Vous avez dit pénalisation ?

Publié par Costa le 13.02.2009
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justice et VIH
"Pensez-vous que ce soit une bonne idée d'emprisonner les gens qui, se sachant porteurs du VIH, l'ont transmis à leurs partenaires sexuels qui, eux, ignoraient cette séropositivité ?": interrogés dans le cadre d'une étude publiée par Sigma Research, la majorité des homosexuels du Royaume-Uni ont répondu par l'affirmative.

Intitulée « Sexually charged », cette enquête montre, en effet, que 57% des gays interrogés sont favorables aux poursuites et à l'emprisonnement des personnes qui auraient imprudemment transmis le virus à leurs partenaires sexuels. Seuls 18% des quelque 8 000 homosexuels interrogés en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, s'y sont déclarés opposés, 26% n'ayant pas d'opinion arrêtée sur le sujet. De grandes différences apparaissent cependant selon le statut sérologique des personnes ou leur proximité avec la maladie.

Alors qu'une majorité de séronégatifs (57%) se déclarent favorables à l'emprisonnement, les hommes n'ayant jamais subi de test de dépistage soutiennent cette idée encore plus largement (64%). Une étude menée en 2006 avait déjà montré que ces derniers étaient moins susceptibles de connaître personnellement un séropositif, et qu'ils avaient souvent le sentiment que le VIH ne faisait pas partie de leur cercle social et de leur vie quotidienne. Des « pro pénalisation » souvent plus jeunes (moins de 30 ans) et moins éduqués. Si 49% des séropositifs ont, à l'inverse, répondu "non" à la question posée - sans doute  parce que, comme le soulignent les auteurs, ils envisagent plus facilement ces poursuites du point de vue de la personne mise en cause - seuls les hommes déclarant plus de 30 partenaires sexuels par an étaient majoritairement (54%) opposés aux poursuites, même une fois exclus les séropositifs. L'opposition semble ainsi augmenter avec le nombre annuel de partenaires sexuels des répondants.


Les « pour »

Principal argument avancé par les personnes favorables aux poursuites pour expliquer leur position : le préjudice physique et moral causé par la transmission du VIH. Nombreux sont en effet ceux qui insistent sur le risque de mort découlant, selon eux, de l'infection, allant même, pour certains, jusqu'à assimiler la transmission du VIH à un meurtre. Un homme de 22 ans n'ayant jamais été dépisté estime ainsi qu'"avoir des relations sexuelles avec quelqu'un quand on se sait séropositif sans lui dire est une des pires chose que l'on puisse faire", un acte selon lui passible de "la peine de mort". Généralement sceptiques sur l'efficacité des traitements, ils gardent une vision très stigmatisante de l'infection à VIH, et laissent aux seuls séropositifs la responsabilité de la prévention de la transmission. Nombre d'entre eux pensent ainsi qu'être informé de leur statut sérologique par les séropositifs leur permettrait d'évaluer les risques et de les éviter. "Une fois qu'on a contracté le virus, c'est de sa responsabilité de s'assurer de ne pas le transmettre", déclare un autre participant. Les séronégatifs n'auraient donc qu'à faire l'autruche pour le rester... Et pourtant... Seuls quelques répondants pensent paradoxalement que les poursuites permettront de réduire la transmission du VIH, tout en s'inquiétant de la fausse sécurité créée par l'idée que les séropositifs révèleraient à l'avenir leur statut à leurs partenaires. Quel intérêt, dès lors, de les poursuivre ???


Et les autres

Un point de vue que ne partagent évidemment pas les 18% d'hommes opposés à l'emprisonnement qui estiment - logiquement - que la prévention doit être partagée par les 2 partenaires et que celui qui attrape le virus lors de relations sexuelles doit aussi en assumer la responsabilité. Pour la moitié d'entre eux, la prison n'est donc pas la solution : "Ce n'est pas une bonne idée, c'est réactionnaire". Certains craignent, par ailleurs, l'impact négatif de telles poursuites sur l'épidémie, estimant notamment que cela va accroître la stigmatisation et la discrimination entourant le VIH, ou que le risque d'être poursuivi fasse renoncer au dépistage. "Vivre avec le virus est déjà assez dur pour ne pas emprisonner les gens qui l'ont", estime un des participants aussitôt repris par un autre : "On n'enferme pas les gens parce qu'ils transmettent un rhume, la grippe ou d'autres virus. Les poursuites judiciaires sont un nouvel exemple du préjudice subi par les personnes atteintes."

Reste le quart d'« indécis » qui expliquent que cela dépend des circonstances, et dont un tiers des réponses suggèrent qu'ils entretiennent des doutes importants sur l'intérêt d'emprisonner les personnes atteintes. Une peine trop sévère pour la plupart d'entre eux, même si certains estiment les poursuites justifiées en cas de transmission volontaire.


Un important challenge

Des résultats qui suscitent donc nombre d'interrogations - et d'inquiétudes - chez les chercheurs ayant réalisé l'enquête. Alors qu'on aurait pu penser que les hommes favorables aux poursuites et à l'emprisonnement y voyaient un impact positif sur l'épidémie, ils ne sont, en effet, que 4% à estimer que cela permettra de réduire le nombre de personnes atteintes. Diminuer l'incidence n'est donc pas l'objectif premier des « pénalisateurs ». Mettant en doute l'efficacité des traitements, ils associent un diagnostic positif à une maladie rapide et à une mort certaine, pensant du même coup pouvoir identifier « à l'œil » les personnes atteintes. Ils n'envisagent donc pas qu'un partenaire sexuel attractif et ayant l'air en bonne santé puisse être atteint. Un réel problème quand on sait qu'un tiers des homosexuels ignorent encore leur statut sérologique et que beaucoup de ceux qui se savent séropositifs n'iront pas forcément le dire à leurs partenaires. Attendre des séropositifs qu'ils révèlent leur statut sérologique avant tout rapport sexuel confère en outre au diagnostic des éléments de culpabilité. Un raisonnement qu'on pourrait résumer par "s'il ne me dit pas qu'il l'a, c'est qu'il ne l'a pas", qui suggère que les séronégatifs n'auraient aucun rôle à jouer pour se prévenir de l'infection. Et une réelle inquiétude pour les auteurs qui soulignent que, se croyant ainsi « virtuellement » protégés par la loi, les « pénalisateurs » continueront donc à prendre des risques. Ignorant tout de la possibilité de « vivre bien » avec le virus, ils blâment par ailleurs sans distinction tous ceux qui, se sachant atteints, pourraient transmettre le virus à d'autres. "Le niveau évident d'incompréhension de la réalité de la vie avec le VIH et la peur et le dégoût avec lequel ces hommes caractérisent les « autres » hommes gays ou bisexuels constituent un des plus importants challenges de notre combat face à la maladie", estiment ainsi en conclusion les auteurs de l'enquête qui dénoncent en écho l'absence totale - ou presque - de communication publique sur le sujet depuis l'adoption, en 2001, de lois pénalisant la transmission du VIH au Royaume-Uni : "La seule information dont disposent les homo et bisexuels est celle fournie à l'occasion des procès par les médias qui dressent le portrait de gens « méprisables » ayant « délibérément » contaminé d'autres personnes." Des résultats qu'on aurait certes attendus en population générale, mais qui laissent cependant pantois lorsqu'il s'agit d'homosexuels, un groupe réputé bien informé et des moyens de transmission et des moyens de prévention.

L'étude en langue anglaise est consultable sur le site de Sigma Research.

Voir aussi l'article publié en anglais sur AIDSmap

Crédit photo : FotoRita [Allstar maniac]

Commentaires

Portrait de ccedille

La pénalisation de la transmission du vih est une grave dérive démagogique, archaïque et faussement sécurisante - ceux là même qui y sont favorables pensent dans le même temps qu'adopter cette position n'empêcherait pas la contamination, ce qui bien évidement, est corroboré par n'importe quelle observation épidémiologique de base : la pénalisation entraîne la crainte des poursuites qui provoque un frein au dépistage et les données maintenant bien établies montrent toutes que la majorité des contaminations sont le fait de séropositifs qui s'ignorent, très souvent en période de séroconversion (charge virale très importante) et que la contamination par des séropositifs sous ART est résiduelle - ce qui évidement en termes de santé public auraient le même effet que la peine de mort , cela ne réduit pas le risque bien au contraire cela augmenterai la tendance de chacun à refuser un test de peur d'être pénalement responsable - réaction tout à fait logique. ll est consternant, et le mot est faible, de constater que la dérive sécuritaire et moralisante sur le mode bi-polaire : les bons - les méchants , s'étend à des personnes qui sont avant tout des patients sous traitements !! Il est consternant que des séropositifs eux mêmes partagent cette opinion et qu'ils ne se rendent pas compte qu'approuver cette pensée c'est scier la branche sur laquelle ils sont assis : la prise en charge, l'accès aux soins, le droit au respect du secret sur leur lieu de travail, la réduction de la stigmatisation systématique. On ne peut accepter la pénalisation au nom de quelques cas spectaculaires et avérés de contamination préméditée et consciente, on en voit les limites dès les premiers procès : l'incertitude sur l'origine de la contamination inhérente à sa nature qui relève de la sphère intime, et qui ne peut ne peut être prouvée de façon irréfutable puisqu'un rapport sexuel concomitant ou antérieur à celui en cause reste possible est éludée. Le juge se substitut à la morale est applique une forme d'intime conviction que la personne contaminée est de bonne foi dès lors qu'elle invoque son ignorance sur le statut de son partenaire. Je plains sincèrement ces requérant qui sont maintenant dans le même bateau que tous les séropositifs et qui devront affronter les mêmes difficultés quotidiennes, y compris celle de vivre leur sexualité à venir en révélant bien entendu dès leur premier rapport leur statut. Ils ont pour seule satisfaction passagère celle d'avoir obtenu une vengeance mais pas réparation contrairement à ce que la justice leur à fait croire car une maladie est une partie qui se joue tous les jours avec l'aide des autres et pas contre le passé. Leur procès aura servi de pâture à une société bien pensante , soucieuse d'ordre et en recherche de bouc émissaires, ce sont eux les gagnant de cette pénalisation.
Portrait de Traitdunion

C'est lamentable la vitesse dont la société est en regréssion . Double peine pour nous , homos et pour les trans aussi . Décidement la lutte contre le Sida est indissociable de la politique et indispensable à nous de la veiller et la militer car la société hétérocentriste et hétérosexiste avance à grands pas dans le valeurs morales et religieux . Et pour cet là je trouves que AIDES et ACT UP devraient se fusionner pour donner plus de force à notre Vie , on a besoin de Vitamines pour confronter cette société que prends des habitudes de moraliser , d'expulser , de juger et de condamner .
Portrait de ccedille

Pour finir, car cette histoire de pénalisation me mets hors de moi, j'ajouterai que qu'il est pire de constater que des homosexuels (peu importe leur statut sérologique) puisse être favorable à la pénalisation. Comment peut on oublier que justement l'homosexualité a été pénalement réprimée jusqu'à une époque récente, et le plus souvent de façon violente voir cruelle, comment peut on manquer à ce point, je ne parle même pas de solidarité, mais de conscience sur son propre statut dans la société , comment peut on s'imaginer une seconde que les droits sont acquis définitivement et que justement la pénalisation du séropositif n'est pas la fenêtre qui permet à ceux qui pénalisait autrefois l'homosexualité de revenir en force sur le terrain de la morale sexuelle. Les gays sont gagnés par l'individualisme galopant. Je ne sais s'ils sont devenus stupides ou s'ils ne veulent plus admettre leur différence qui fait leur richesse. Ils s'imaginent qu'un statut sérologique négatif et un bon niveau de vie leur attirent un respect et une acceptation spontané. Ils se trompent, le brillant oscar wilde, enfant de très bonne naissance britannique a passé 2 années aux travaux forcés pour avoir simplement voulu vivre .
Portrait de ccedille

Entièrement d'accord trait d'union, pénaliser c'est déplacer le débat , c'est déposséder les gays, les séropos, les trans et tous ceux qui souhaite vivre de la possibilité de revendiquer leurs droits. La justice n'a pas à se mêler de le vie sexuelle, en essayant d'imposer la pénalisation de la transmission du vih, louable intention de prime abord , la société reprend ce qu'elle a donné, la liberté sexuelle. C'est une codification masquée des comportements qui se mets en place . Il faut la refuser.
Portrait de vincent58

pensez vous que si nous menions une enquête en france nous aurions des résultats très différents ??
Portrait de Trudy Q

tu verras le résultat , et tu seras surpris ! en France les uns defendents les pratiques des autres dont ils ne pratiquent pas forcement , sinon , ça n'appelerais pas république . Il y a oui une différence .
Portrait de avion

A la différence d'un "village", ou se regroupe de manière spontanée, acceptée et non-étanche, une communauté, par exemple les villages gays que l'on trouve dans beaucoup de capitales démocratiques, le ghetto est une mise à l'écart autoritaire et concentrationnaire, tel qu'inauguré en Pologne avec le premier ghetto juif par les nazis. Ceux qui prônent la pénalisation savent très bien qu'une majorité d'hommes et de femmes : 1. sont incapables d'avoir des relations sexuelles exemptes de risques de façon systématique, donc prennent des risques parfois, régulièrement, voire toujours. 2. que la majorité des personnes séropositives sont dans l'impossibilité de déclarer à leurs partenaires leur statut vih+, pour des raisons multiples, personnelles, familiales, professionnelles. Résultat, nous sommes censés avoir peur, et ne plus rechercher qu'à rencontrer des personnes séropositives, par crainte d'être poursuivis, ou bien nous borner à baiser dans l'anonymat complet des bordels et des backrooms, pour éviter tout risque de reconnaissance, ou encore refuser toute connaissance de son statut vih et donc vivre sans soins avec des charges virales d'autant plus fortes. Tout ceci conduit à une ghéttoïsation malicieuse qui condamne les personnes vih+ à des univers concentrationnaires modernes, propices à l'isolement, la négligence, la stigmatisation, le parckage. La grosse bête avait parlé de mettre les "sidéens" dans des "sidatoriums", bien à l'écart du reste du monde, peut-être l'aviez-vous oublié, c'était dans les années 80. Au moins, il avait le mérite de déclamer son horrible engagement sans les vices d'un soi-disant détour démocratique supposé protéger de pauvres victimes si pures qu'elles n'auraient même pas conscience que le sida existe ailleurs que dans des bocaux de formol !