Cannabis : l’écran de fumée du PS

Publié par jfl-seronet le 07.07.2012
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La déclaration de Cécile Duflot, ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, sur le cannabis (5 juin) aura eu de nombreux effets "positifs". Elle aura permis de vérifier à quel point l’UMP se "shoote" à la morale et de voir que le PS est sur le mode de la sidération lorsqu’on aborde la question du cannabis et plus largement la politique en matière de drogues. Etat des lieux des positions et des réflexions qu’a suscitées cette déclaration.
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Cécile Duflot y va franco
Interrogée sur la dépénalisation du cannabis, le 5 juin lors d’une interview politique sur RMC-BFM TV, Cécile Duflot, la ministre de l'Egalité des territoires et du Logement, indique, en s’exprimant en tant que responsable d’Europe Ecologie Les Verts (elle a depuis été remplacée par Pascal Durand à la tête d’EELV) qu’elle est favorable à la dépénalisation du cannabis. "C'est la position d'Europe Ecologie-Les Verts. Notre objectif est double. C'est de faire baisser le trafic et d'avoir une politique de santé publique. Il faut considérer que le cannabis, c'est comme l'alcool et le tabac, même régime". D’ailleurs, le programme porté par Eva Joly lors de la présidentielle indique : "Afin d'assécher les réseaux de trafiquants, l'usage du cannabis sera légalisé et encadré, et son commerce sera réglementé". Cécile Duflot précise d’ailleurs dans l’interview qu’elle "sait que ce n'est pas la position du gouvernement". C’est clair… on pourrait en rester là… mais voilà la sortie a lieu en pleine campagne des élections législatives. Succès immédiat et polémique de grande ampleur.
 
L’UMP en mère fouettard !
Comme toujours, l’UMP dégaine dès qu’elle entend le mot cannabis, surtout lorsque le terme est prononcé par un écolo. Cette fois encore, tous s’y sont mis. On compte, en effet, pas moins de 11 communiqués de presse sur les propos de Cécile Duflot entre le 5 et le 8 juin. Tout y est passé ou presque. Le 8 juin, par exemple, Camille Bedin, secrétaire nationale de l'UMP, lâche un sacré scoop : "Le gouvernement et les élus de gauche ont bien l’intention de faire évoluer la loi sur l’interdiction du cannabis dans notre pays, mais attention, il ne faut rien dire avant les élections législatives". Peu importe que cette mesure soit dans le programme de différents partis de gauche depuis des années et qu’elle ait été portée d’abord dans les primaires socialistes, puis dans le cadre de la présidentielle. Evidemment, l’UMP ne craint pas de caricaturer les positions, par exemple en faisant croire que François Hollande veut la dépénalisation du cannabis… alors qu’il dit le contraire. Le même jour, est monté au créneau Bruno Beschizza, secrétaire national de l'UMP. Extrait : "Il ne s’agit plus, aujourd’hui, de savoir si la gauche légalisera le cannabis, mais quand et comment la légalisation sera organisée. Les Français ont droit à la vérité sur un sujet particulièrement important pour l’avenir de notre pays et notamment de notre jeunesse". Le 7 juin, l’UMP ne croit pas les déclarations du Premier ministre Jean-Marc Ayrault. "Jean-Marc Ayrault croyait pouvoir à nouveau cacher aux Français les véritables projets de la gauche au sujet du cannabis en faisant croire qu’il n’y aurait pas d’évolutions de notre législation. Pourtant, Daniel Cohn-Bendit a confirmé (…) qu’il souhaitait que les écologistes déposent une proposition de loi pour la dépénalisation du cannabis souhaitant "sortir de l’ambigüité et de l’hypocrisie de la situation dans laquelle nous vivons", tonne Franck Riester, député de Seine-et-Marne et secrétaire national de l’UMP. Le député UMP a même tenu la liste des élus de gauche qui se sont prononcés pour une évolution de la législation ou une dépénalisation du cannabis (1). Il n’est pas utile de citer l’ensemble des communiqués de l’UMP parce que tous vont dans le même sens.
 
Des grosses ficelles… à faire peur
Et parfois avec une outrance évidente. "Dépénalisation du cannabis : Cécile Duflot, une ministre idéologue renoue avec l'inconscience pour la jeunesse", écrit Jonas Haddad, secrétaire national de l’UMP, le 5 juin. Très lyrique, il critique Cécile Duflot qui "semble vouloir proposer encore plus de paradis artificiels à la jeunesse (drogue, alcool, tabac) au lieu de s'occuper de ses problèmes réels comme le logement dont elle a la charge". Artillerie lourde aussi chez Bruno Beschizza, secrétaire national de l’UMP qui dénonce cette "responsable EELV (qui) a toujours prôné une idéologie laxiste et permissive sur l’usage des stupéfiants, et pourtant, elle a été choisie comme ministre du gouvernement Ayrault"…  C’est encore le registre de la nuance qu’a choisi l'ancienne garde des Sceaux, Rachida Dati. Elle s'est dite "profondément choquée" par les "déclarations irresponsables" de Cécile Duflot. "Une ministre de la République n'a pas à faire l'apologie d'une drogue. Le cannabis n'est pas un produit anodin. Les enjeux de santé et de sécurité liés à sa consommation et à son trafic sont trop graves (…) En dépénalisant le cannabis, on met en danger la santé notamment de nos jeunes. Mme Duflot n'ignore sans doute pas que de nombreuses études scientifiques ont montré que cette drogue cause des troubles du comportement chez les consommateurs et a souvent des conséquences irréversibles sur le cerveau", ajoute-t-elle. "Après François Rebsamen, c’est à Cécile Duflot d’être en tête de pont pour légaliser l’usage du cannabis. Cette proposition est dangereuse. En effet, tous les pays qui ont légalisé le cannabis, en reviennent. Augmentation de la délinquance dans les zones de consommation libre, décompensation psychotique avec entrée dans la schizophrénie, désocialisation et déscolarisation… Légaliser le cannabis est un laxisme qui n’est pas la bonne réponse. La bonne réponse consiste à proposer aux consommateurs et à leurs familles un soutien médical et social", explique Philippe Juvin, député européen UMP et secrétaire national chargé de la santé dans le parti de droite. Enfin, la palme du raccourci, mais c’est une seconde nature chez l’ancien ministre, revient à Xavier Bertrand : "Si la gauche l'emporte, il y aura légalisation du cannabis", croit-il savoir. Pas mal non plus, la sortie d’Henri Guaino, aujourd’hui député UMP : "C'est vraiment un désastre moral, cette idée de légaliser le cannabis, les drogues douces, comme si elles étaient douces, comme s'il n'y avait pas de rapport entre drogues douces et drogues dures ! (…) Mais comment va-t-on élever nos enfants, si on continue de cette façon ?"
 
Cannabis : le Parti radical de gauche souhaite la vente en pharmacie

Du côté des partenaires de gauche, on rappelle ses positions. Candidat à la Primaire socialiste, Jean-Michel Baylet, le président du Parti radical de gauche (PRG), s’était prononcé en faveur de la légalisation du cannabis. Le 8 juin, assez logiquement, il confirme cette position. "Ma proposition, c’est de le vendre en pharmacie", explique-t-il lors d’une interview sur RTL. "C’est contrôlé, c’est de la bonne qualité et c’est dosé de façon un peu moins forte". Pour Jean-Michel Baylet, trois raisons principales poussent à cette légalisation : détruire l’économie souterraine, régler les problèmes d’ordre public qu’engendre le trafic du cannabis, mais aussi résoudre les problèmes de santé publique. Une position claire, qu’il faudrait discuter. Mais manifestement, on n’en prend pas le chemin.
 
Le PS sidère… un peu
C’est assez troublant de voir comment le PS a réagi aux déclarations de Cécile Duflot. Troublant de voir que les seuls à réagir ont été ceux qui sont opposés à cette dépénalisation de l’usage. Pas un mot de Daniel Vaillant qui défend pourtant la même position, pas un mot de soutien non plus de François Rebsamen (il s’est juste contenter de dire que ce n’est pas le moment d’ouvrir le débat) ; lui qui avait dit à peu près la même chose à un meeting lors de la campagne présidentielle. Non, le PS a réagi sur le mode de la commisération paternaliste avec Claude Bartolone (aujourd’hui président de l’Assemblée Nationale). "C'est une erreur, une erreur de jeunesse gouvernementale", a-t-il ainsi expliqué sur France Info. Registre légaliste un peu pincé chez Najat Vallaud-Belkacem, ministre et porte-parole du gouvernement : "Les propos de Cécile Duflot en faveur de la dépénalisation du cannabis n'engagent qu'elle et le principe de solidarité gouvernementale s'appliquera à la ministre du Logement comme à ses collègues dès qu'elle ne sera plus chef de parti (…) Nous connaissons tous la position du président de la République (…) Il est opposé à la dépénalisation du cannabis" et cette position "est partagée par les membres du gouvernement". Bref, des positions très fermes qui n’incitent guère à ouvrir le débat.
 
Les jeunes Français fument de plus en plus
Et pourtant, ce débat, il faudrait bien l’ouvrir sur les drogues, la dépénalisation de l’usage et plus largement la loi de 70. Car l’actuelle politique conduite n’est pas couronnée de succès. La répression n’est, à l’évidence, pas la solution. En France, en 2011, 39 % des jeunes de 15-16 ans ont déjà fumé du cannabis au moins une fois dans leur vie. En 2007, ce chiffre était de 31 %. Ce chiffre place la France comme le pays d’Europe qui a connu la plus forte augmentation de la consommation dans cette tranche d’âges entre 2007 et 2011. A contrario, la consommation avait beaucoup baissé en France entre 2003 et 2007. Cette hausse (+24 % entre 2007 et 2011) a été constatée par l'enquête Espad (European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs) réalisée dans 36 pays européens. Une hausse qui vaut à la France de rejoindre les pays où l'expérimentation est la plus forte (République tchèque, Belgique, Italie). Par ailleurs, toujours selon la même étude, la France est le pays où l'on trouve le plus d'utilisateurs de cannabis à problème, avec la République tchèque : 9 % contre 4 à 6 % dans les autres pays testés. On peut voir, très logiquement, dans ces chiffres, une relative faillite de la politique des drogues telle qu’elle est conduite depuis des années par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT).
 
Le Réseau Français de Réduction des Risques cogne la MILDT
Ces chiffres, le Réseau Français de Réduction des Risques les a largement commentés et dénoncés. "Politique des drogues : la fin d'un monde", indique le Réseau Français de Réduction des Risques. Dans un communiqué du 1er juin, le Réseau commente les résultats de l’enquête Espad 2011 et cogne. "Etienne Apaire a quitté son poste de Président de la MILDT (…) il y a quelques jours. Sans faire de bruit. Nous aurions pu en rester là, ne regrettant en rien son départ vers le milieu judiciaire, qu'il n'aurait jamais dû quitter. Mais voilà, aujourd'hui sort une enquête qui discrédite les cinq ans de sa politique ultra-répressive vis à vis des drogues illicites. Selon l’enquête européenne Espad (…) la France est le cancre de l'union européenne. Non seulement sur le cannabis, LE cheval de bataille de la MILDT, où elle récupère la première place des plus gros consommateurs, mais par vase communicant pour l'alcool et le tabac. Cinq ans de refus de toute mesure nouvelle de réduction des risques, cinq ans de politique à contre courant des évidences internationales, cinq ans de mise à l'écart des experts et des scientifiques, cinq ans où l'incarcération des usagers n'a cessé d'augmenter, cinq ans de répression bornée, sourde et aveugle qui ont contribué à marginaliser les usagers de drogues, à faire augmenter de plus de 30 % le nombre d'overdoses mortelles et à laisser se développer dans l'indifférence générale une épidémie d'hépatite C qui fait des milliers de morts parmi les usagers de drogues... Cinq ans pour en arriver là !!!???... Faut il le répéter, le nombre de consommateurs de cannabis et autres substances ne dépend pas de la sévérité de la répression et de la pénalisation de l'usage. Par contre, cette même répression menace la santé, la sécurité et le bien être des consommateurs et de leurs proches". Fermez le ban !
 
François et Manuel : tendance dure
Régulièrement interpellé lors de la campagne, le président de la République a rappelé qu’il n’était pas question qu’il change de position sur la question de la dépénalisation du cannabis, à laquelle il est opposé. "C’est sur la base de mes propositions et de mon projet que mon gouvernement gouvernera", a déclaré François Hollande. "Il n’est pas question qu’il y ait d’autres positions que celles que j’ai présentées aux Français pendant la campagne présidentielle". Le message est clair, François Hollande n'a pas l'intention d'alléger la législation en vigueur. De son côté, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, s’affiche depuis longtemps comme un farouche opposant à la légalisation et la dépénalisation du cannabis. Interrogé sur le sujet lors du premier débat de la Primaire socialiste organisé par France 2 mi-septembre, Manuel Valls s'était dit "fermement opposé, au nom même des valeurs de gauche (...), à toute concession dans ce domaine". On ne voit pas bien le rapport avec les valeurs de gauche… mais il y en a sûrement un. Autre signe au sein du gouvernement, celui du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui est également intervenu dans le débat (7 juin) sur BFMTV et RMC. "Je pense qu’il n’y a pas de majorité, ni dans le pays, ni dans le futur Parlement, pour approuver cette orientation", a-t-il expliqué. Le ministre a également ajouté qu’"il n’est pas interdit d’en débattre".
 
Une grossière erreur
La grossière erreur n’est pas d’avoir pris la parole comme l’a fait Cécile Duflot en réaffirmant les engagements programmatiques de son parti, mais comme le fait le PS en fermant… déjà le débat. Il faudra bien que le PS explique en quoi la prohibition est une solution. Et d’autant plus lorsqu’elle est défendue avec certains arguments grotesques qu’on croyait réservés à la droite. Un exemple ? Celui d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, qui explique pour montrer son opposition à la dépénalisation : "Je n’ai pas envie que les enfants de France puissent acheter du cannabis dans les supermarchés". Voilà où nous en sommes. La prohibition a encore de beaux jours devant elle… sous la gauche. Comme le note Pierre-Yves Geoffrard, dans sa tribune dans "Libération" le 12 juin dernier : "Il est pris comme un acquis que l’interdit pénal entraîne une diminution des problèmes liés à ces produits". Un peu comme si la loi, en elle-même et par elle seule, pouvait modifier les comportements et si possible durablement. On voit bien l’impasse où cela conduit. On la voit tellement qu’on y est déjà. Il y a clairement de quoi s’inquiéter des conditions de l’évolution du débat sur les drogues et d’un changement de politique dans ce domaine. Pour le moment, on semble en rester au pénal qui s’oppose à la santé, à la répression qui s’opposerait à la prévention. A  l’évidence, sur les drogues, le changement… ce n’est pas maintenant.
 
(1) Cécile Duflot, Christiane Taubira, Michèle Delaunay, Martine Aubry, François Rebsamen, Noël Mamère, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Mélenchon, Eva Joly, Dominique Voynet, Annick Lepetit, Dominique Raimbourg, Geneviève Gaillard, Jacques Valax, Jean-Michel Clément, Gérard Bapt, Stéphane Gatignon, Jack Lang, Malek Boutih, Jean-Luc Benhamias, Yves Cochet, Alain Lipietz, Razzye Hammadi, Catherine Lemorton, Philippe Tourtelier, Julien Dray, etc.

Commentaires

Portrait de Ferdy

Même si François Hollande est opposé à la légalisation du cannabis, il devrait pourtant considérer le bilan désastreux de cette politique répressive totalement inadaptée. Son coût est important, elle mobilise inutilement les forces de l'ordre, monopolise en vain les tribunaux, entretient un marché souterrain souvent criminel, n'apporte aucune réponse thérapeutique, et entretient la confusion entre fumée douce et drogues dures (la consommation de coke est en pleine expansion), il est regrettable que l'opposition personnelle du nouveau président interdise même l'ouverture d'un débat au sein du Parlement, au prétexte fallacieux de protéger "notre jeunesse", cette continuité absurde de la répression fait le jeu de toute la mafia qui voit ainsi son marché préservé en toute impunité, évidemment, il aurait fallu un peu de courage pour faire évoluer la législation et c'est à son manque de courage que cette majorité finira par être jugée, fumons en paix, la transgression n'aura jamais été aussi douce, cette aberration je l'espère ne sera pas adoubée par une simple pétition aussi ridicule qu'inutile.
Portrait de kebra2009

En 1981 Mitterrand avait mis la dépénalisation dans ses promesses , mais c’était avant qu'il soit élu ... Pourtant ce serait un bon moyen de faire renter de l'argent dans les caisses de l’état !