Congo-Brazzaville : “A quand la fin de cette irresponsabilité généralisée ?”

Publié par olivier-seronet le 15.06.2009
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Sud
Militant à l’Association des Jeunes Positifs du Congo, Thierry Maba est engagé dans la lutte contre le sida au Congo-Brazzaville. En 2008, son pays a connu d'importantes ruptures de médicaments indispensables à la prise en charge des personnes séropositives et malgré l'annonce officielle de la gratuité des examens, le compte n'y 'est pas ! Interview.

Depuis deux ans, le Congo-Brazzaville  est officiellement engagé sur la voie de la gratuité de l’accès aux traitements, qu’en est-il sur le terrain ?
Entre les mots et les actes, il y parfois un pas. Au Congo, c’est un océan ! Depuis janvier 2007, les traitements anti-VIH sont gratuits, quand ils sont disponibles ! Le 31 décembre 2007, le chef de l’Etat a annoncé la gratuité des examens biologiques pour les personnes vivant avec le VIH.

Que s’est il passé en dix mois ?
Justement rien, ou presque ! Pour faire des examens aujourd’hui au Congo, il vous en coûtera entre 7 000 francs CFA (10,67 euros) et 30 000 francs CFA (45,73 euros) ! Après avoir vu le chef de l’Etat à la télévision, des familles qui soutenaient financièrement des séropositifs pour le paiement du bilan biologique (bilan d’inclusion et de suivi) ont arrêté leurs dons. Aujourd’hui, ceux qui demandent de l’argent pour les examens sont traités de voleurs ! Au Centre hospitalier universitaire de Brazzaville, plus de la moitié des enfants suivis n’ont pas fait de bilan biologique depuis au moins six mois [les examens de suivi doivent avoir lieu tous les trois mois] ! Conclusion, il est difficile de savoir rapidement si le traitement anti-VIH utilisé est efficace. Des gens meurent dans ce pays à cause des effets d’annonce quand ils ne meurent pas à cause des ruptures dans l’approvisionnement en traitements !

Justement, qu’en est il des traitements ?
Ils sont gratuits quand ils sont disponibles ! La dernière grande rupture dans l’approvisionnement date d’avril dernier ! Nous avons été alertés par les participants aux groupes de parole que nous animons pour les personnes séropositives. Telle personne disait avoir accouché sans bénéficier de la prophylaxie prévue pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant, une autre n’avait plus de traitements depuis deux semaines ! Nous sommes allés voir les médecins qui nous ont confirmé ces informations. Pourtant ce n’est pas l’argent qui manque au Congo. Rien que pour 2008, le gouvernement a inscrit 4 milliards de francs CFA (6 millions d’euros) dans le budget pour l’achat notamment des médicaments anti-VIH. Sur cette somme, seulement
1,2 milliards F CFA (1,8 million d’euros) ont été débloqués à ce jour ! Cela sans compter l’argent du Fonds mondial.

Qu’avez-vous entrepris ?
La présidente du Réseau des associations de personnes vivant avec le VIH au Congo est intervenue à la télévision le 14 juillet 2008 pour lancer un ultimatum de 72 heures au gouvernement. La question a été inscrite à l’ordre du jour du Conseil des ministres du 16 juillet 2008. Nous avons effectué une visite à la centrale d’achat des médicaments et là, nous sommes tombés de très haut : alors que les médicaments prescrits au Congo étaient introuvables, quelqu’un avait commandé et payé, avec l’argent des Congolais, des médicaments que plus personne n’utilise, en l’occurrence de la Triomune 40. Il faut savoir que depuis 2007, l’Organisation Mondiale de la Santé recommande de ne plus l'utiliser à cause de ses très nombreux effets secondaires [mais d'utiliser la Triomune 30, ndlr].

Comment cette molécule s’est elle retrouvé au Congo ?
C’est ce que nous avons cherché à savoir. Seule la Congolaise des médicaments génériques [la Comeg, une centrale d'achats] est habilitée à commander et approvisionner le système de santé. Or là, c’est la Direction générale de la Santé qui a acheté 1 540 boites de T 40. Cette direction n’a pas le droit d’acheter des médicaments. Le plus grave est que ces achats auprès de CIPLA [un fabricant indien de génériques] pour 300 millions de F CFA (457 milles euros) ont été faits sans appel d’offre, sans facture, ni bon de commande et reçus à la Comeg sans documents de douane. Chacun en tirera les conclusions logiques.


Quelle a été votre réaction ?
Nous étions et nous sommes très en colère ! Nous avons d’abord demandé et obtenu la mise à l'écart de ce produit. Ensuite, nous avons pointé les responsabilités. Qu’un médecin, directeur général de la Santé, de surcroît président du Conseil d’administration de la centrale d’achats, se permette ce genre de chose, est inadmissible. Nous avons donc demandé sa démission le 11 septembre 2008  lors d’une réunion au Parlement. A quand la fin de cette irresponsabilité généralisée ? Des enfants sont nés avec le virus parce qu’il n’y avait pas de traitement pour la mère et l’enfant, des gens meurent faute de traitements. Pendant ce temps, l’argent des Congolais est utilisé pour acheter des médicaments que plus aucun Congolais ne prend. La moindre des choses, c’est que l’incompétence, pour dire le moins, soit sanctionnée. Pour l’instant, rien n’a été fait. A ce jour, nul ne sait ce que deviendront ces médicaments : retournés au fabricant ou détruits ? Quoiqu’il en soit, il convient de rester vigilants !

Quelles sont vos principales revendications actuellement ?
D’abord, c’est l’application réelle des mesures annoncées par le gouvernement, à commencer par la gratuité des examens. Ensuite, nous voulons une véritable transparence dans la gestion des fonds et l’approvisionnement et la distribution des médicaments. Avec les sommes en jeu, le manque de transparence favorise la constitution de “rentes” occultes qui “nuisent gravement à la santé”. C’est vrai au niveau des responsables, mais aussi dans les centres de soins. Lorsque les traitements sont indisponibles, il se trouve toujours un médecin qui vous demande de l’argent pour vous en trouver. Nous, organisations de personnes vivant avec le VIH, devons savoir qui paie quoi, avec quel argent, et comment c’est utilisé. Actuellement, nous sommes en train de négocier avec les autorités, la création d’un poste pour contrôler l’approvisionnement et la distribution des médicaments. Le poste sera occupé par un militant associatif.
Les Tchadiens l’ont déjà fait chez eux et nous croyons que ce serait une véritable avancée.


Lire aussi le témoignage de Valérie, la compagne de Thierry : “Comme si le virus  faisait perdre la qualité de citoyen...”

Propos recueillis par Mach-houd Kouton
Photos Mach-houd Kouton
Illustrations Yul studio