VIH : coulisses d’une e-cérémonie contre l’oubli

Publié par Olga Volfson le 03.12.2020
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Pour le 1er décembre 2020, confinement ou non, il était hors de question de ne pas honorer les morts-es du sida. Retour sur l’organisation d’une e-cérémonie contre l’oubli entre les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, Les Amis du Patchwork des noms et Solidarité Sida... « La mémoire des morts-es du sida doit survivre à cette nouvelle épidémie » : en coulisses d’une e-cérémonie contre l’oubli.

Crédit photo : Florent Maréchal

C’est le 17 novembre que les Sœurs de la Perpétuelle indulgence (SPI) de Paname ont réuni un chapitre exceptionnel, dédié à la Journée mondiale de lutte contre le sida. À ce moment-là, il était difficile de se figurer précisément les possibilités, ou non, de sortir toutes cornettes, voiles et masques dehors, au premier jour de décembre. Et le moral, comme pour tout le monde, n’était pas des plus reluisants au Couvent. Pourtant, la « graisse divine » a illuminé cet échange en visio : toutes les frangines présentes étaient d’accord sur ce qu’elles souhaitaient faire pour le 1er décembre ! En chœur, elles ont exprimé leur souhait de faire vivre leur vœu de mémoire, en compagnie des Amis du Patchwork des noms. En vingt courtes minutes, la réunion était pliée, et les nonnes arc-en-ciel plongèrent la tête la première dans l’organisation, qui devrait être très rapide… La première étape était bien sûr d’appeler le président du Patchwork des noms, Jean-Michel Gognet. « Les Sœurs ont toujours une idée d'avance et lorsqu'elles m'ont contacté pour proposer cette cérémonie en ligne, j'ai tout de suite été séduit parce que je sais combien nous pouvons leur faire confiance et qu'elles ont le savoir-faire pour transmettre les émotions », raconte-t-il.

De l’urgence de se recueillir pour se réchauffer

Cet événement commun était alors envisagé en live, depuis un téléphone, sans lieu défini, et l’organisation restait incertaine. Mais les Soeurs savaient qu’en contactant leurs amis-es de Solidarité Sida, encore très affectés-es de l’annulation du festival Solidays, et de la Cérémonie contre l’oubli annuelle qui s’y déroule, ce projet prendrait encore plus d’ampleur. Et la magie n’a pas manqué le rendez-vous.

« Quelle belle idée ! », s’est exclamé Florent Maréchal, directeur des programmes de SolSid, lorsque les frangines l’ont eu au bout du fil. « La crise actuelle ne doit pas nous faire oublier les millions de victimes du sida à travers le monde. Il nous faut toujours continuer d’honorer leur mémoire, partager leur histoire, leurs noms, pour visibiliser celles et ceux que cette maladie a emportés », explique-t-il. Un ressenti intensément partagé par les trois associations, pour qui l’urgence de la situation actuelle n’est pas incompatible avec la mémoire, bien au contraire. « On a entendu des commentateurs dire que le Covid-19 aura été la pire des pandémies depuis la grippe espagnole sans que cela soulève des sourcils dans l'assistance. Quelle amnésie ! 36 millions de morts du sida auraient déjà été oubliés ? », s’indigne Jean-Michel Gognet. « L'histoire se répète et comme pour le début de l'épidémie du VIH, la question de la fin de vie et de la mort a été traitée comme superflue : pas de place pour l'entourage, pas de recueillement possible, pas d'accompagnement, pas d'humanité. Aucune indication sanitaire n'exige une telle brutalité et une telle privation de deuil. Dans cette période où les mêmes images reviennent, se souvenir de celles et ceux qui nous ont quitté est essentiel, cela nous rapproche, nous réchauffe et nous renforce. »

À l’émoi par anticipation de faire vivre le souvenir par écran interposé s’est rapidement succédée une course pour tout mettre en place. Alors que les Soeurs rassemblaient leurs forces vives aux Couvents de Paname et de Paris — et écrivaient le texte de la cérémonie — Solidarité Sida a pris le relai, à bras le corps, de la logistique. « Nous avons organisé cette vidéo en un temps record ! », s’émerveille Florent Maréchal. « Il fallait le faire. Je crois que nous en avions tous-tes vraiment besoin en cette année si particulière. Faire simple et être efficace pour offrir une belle cérémonie à celles-ceux qui y sont attachés-es ».

Du gel hydroalcoolique et des larmes

Samedi 28 novembre, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence se retrouvent donc dans les locaux de Solidarité Sida, avenue Parmentier, à Paris, pour se préparer. Tandis qu’elles se mettent « en grand tralala » à grands renforts de pigments et d’étoffes, les militants-es de SolSid et du Patchwork s’affairent pour mettre en place les six panneaux sortis pour l’occasion et préparer le tournage juste à côté, à La Générale. Le tout, avec le plus de gestes barrières humainement possibles, et gel hydroalcoolique à foison — des précautions qui n’ont pas non plus manqué d’impacter l’échelle de la cérémonie. En plus des six nonnes de la contre-allée, c’est une petite dizaine de personnes de Solidarité Sida et du Patchwork des Noms qui a pu se rendre sur place. « En raison de la Covid-19, il était impossible de tous-tes se réunir », soupire Florent Maréchal. « Nous espérions que la vidéo nous permettrait de partager ce moment précieux avec plein d’autres, même en ligne et à distance. »

Une fois tout en place, les Sœurs rejoignent leurs camarades de lutte dans la salle. Après un petit briefing de l’équipe de tournage (et s’être assurés-es que ces pintades sacrées fort inflammables n’allaient pas s’approcher de trop près des bougies disposées derrière elle) une petite répétition est de mise. L’émotion affleure déjà à la surface des épidermes, mais il faut rester concentrés-es, car le créneau prévu pour le tournage est de soixante minutes. Les équipes se lancent donc immédiatement dans la cérémonie, une fois, deux fois, trois fois, pour obtenir le plus d’angles et d’images possibles et rendre la vidéo vivante. On pourrait croire que de lire ce texte et ces noms deviendrait de moins en moins dur pour les présents-es à chaque recommencement, mais c’est l’inverse. Plus l’heure tourne, plus les poils se hérissent, les gorges se nouent, les larmes viennent chatouiller la naissance des (faux) cils. « Qu’il est difficile de ne pas pouvoir se prendre dans les bras, comme à chaque sortie des Patchworks », soupirent, entre elles, les nonnes bariolées en recueillement. La communion se fait alors « avec les yeux, avec la bouche, avec le cœur », comme le geste de prière des Sœurs de la Perpétuelle indulgence. « Comme à chaque fois, l’émotion était intense, malgré la forme bien différente de d’habitude », confie Florent Maréchal. « Sans prétention, je crois que nous avons
réussi ! »

Lorsque le clap de fin est donné, le temps s’accélère, d’un coup, alors que des gouttes d’eau salée mouchettent encore les masques. Il faut à présent éteindre les bougies, ranger le matériel vidéo et surtout, décrocher et replier les Patchworks en dépit des mains qui tremblent et des frissons qui parcourent la pièce. « J'étais très ému de revoir les militants-es et très impressionné par les équipes de Solidarité Sida », raconte Jean-Michel Gognet. « Et de redéployer des patchworks qui sont restés confinés eux aussi durant près d'un an, je les redécouvrais un à un... intacts ». Impossible de savoir quelle sera la prochaine occasion de les déplier. Mais que ça se fasse sur un trottoir ou bien sur la pelouse de l’Hippodrome de Longchamp, une chose est sûre, le nuage de paillettes de ce 1er décembre 2020 hors du temps prendra alors son envol. D’ici là, les commentaires sous la vidéo partagent l’impression du directeur des programmes de Solidarité Sida : c’était une cérémonie réussie, et le sentiment d’être ensemble dans ce moment de recueillement a fait bon voyage à travers les ondes wifi.

La cérémonie a été diffusée le 1er décembre 2020 à 19 heures sur la page Facebook des Amis du Patchwork des noms, puis relayée par Les Sœurs de la Perpétuelle indulgence de Paname et de Paris, et Solidarité Sida.

 

 

Commentaires

Portrait de jl06

magnifique chaîne , Gémissons Gémissons MAIS Espérons 

 

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