Drogues : le CNS fait la leçon !

Publié par jfl-seronet le 22.04.2011
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ToxicomanieCNS
Comme d’autres structures officielles, le Conseil national du sida (CNS) a été auditionné devant la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies. A cette occasion, le CNS a rendu public (6 avril) une "Note valant avis sur l’impact des politiques relatives aux drogues illicites sur la réduction des risques infectieux. Que dit le CNS ? Comment s’inscrit-il dans ce débat ? Questions et réponses.
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Comme d’autres, le Conseil national du sida (CNS) a bien constaté que, depuis 2009, "l’attention publique s’est focalisée (…) sur les salles de consommation à moindre risque" pour les personnes consommatrices de drogues par injection. Le débat a opposé "des associations de lutte contre les maladies infectieuses, des associations d’usagers, des professionnels de santé, des sociétés savantes et des élus locaux. Le débat, malgré la volonté du Premier ministre de le tuer dans l’œuf, a pris… Pour le CNS, ce débat qu’il juge "opportun (…) ne doit pas conduire à éluder la réflexion sur l’ensemble des politiques relatives aux drogues." Du coup, le CNS a planché sur le sujet en examinant "plus largement l’état actuel des politiques de santé des drogues illicites en France alors que s’expriment, au plan international et en France, des préoccupations très vives à l’égard de la situation sanitaire et sociale et des droits des usagers de drogues". Résultat, une passionnante note d’une dizaine de pages dont Seronet vous présente quelques extraits.

VIH et VHC, des chiffres qui exigent des solutions
De façon très nette, la note du CNS indique bien les enjeux de santé concernant les personnes consommatrices de drogues par injection. "Le nombre d’usagers de drogues dits problématiques, c’est-à-dire usagers par voie intraveineuse ou usagers réguliers d’opiacés, cocaïne ou amphétamines, compris entre 210 000 et 250 000 en France serait en hausse (…)  Les observations témoignent (…) de la progression de populations jeunes, peu au fait de la réduction des risques : d’une part une population socialement insérée présente notamment en milieu festif "techno", d’autre part une population précaire, soit en situation d’errance, soit établie dans des zones péri-urbaines ou rurales et marquée par une féminisation croissante", indique le CNS. Par ailleurs, "en dépit de la baisse de la progression de l’épidémie d’infection à VIH/sida chez les usagers de drogues, la prévalence des maladies infectieuses apparaît élevée dans ces populations. Le taux des nouvelles contaminations par le VIH/sida chez les usagers de drogues injectables de 18 à 69 ans est, en 2008, dix-huit fois supérieur à celui de la population du même âge hétérosexuelle. L’exposition des usagers de drogues au VHC demeure extrêmement forte. Une enquête [dans plusieurs villes], réalisée parmi près de 1 500 usagers de drogues ayant sniffé ou injecté une fois dans leur vie, recrutés dans les services d’accueil et de prise en charge des usagers de drogues et dans des cabinets de généralistes, établit la prévalence du VHC à 60%. Le nombre de nouveaux cas d’infections au VHC au sein de la population des usagers de drogues, ces six dernières années, n’est pas connu. Entre 1994 et 2004, le nombre de nouveaux cas aurait été compris entre 500 et 4 200 par an et connaît une tendance à la baisse. L’usage de drogues par voie intraveineuse restait en 2007 la première source de contamination par le VHC et les usagers de drogues représentaient la majorité des personnes récemment dépistées positives au VHC". Enfin, le Conseil national du sida note que "les pratiques à risque en lien avec l’injection sont importantes".

Réduction des risques : peut-on mieux faire ?
La réponse est clairement oui. "Les dispositifs de réduction des risques, particulièrement développés en France, présentent néanmoins plusieurs limites, note le CNS. Tout d’abord, les centres de réduction des risques ne sont pas présents sur l’ensemble du territoire. Vingt-six départements ne disposent pas de CAARUD [Centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues] (…) ensuite, la palette des outils de réduction des risques reste limitée. En 2007, les traitements de substitution aux opiacés (TSO) ont été mis à disposition d’environ 130 000 personnes (…) Les propositions de TSO demeurent insuffisamment diversifiées. Ainsi, l’héroïne médicalisée, c’est-à-dire la prescription d’héroïne avec une prise supervisée et réservée aux personnes présentant une dépendance sévère aux opiacés, n’est pas autorisée en France". Le CNS note aussi que "les enjeux liés à la réduction des risques en faveur de certaines populations, notamment les femmes, les jeunes, les personnes sous main de justice [personnes détenues] ne sont pas suffisamment pris en compte. La politique de réduction des risques en faveur des personnes sous main de justice est incomplète. Les personnes détenues usagères de drogues ne bénéficient pas de l’ensemble des dispositifs de réduction des risques accessibles en milieu libre, en particulier les programmes d’échange de seringues (PES). Elles ont un accès à l’eau de Javel, mais sa distribution n’est pas systématique, ni accompagnée de l’information utile en terme de réduction des risques. De plus, dans des conditions d’usage clandestin, l’eau de Javel est considérée comme une solution faible pour la décontamination du VIH et très faible pour celle du VHC. Les personnes détenues bénéficient également d’un accès aux TSO, mais celui-ci, bien qu’offert à 9% des personnes détenues, est très inégal (…) Cet accès limité est extrêmement préoccupant. Une grande partie des usagers de drogues suivis dans le cadre des structures thérapeutiques a connu au moins une incarcération dans sa vie. La prévalence des maladies infectieuses dans les établissements pénitentiaires demeure bien plus élevée qu’en milieu libre, supérieure à 1% pour le VIH, voisine de 3% pour le VHB et de 7% pour le VHC.

Répression : c’est la santé qui trinque ?

"La France a renforcé ces dernières années la répression des usagers simples de drogues, constate le CNS. En vertu de trois conventions internationales, les Etats signataires, dont la France, répriment le trafic de produits stupéfiants (détention, achat, distribution ou mise en vente) par des sanctions pénales lourdes de privation de liberté (…) La France a maintenu des sanctions pénales à l’encontre de l’usager, qui encourt jusqu’à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Elle a choisi, en outre, de diversifier sa réponse pénale pour éviter le classement sans suite et d’accentuer la répression devenue beaucoup plus systématique".
Conséquence ? "Le nombre de condamnations pour infraction à la législation sur les stupéfiants a doublé entre 2002 et 2008 et celui pour usage simple a quadruplé ces vingt dernières années (…) Plus de 3 000 condamnations à une peine d’emprisonnement ferme pour usage simple ont été prononcées en 2008. Cette évolution des procédures judiciaires à l’encontre des usagers de drogues illicites résulte de l’augmentation spectaculaire du nombre d’interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants, multipliée par 60 depuis 1970 et par deux ces dix dernières années".
Mais combien coûte cette politique ? "Le coût des politiques répressives relatives aux drogues illicites a donné lieu en 1998 à une estimation établie notamment à partir des crédits votés dans le cadre de la loi de finances de 1995. Le coût budgétaire des dépenses publiques imputables aux drogues illicites engagées par les services judiciaires, l’administration pénitentiaire, les douanes, la gendarmerie et la police nationale, les services des ministères des affaires étrangères et de la coopération et par la contribution de la France aux programmes européens s’élevait à 588,84 millions d’euros. Aujourd’hui, il est à craindre que le coût de la politique répressive n’ait très fortement augmenté, sous l’effet conjugué de l’augmentation des interpellations (+93% depuis la date de l’évaluation) et des condamnations (…) dans les affaires d’usage simple. A titre de comparaison, le coût de la prise en charge et de la réduction des risques des usagers de drogues s’est élevé en 2009 à 291 millions d’euros. Ce montant couvre les dispositifs en faveur de l’ensemble des usagers de drogues, y compris les usagers de drogues licites qui constituent une grande partie des bénéficiaires de l’action publique. Le coût du dispositif de CAARUD [Centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues] qui s’adresse plus spécifiquement aux usagers de drogues illicites s’élevait en 2009 à 30,8 millions d’euros".

Nouveaux enjeux : qui bougera le premier ?

Malgré de sérieuses imperfections et une législation relative aux drogues défavorable, la politique de réduction des risques "conçue en France dans les années 1990 a permis, face à la diffusion massive de l’héroïne et la multiplication des pratiques à risque, d’endiguer significativement l’épidémie d’infection à VIH/sida au sein de la population d’usagers de drogues injectables. Ces résultats témoignent de la forte mobilisation collective de nombreux acteurs, y compris des pouvoirs publics". Ça, c’est le bon point. Mais, constate le Conseil national du sida : "Aujourd’hui, la mobilisation ne connaît pas une ampleur comparable. Les pouvoirs publics ont conforté les dispositifs existants de réduction des risques en faveur des usagers de drogues, mais peinent à mettre en place des programmes d’échange de seringues en milieu carcéral et sont réticents à autoriser de nouvelles stratégies ayant pourtant montré leur efficacité dans d’autres pays, comme les centres d’injection supervisés (CIS) ou la prescription d’héroïne médicalisée. Aucun nouveau dispositif de réduction des risques n’a été adopté en dépit des recommandations des institutions internationales. Au surplus, la répression à l’encontre des usagers s’est considérablement accrue et n’a été accompagnée d’aucune évaluation de son impact réel sur la politique de réduction des risques". Pour le CNS, cette attitude pose question. Le CNS demande donc qu’on interroge "l’impact de la politique répressive à l’encontre des usagers simples sur la consommation des drogues illicites et sur le fonctionnement optimal des dispositifs de réduction des risques". Le Conseil note que "l’augmentation des mises en cause pour usage n’a permis d’entrainer ni une hausse significative du prix des produits stupéfiants, ni une baisse de la consommation de drogues illicites. En revanche, la politique répressive est susceptible de renforcer la clandestinité des pratiques et la vulnérabilité des personnes, en particulier les usagers problématiques, et d’entraver l’évolution d’une offre de réduction des risques pragmatique et adaptée sur l’ensemble du territoire". Il souligne donc "la nécessité de renforcer et de diversifier à très court terme les dispositifs sanitaires et sociaux, notamment l’offre de réduction des risques infectieux".