux, qui donne une coloration supplémentaire aux mises en œuvre des PASS qui fonctionnent un peu correctement ! Les soignants impliqués ont souvent une éthique personnelle et professionnelle particulière, les rendant sensibles à ces dimensions multiples. Le contraste avec des institutions de plus en plus soumises à des critères de rentabilité financière, de normes et protocoles plutôt froids et désincarnés, est alors souvent manifeste, parfois caricatural, et révoltant !

Les besoins en PASS sont logiquement divers selon les zones géographiques, plus fréquents en zones urbaines ou péri urbaines. Le département 93 où j’exerce est assez emblématique de besoins importants et croissants. Au fil du temps, j’ai connu, au sein de l’hôpital de Saint-Denis, une reconnaissance variable des réponses à apporter aux besoins des personnes en grande précarité… 

Une autre chronique de "Seronet", relatant les péripéties de la prise en charge hospitalière du sida au fil des années, a des points communs, évidemment, avec ces évolutions. Je l’ai très souvent dit et écrit : "Toxicomanes ou migrants, le point commun entre les personnes atteintes dans ce lieu, depuis 30 ans, est la pauvreté et la vulnérabilité. Le sida a accéléré certaines prises de conscience et certaines évolutions, mais parfois le côté "maladie spécifique" a dominé".

Depuis quelques années, la PASS hospitalière de Saint-Denis a vu ses moyens augmentés, un renforcement du service social aboutissant à une énergique et souvent efficace aide à l’ouverture de droits, AME (aide médicale d’état) pour des personnes étrangères en situation irrégulière, ou CMU et CMU-C. L’accès aux soins urgents, via un financement spécifique assurant le remboursement de l’hôpital, sans "envoi de factures" pour les patients précaires, une consultation médicale "dédiée", indépendante du service des urgences,  l’accès à l’interprétariat professionnel, par déplacement ou par recours téléphonique, ont  été possibles, et ce sont des avancées par rapport à des pratiques antérieures.

Mais les besoins sont tels qu’il faut avancer encore et davantage ! Organisation du soin, concertation entre le médical et le social, l’intra et l’extra hospitalier, le somatique et le psychique, éléments d’accompagnement, d’éducation en santé adaptés, le lien avec des associations de patients, ou ceux "représentants" tant bien que mal les patients les plus vulnérables, comme Médecins du Monde (car il faut une énergie, une capacité de lutte déjà notable, pour s’organiser en association de défense de ses droits). Il faut franchir des caps de mise en place, et de "sécurisation" des moyens financiers et humains attribués pour ces taches.

Or, la crise, le poids croissant des difficultés tétanise ou bloque les énergies. Il faut travailler dans et avec l’institution, donc accepter un certain nombre de "règles du jeu", lourdes, parfois contradictoires : prouver la pertinence économique ou gestionnaire de cet accueil pluri disciplinaire et multi compétences est un travail infernal ! Il faut bien le mener, couplé à un travail plus militant, plus directement politique. Au sein de ce travail politique, au sens de vie de la Cité, de capacité à vivre ensemble - qui inclue cette nécessité d’être accueillant pour les plus fragiles - il faut concilier les grands principes d’un accueil pour tous, "La France patrie des droits de l’homme" et l’acceptation de certaines limites, malgré tout, ("La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde"), amenant à des choix de priorité ou des hiérarchies (et du coup, on s’éloigne parfois de certains "copains", des "militants purs et durs" ayant du mal avec les compromis et les "compromissions inévitables").

Pour tenter de concilier ces contraires, organisation entre professionnels et soutien par les institutions et les financiers, l’organisation en société savante, en structure associative, visant à regrouper progressivement l’ensemble des PASS, est en cours de développement. Depuis quelques années, des PASS de régions, comme celles de Rhône-Alpes et d’autres, s’étaient organisées en coordinations régionales. L’Ile-de-France a initié ensuite une double démarche, de réunions de différentes PASS, d’hôpitaux de l’Assistance publique de Paris, puis d’autres structures, et de proposition d’un "collectif national des PASS", associatif…  C’est une utopie encore fragile, mais qui me mobilise et me semble intéressante.

Commentaires

Portrait de Lomuse

La PASS c'est une évidence ! J'ai travaillé il y a bien longtemps avec un super responsable de service  qui le faisait aussi avec peu de moyens dans une petite ville de province. 

Cette proposition " collectif national des PASS" est une idée géniale ! Surtout si les acteurs cohérents autour de la personne en font partie, et s'unissent pour permettre un "vrai" accès aux droits et aux soins centrés auprès d'elle et avec elle. Le rézo y a que cela qui fonctionne vraiment, avec des vrai militants, professionnels, associatifs, usagers, etc.. qui maintiennent du lien au quotidien.

Ce sont les petits cailloux de tous les jours qui font les grands chemins !

Merci à toi pour cette proposition, j'adhère pleinement !