Bouclier sanitaire : le retour ?

Publié par jfl-seronet le 31.01.2011
1 704 lectures
Notez l'article : 
0
 
bouclier sanitaire
Le moins que l’on puisse dire est que le bouclier sanitaire est un sujet aussi polémique que discret. Et pourtant la piste est sérieuse puisque l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) a planché en juin 2010 sur l’impact qu’aurait sa mise en place et qu’il existe une proposition de loi sur le sujet. Seronet fait le point.
bubble.jpg

Qu’est-ce que le bouclier sanitaire ?
Le bouclier sanitaire a pour objectif d'instituer un plafond uniforme, le même pour tous, ou proportionnel au revenu, des restes à charge (appelés aussi RAC) qui sont supportés par les personnes sur la dépense remboursable. Selon ce système, en dessous du seuil, les tickets modérateurs et les participations forfaitaires resteraient à la charge de l'assuré ; au-delà, l'assurance maladie lui garantirait une couverture intégrale. Autrement dit, le bouclier sanitaire consiste à remplacer les tickets modérateurs, les franchises (un euro par consultation, etc.) et autres forfaits (18 euros par acte médical de plus de 90 euros) par un plafonnement des remboursements. En dessous de 3 % à 5 % (le taux n’est pas encore fixé) du revenu fiscal d’un ménage, les dépenses de santé ne seraient pas remboursées. Au-dessus de ce seuil, elles seraient intégralement remboursées par l’Assurance-maladie. Par exemple, un ménage de salariés ayant un revenu fiscal annuel de 30 000 euros ne percevrait aucun remboursement de l’Assurance-maladie pour des dépenses de santé inférieures à 900 euros par an (3 % du revenu) ou 1 500 euros (5 % du revenu) ! Ces dépenses resteraient à sa charge (reste à charge) ou à celle de sa mutuelle. En théorie, le bouclier sanitaire (selon un rapport officiel de 2007) a pour objectifs : une meilleure protection pour certains ménages aux revenus modestes, un ciblage de la prise en charge à 100 % sur les seuls assurés qui supportent des restes à charge élevés, un meilleur pilotage des dépenses de santé, une amélioration du suivi des maladies chroniques, etc. Des systèmes de plafonnement des restes à charge équivalents existent en Belgique et en Allemagne. Le bouclier sanitaire à la française est une idée, lancée en 2007 par Martin Hirsch qui était alors Haut-commissaire aux Solidarité actives dans le gouvernement Fillon.

Que se passe-t-il du côté politique sur ce dossier ?
Pour le moment, il n’y a pas de grandes initiatives publiques à part l’annonce par le Premier ministre de l’ouverture d’une concertation nationale sur la protection sociale qui devrait associer les partenaires sociaux, les professionnels de santé, les complémentaires santé et les collectivités territoriales. Dans son discours à l’Assemblée nationale (novembre 2010), François Fillon indiquait que cette concertation "devra examiner les voies et les moyens de réguler les dépenses de santé, de fixer la part des régimes obligatoires et complémentaires, et de diversifier les modes de financement". Le bouclier sanitaire pourrait en faire partie, d’autant qu’il existe une proposition de loi de Jean-Pierre Door (député UMP, spécialiste de la Sécurité sociale et auteur d’un rapport sur les ALD) visant à instituer un bouclier sanitaire en fonction du revenu. Elle a été déposée en décembre 2010.

Quel constat fait le député auteur de cette proposition de loi ?
"De l’avis général, l’architecture financière de notre système d’assurance maladie solidaire est aujourd’hui à bout de souffle, écrit le député UMP Jean-Pierre Door. Pour limiter les déficits récurrents des caisses, les pouvoirs publics ont pris, année après année, des mesures d’économie qui ont pesé sur l’ensemble des acteurs du système de santé, sans épargner les assurés. Si chacune de ces mesures, prise à part, n’a pas eu un impact considérable sur le taux de prise en charge de la dépense de santé par la solidarité nationale, leur accumulation n’en a pas moins pour effet d’accroître de façon significative le  reste à charge des assurés. Ces  restes à charge sont devenus massifs (…) 12 milliards d’euros par an pour les soins de ville et à 2,5 milliards d’euros pour les soins hospitaliers, ce qui représente, pour chaque assuré, 200 euros par an pour les soins de ville et 45 euros pour les soins hospitaliers. La part de la consommation de soins et de biens médicaux laissée à la charge des assurés est ainsi passée de 8,4 % en 2004 à 9,4 % en 2009."  Par ailleurs, note le député, les restes à charge "les plus importants pèsent sur les personnes les plus malades, et ce, malgré la suppression du ticket modérateur accordée au titre des affections de longue durée (ALD)". Un rapport de 2007 indiquait "que le taux de personnes ayant un reste à charge annuel supérieur à 500 euros pour les soins de ville s’élève à 15,9 % parmi les assurés en ALD, contre 8,8 % pour les autres assurés. Ce montant atteint près de 1 500 euros par an pour les 5 % des assurés en ALD qui ont les restes à charge les plus élevés (…) Ainsi, le régime des ALD ne neutralise plus les restes à charge les plus élevés."


En quoi consiste cette proposition de loi ?
Dans l’exposé des motifs ( les raisons pour lesquelles il présente ce texte), Jean-Pierre Door avance qu’une "part de plus en plus grande des acteurs et des observateurs de notre système de santé [plaide] en faveur d’un dispositif qui limite le reste à charge des assurés à un plafond établi en fonction du revenu des assurés. Loin de remettre en cause le caractère solidaire du financement de notre système de santé, le bouclier sanitaire s’inscrit pleinement dans l’esprit du pacte de 1945 qui a présidé à la fondation de notre sécurité sociale : que chacun soit couvert contre les risques à hauteur de ses besoins, et mis à contribution en fonction de ses moyens."
La proposition de loi de Jean-Pierre Door "tend à instituer un bouclier sanitaire, qui se substituerait à la trentaine de dispositifs d’exonération du ticket modérateur existant à ce jour, résultat d’une addition de mesures sans véritable cohérence d’ensemble". Deux écueils apparaissant, le texte prévoit une régulation des dépassements d’honoraires  "pour éviter que la protection offerte par le bouclier sanitaire ne soit limitée". Il prévoit également "pour prendre le relais des protocoles de soins établis dans le cadre du régime des ALD, auquel le bouclier sanitaire se substituerait (…) de mettre en place un système de suivi des maladies chroniques reposant sur le médecin traitant".

Mise en place du bouclier sanitaire : que dit l’étude de l’Irdes ?

Il faut d’abord comprendre qu’il existe en France une différence entre les dépenses de santé et les remboursements de l’Assurance maladie bien qu’une grande partie des dépenses de santé soit prise en charge par le système d’Assurance maladie obligatoire, cette différence débouche sur des restes à charge. Des restes à charge qui sont de plus en plus importants. L’Irdes (Institut de recherche et documentation en économie de la santé)  a testé deux types de plafonnement des restes à charge. Elle a ainsi simulé le remplacement du dispositif actuel de remboursement à 100 % des malades en affection de longue durée (ALD) par l’instauration de deux plafonnements appliqués à l’ensemble des assurés sociaux (hors personnes bénéficiaires de la CMU : couverture maladie universelle) sur les remboursements de leurs dépenses de santé (hors hôpital et dépassements d’honoraires). Dans le premier cas, c’est le même plafonnement pour tout le monde. Dans le second, il s’agit d’un plafond proportionnel au revenu.
Dans la situation actuelle, le reste à charge moyen par patient est de 223 euros. Le montant maximum des restes à charge pour une personne s’élève à 3 607 euros. Faibles pour la majorité des personnes, les restes à charge se concentrent sur un petit nombre de personnes : 10 % des personnes supportent 40 % des restes à charge. Avec le bouclier uniforme, le plafond annuel s’élève à 544 euros. Une telle mesure fait plus de perdants que de gagnants.  Avec  le bouclier dont le plafond est proportionnel au revenu, le reste à charge maximum est de 3 638 euros. Il est plus élevé que dans la situation actuelle, mais avec ce modèle, il y a plus de gagnants que de perdants. La redistribution des restes à charge est alors plus forte quand les revenus sont considérés et elle est alors plus importante pour les personnes en ALD que pour celles qui ne le sont pas.


Plus d’infos sur la proposition de loi sur le bouclier sanitaire sur www.irdes.fr