Licence to kill ?

Publié par jfl-seronet le 07.02.2011
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droit au séjour pour soinsdiscrimination
C’est aujourd’hui que le Sénat se prononce sur l’article 17 ter du projet de loi Immigration et Intégration. Après l’attaque contre l’AME, cette restriction restreint dramatiquement le droit au séjour pour soins des personnes étrangères gravement malades. Le 31 janvier, médecins, personnalités de la lutte contre le sida et des droits à la santé des étrangers, parlementaires (de gauche) ont participé à une conférence de presse au Sénat. Seronet y était.
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Elle a souhaité bon courage aux militants agglutinés parmi les journalistes dans la petite salle bondée au sous-sol du Sénat. D’une voix triste, Alima Boumediene-Thiery a expliqué qu’elle resterait engagée contre ce projet, la loi Immigration et Intégration, et souhaité que son remplaçant face de même. L’actuelle sénatrice Europe Ecologie Les Verts n’a pas été désignée par son parti pour se présenter pour un second mandat. Elle passera la main à l’automne. En attendant, elle remplit à plein son mandat. C’est à son initiative qu’on doit l’organisation d’une conférence de presse, fin janvier, en partenariat avec l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), sur la réforme du droit au séjour pour raisons médicales. La date du 31 janvier a été bien choisie ; à trois jours de l’ouverture au Sénat des débats sur le projet de loi Immigration et Intégration. Initialement, ce texte ne devait pas traiter du droit au séjour pour soins. C’est grâce à un tour de passe-passe, pas élégant mais autorisé, que l’actuelle majorité a réussi, in extremis, a glissé un amendement  gouvernemental créant l’article 17 ter de la loi Immigration et Intégration. C’était, en mars 2010, à l’Assemblée nationale. A ce moment-là, le projet de loi est défendu par Eric Besson, ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale. L’amendement est déposé par le député UMP Thierry Mariani, alors rapporteur du texte. Aujourd’hui, Thierry Mariani est ministre. Il s’occupe… des transports, et pas seulement des charters !

En mars 2010, à l’Assemblée nationale, personne ne voit venir le sale coup de l’amendement. Aujourd’hui (mais tout pourrait changer avec le nouveau texte), la loi garantit dans des conditions strictes un droit au séjour pour les étrangers résidant en France atteints d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité qui ne peuvent "effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans leur pays d’origine". Comme le rappelle l’ODSE, cela veut dire que l’admission au séjour en France dépend "des possibilités concrètes pour la personne résidant en France d’accéder à une prise en charge médicale, en fonction non seulement des traitements disponibles dans son pays d’origine, mais aussi de l’état des structures sanitaires de ce pays, de l’offre quantitative de soins et de leur couverture territoriale, du manque de personnel médical, des ruptures fréquentes de stocks, des possibilités d’accès à une protection sociale, etc." Le dispositif est très encadré. L’amendement du gouvernement (aujourd’hui, c’est l’article 17 ter de la loi) propose de remplacer les termes "défaut de bénéfice effectif" par celui d’"indisponibilité" du traitement.  Cela n’a l’air de rien sur le papier, mais cela change tout dans les faits.

C’est ce que s’emploient à démontrer plusieurs intervenants, dont le professeur Willy Rozenbaum, président du Conseil national du sida (CNS), et le professeur François Bourdillon, président de la Société française de santé publique (SFSP), lors de la Conférence de  presse le 31 janvier. Dès la sortie de l’amendement Mariani, le CNS s’est mobilisé. "Au début, l’amendement parlait d’"inexistence" du traitement, rappelle le professeur Willy Rozenbaum. Puis le gouvernement a adouci cette rédaction en proposant d’y substituer le terme d’"indisponibilité"… Ce terme serait pour clarifier les choses. Il nous paraît qu’il met encore plus le trouble sur le sujet." "Aujourd’hui, tous les traitements existent dans tous les pays, mais ils sont loin de bénéficier à tous", note le professeur Rozenbaum. Pour lui, les problèmes posés par l’article 17 ter sont nombreux. Le premier étant que cette mesure est en "pleine contradiction" avec le Plan national de lutte contre le VIH/sida 2010/2014. Le Plan pousse au dépistage et incite aux soins les personnes immigrées, les décisions prises vont dans le sens contraire. Selon lui, il est indispensable que le gouvernement se base sur des "éléments rationnels et pas idéologiques". "On nous dit qu’il y a plus de cartes [pour soins] données aujourd’hui. Ce qu’on observe ces dernières années, c’est plutôt une stagnation voire une diminution", constate celui qui est aussi praticien hospitalier. Pour le président du CNS, cette décision est "idéologique" et n’a rien à voir avec la santé publique. "Il existe aujourd’hui un équilibre qui a été construit pour prendre en compte les problèmes de santé des personnes immigrées, indique le professeur François Bourdillon de la SFSP. Faire croire qu’il y a une migration sanitaire de personnes malades qui viennent en France pour bénéficier d’un dispositif particulièrement attrayant, c’est mal connaître l’immigration. Immigrer, c’est très complexe, très difficile. En général, lorsqu’on est malade et fatigué, on ne migre pas. Les statistiques le montrent : aujourd’hui la migration sanitaire, même si elle existe ponctuellement, reste extrêmement marginale par rapport aux raisons majeures d’immigration". Responsable au Comede (Comité médical pour les exilés), le docteur Arnaud Veïsse rappelle que la plupart des maladies ne sont effectivement pas détectées dans le pays d’origine, mais bien en France.

Sénateur PS, Richard Yung fait partie de ceux qui sont en première ligne contre cet article. "Nous sommes contre la rédaction qui est proposée (…) qui permet une interprétation extrêmement large des conditions dans lesquelles une telle carte peut être accordée et qui pourrait aboutir à ce qu’il n’y ait quasiment plus de cartes pour soins délivrées. En fait, ce serait selon l’humeur des autorités, des préfets et éventuellement des consuls de France puisqu’on irait les interroger pour savoir si l’accès aux soins était possible dans le pays de la personne concernée. Bien sûr qu’à Ouagadougou [capitale du Burkina Faso], on peut avoir tous les soins qu’on veut. Simplement, ce n’est possible que dans des cliniques privées extrêmement couteuses." Collègue de combat, Alima Boumediene-Thiery dénonce "une loi qui pénalise les plus précaires, qui stigmatise les malades. C’est une mesure dont nous n’avons pas besoin et dont notre République ne peut être fière".

Fierté ! Manifestement la notion échappe un peu au gouvernement. En effet, ce dernier n’hésite pas pour justifier l’article 17 ter à avancer des chiffres tronqués et des arguments mensongers.  Ainsi, on entend souvent la majorité dire que le nombre de personnes régularisées pour soins serait "incontrôlable". Pas du tout, si on en juge par les chiffres officiels du Comité interministériel de contrôle de l’immigration. "Le nombre d’étrangers qui se prévalent de leur état de santé pour être admis au séjour s’est stabilisé en 2008" autour de 28 000 personnes, représentant seulement 0,8 % des 3 500 000 étrangers en situation régulière vivant en France, avec "depuis 2004 une diminution significative du nombre d’étrangers malades" régularisés pour la première fois à ce titre. Autre explication avancée par le gouvernement, cela coûte cher de régulariser et de soigner des personnes étrangères malades. Pourtant se soigner efficacement permet à la majorité des personnes concernées de vivre normalement et de travailler légalement. "Le non recours aux soins et la prise en charge tardive auront pour conséquence des complications et surcoûts hospitaliers, en contradiction totale avec les programmes et objectifs de santé publique", avance l’ODSE. Mais le péril de l’article 17 ter n’est pas qu’économique, il est d’abord humain.

La Société Française de Santé Publique, représentant une grande partie du corps médical français, dénonce ainsi cette mesure. En matière de lutte contre le VIH, celle-ci est contraire à "la politique de dépistage dont le but est d’identifier la maladie pour proposer une prise en charge et un traitement. Sans être assuré de pouvoir bénéficier d’un traitement, quel intérêt pourrait-il y avoir à se faire dépister et, qui plus est, de risquer de se faire renvoyer dans son pays d’origine ?" Le Conseil national du sida souligne que la présence en France de personnes malades "non traitées ou mal traitées constitue un risque supplémentaire de dissémination de maladies infectieuses dans la population générale". "En situation de clandestinité, toutes les enquêtes épidémiologiques et sociologiques le démontrent, les individus abandonnent, contre leur gré, leurs traitements réguliers, ils renoncent au dépistage et ils fréquentent moins les hôpitaux. Non seulement leur santé individuelle en pâtit, mais l’exclusion des lieux de prévention et de soin augmentera les risques de contamination, de contagion et d’épidémie pour l’ensemble de la société", avance un collectif de 900 médecins mobilisé contre cet article. Les arguments sont frappés au coin du bon sens. Pourtant, rien ne semble pouvoir faire changer les vues du gouvernement. On peut sans doute lui rappeler que l’objectif de la loi de 1988 qui avait créé le titre de séjour pour raisons médicales avait pour objectif d’éviter "qu’un refus d’admission au séjour en France ne signifie la condamnation à mort d’une personne malade." Manifestement, cet objectif pourrait ne plus être d’actualité. A suivre.
Plus d’infos sur le site de l’ODSE.