V(il)aine croisade !

Publié par Caroline Andoum et Joseph Koffi le 31.07.2018
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On peut mentir, forcer le trait à outrance, vouloir faire d’une décision politique un marqueur de son action voire une obsession, au final, on se heurte toujours à la force de la loi. C’est ce qui se passe avec la décision de la présidente (Les républicains) de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, de supprimer le tarif réduit accordé aux personnes étrangères bénéficiaires de l’AME (aide médicale d’État).

Le 21 janvier 2016, la région qui a connu l’alternance politique et a désormais une majorité de droite, adopte un de ses premières mesures : la suppression de ses aides au transport pour les personnes étrangères bénéficiaires de l’AME. Cela concerne alors 117 000 personnes qui bénéficient d’une réduction de 75 % sur le Pass navigo : 50 % de réduction payée par le Stif (1) et 25 % de réduction supplémentaire payée par la région Île-de- France. Valérie Pécresse se justifie en expliquant que cette réduction était une "prime à l’illégalité". Elle affirme alors qu’elle en a parlé au Premier ministre de l'époque (Manuel Valls) qui "n’est pas du tout choqué" par cette idée. Durant la campagne des régionales, Valérie Pécresse avait expliqué qu’elle escomptait des millions d’euros (entre 50 et 70 millions selon les interviews) de cette suppression… puis finalement dans ses documents de campagne elle parlait de 14 millions d’économies ! En avril 2016, la préfecture de région estime, assez curieusement, que la décision n’est pas contraire à la loi. Ce qui n’est pas l’avis de plusieurs associations et d’élus franciliens de l’opposition (2) qui forment des recours contre cette décision. En janvier 2018, le tribunal administratif de Paris casse la décision de la région. Il estime que cette délibération est "entachée d’une erreur de droit". Selon ce tribunal, la délibération critiquée méconnait des dispositions légales (3) qui "ne subordonnent, en effet, le bénéfice de la réduction tarifaire qu’à une seule condition de ressources, et non à une condition de régularité du séjour en France". Autrement dit : le critère retenu pour écarter des personnes du bénéfice de ce tarif n’est pas légal. La région prend acte de ce jugement, mais annonce qu’elle fait appel de cette décision. Un article du "Monde" (1er juillet 2018) explique que la cour administrative d’appel de Paris devrait prochainement déclarer illégale cette exclusion des personnes bénéficiaires de l’AME de ce dispositif.

En effet, le 27 juin dernier, le rapporteur public (qui présente le point de vue de l’État) a expliqué en audience devant la cour qu’il estimait illégale la décision de Valérie Pécresse. On semble alors en route pour un nouveau désaveu. Le 6 juillet, la Cour administrative d'appel confirme qu'il y a eu "erreur de droit". Évidemment, entre les deux jugements, Valérie Pécresse a refusé de rétablir cette aide, pénalisant des dizaines de milliers de personnes. Les associations ont pourtant manifesté, interpellé l’exécutif francilien, l’enjoignant d’appliquer le premier jugement. Refus. L’obsession de mettre fin à cette réduction s’est poursuivie. La présidente de la région a interpellé le gouvernement à ce sujet, sans succès. Puis, le message a été passé aux sénateurs Les républicains qui ont réussi à faire adopter (21 juin) un amendement qui subordonne l’octroi de tarif réduit dans les transports à la régularité du séjour, lors du débat sur le projet de loi "Asile Immigration". Un amendement télécommandé pour essayer de gagner au niveau national une partie qui s’annonçait perdue à l’échelle d’une région. Un amendement aux allures de cavalier (4) qui a peu de chances de se maintenir tant il entre en contradiction avec les obligations de la loi SRU (5). Et Valérie Pécresse a tenté la même manœuvre à l'Assemblée Nationale.

Appliquée depuis 2001, jamais contestée par la droite en Île-de-France jusqu’alors — elle a régulièrement voté en faveur de son maintien — cette aide aux transports a été instrumentalisée par l’exécutif francilien avec une certaine outrance et une stigmatisation des personnes étrangères, en laissant entendre que les Français les plus modestes seraient moins bien traités que les personnes sans papiers ; ce qui est faux. Aujourd’hui, l’opération politicienne se fracasse contre la force de la loi, du moins en attendant de nouveaux rebondissements. Une fin attendue (et provisoire ?) pour une bien vilaine croisade !

(1) : Syndicat des transports d’Île-de-France, devenu Île-de-France Mobilités.
(2) : Pierre Serne, conseiller régional écologiste.
(3) : L’article L1113-1 du code des transports.
(4) : Article de loi qui introduit des dispositions qui n'ont rien à voir avec le sujet traité par le projet de loi. Ces articles sont souvent utilisés afin de faire passer des dispositions législatives sans éveiller l'attention de ceux qui pourraient s'y opposer.
(5) : Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain. C’est elle qui a créé la tarification spéciale pour les personnes en situation précaire, dont elle fait une obligation.