Sida : Poitiers bat la campagne !

Publié par jfl-seronet le 11.02.2009
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campagne de communication
Pour la première fois en France, tous les élus d'un conseil municipal, les 53 élus de Poitiers dans la Vienne, ont accepté de participer à une campagne contre le sida et les discriminations. Un engagement fort qui devrait servir d'exemple ailleurs.
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A la sortie du grand magasin Printemps, on voit l'affiche avec Bernadette Vergnaud, conseillère municipale déléguée à la citoyenneté européenne. Sur la place d'Armes, devant la mairie, c'est celle d'Alain Claeys, le député-maire. Dans d'autres rues, ce sont celles avec les portraits des adjoints au maire, des conseillers délégués et des conseillers municipaux de la majorité et de l'opposition. On ne peut pas les rater, ces portraits sont dans toute la ville, accompagnés de la même question : "Auriez-vous voté pour moi si j'étais séropositif ?" et du même message : "C'est le sida qu'il faut exclure, pas les séropositifs". Et c'est une première ! En effet, c'est la première fois en France que l'ensemble d'un conseil municipal d'une grande ville (Poitiers compte plus de 91 000 d'habitants) se mobilise ainsi contre le sida et les discriminations en battant la campagne. Cette campagne, Si j'étais séropositif, a été lancée en 2006 par AIDES. Depuis, des personnalités artistiques, des politiques, des militants, des personnes touchées ou non, ont contribué à la faire vivre, en France comme à l'étranger. Des élus ont participé à cette campagne, toujours à titre individuel, jamais à une telle échelle.

"Le 1er décembre dernier, nous avions commencé, dans le cadre de nos actions pour cette journée, à faire une première vague de photos, explique Quentin Jacoux, coordinateur des délégations AIDES Vienne et Charente, notamment avec des élus locaux qui participaient à titre personnel à la campagne Si j'étais séropositif… Nous avons toujours eu de bonnes relations avec la mairie de Poitiers. De là, est venue l'idée de proposer à l'ensemble du conseil municipal de participer à cette campagne. Le maire a fait la proposition et l'intégralité du conseil municipal a donné son accord." "Moi, j'ai été photographié deux fois, explique Abderrazak Halloumi, conseil municipal délégué au handicap. Une fois à titre personnel et une seconde fois avec l'ensemble du conseil municipal. C'est une façon de m'engager dans la lutte contre les discriminations. C'est d'autant plus important qu'il y a, selon moi, comme une double sanction des personnes touchées, la maladie d'une part et les discriminations qu'elle suscite d'autre part. Je crois nécessaire de modifier le regard négatif que beaucoup portent sur les personnes séropositives et le VIH, un peu comme si la maladie était une juste punition. C'est un engagement très fort."  

Chef de file de l'opposition municipale UMP-Nouveau Centre, Stéphane Braconnier ne voit pas les choses différemment. "Cette cause reste d'actualité, explique l'élu local. C'est une cause dont on a parlé beaucoup à un moment, puis qui a disparu, alors que des piqûres de rappel sont pourtant nécessaires. Personnellement, cela m'a paru complètement naturel de participer à cette initiative. Au sein de notre groupe, nous n'avons pas eu à réfléchir, nous y sommes allés aussitôt. C'est très important que cet engagement soit le fait d'élus locaux. Il y a eu beaucoup d'initiatives et de campagnes nationales et bien peu de choses de la part des élus locaux alors même que nous sommes proches des gens. Les affiches sont mises en place depuis peu, mais on m'en a déjà parlé. Les gens sont intrigués par l'initiative. Cette forme de sensibilisation touche les gens différemment. Elle va sensibiliser à la question du sida par notre intermédiaire et à celle des discriminations, mais il va falloir aller au-delà."

"Effectivement, cette campagne doit trouver un prolongement concret, affirme Aurélien Tricot, adjoint aux sports. Elle peut être le point de départ de rencontres dans les quartiers. En participant à cette campagne, je me dis que des jeunes peuvent venir me voir pour me parler du VIH parce qu'ils m'auront vu sur une affiche. C'est vrai que c'est compliqué parce que cela touche à la vie privée, mais il faut imaginer des actions nouvelles. Ce qui motive ma participation à cette campagne, c'est de relancer la mobilisation. Le sida est aujourd'hui moins présent alors qu'il cause des ravages en Afrique dont je suis originaire. Chez nous, on baisse la garde. Notre mobilisation collective n'est pas à la hauteur."

Des fenêtres de la mairie, on voit sur la place d'Armes l'ensemble des portraits des élus municipaux. Tous ensemble, ils dessinent la forme d'un grand ruban rouge. Ils sont 53. 53 élus à s'être mobilisés. Beaucoup sont là dans la salle de réception de la mairie pour réaffirmer leur engagement dans cette campagne qui, selon le député-maire Alain Clayes, interroge "notre rapport à l'autre et à la discrimination". Dans le fond, si cette campagne sonne si juste, et prend dans l'opinion, c'est bien parce qu'elle pose à chacun une question forte : est-ce qu'un séropositif est quelqu'un comme tout le monde ?

Rien n'est moins sûr, si on en juge par les chiffres qu'Alain Clayes rappelle dans son discours : "Six personnes sur dix sont victimes de discriminations du fait de leur séropositivité dans leur vie professionnelle, mais aussi dans leur quotidien. Deux personnes sur trois dissimulent leur séropositivité de peur d’être discriminées." "Au-delà du message de soutien aux malades et de l’appel à la générosité que nous avons voulu collectivement porter, il s’agit pour les élus de Poitiers de dénoncer toutes les formes de discriminations et en premier lieu celle qui plonge dans la solitude 70 % des séropositifs, rappelle Alain Clayes. Alors au premier regard ? Au premier mot ? Personne ne sait vraiment où commence la discrimination. Tout le monde sait en revanche où elle finit. Nourrie à l’ignorance et à la peur, elle a toujours enfanté, au cours des siècles, les pires moments de notre histoire (…) C’est pour cette raison, c’est en faveur de ce combat de tous les instants que les 53 élus de Poitiers, dans leur diversité, se sont unis pour cette campagne."

"Il ne faudrait vraiment pas sous estimer l'impact de votre initiative, lui répond Bruno Spire, président de AIDES. C'est un engagement rare qui mérité d'être remarqué." "Si depuis 1983, il y a eu des progrès thérapeutiques, des progrès dans la prévention, il y a hélas un domaine où rien n'a avancé : c'est celui du regard que porte la population sur cette maladie." Un regard qui conduit à la "honte". Une honte qui empêche beaucoup de personnes concernées d'en parler. "Cela nous bloque depuis des années, dénonce Bruno Spire. C'est pourquoi votre engagement est important par son parole d'exemplarité. Comme président de AIDES, comme personne vivant avec le VIH, je suis très touché de ce geste, ce geste de solidarité et d'éducation pour la population." Adjointe à l'action sociale et à la santé, Régine Laprie est, elle aussi, fière d'avoir participé à cette campagne. L'affiche avec son portrait, elle est dans son quartier, en face de chez elle. "Je suis fière de montrer à mes petites filles que je m'engage et que je me sens concernée par ce qui se passe dans la société aujourd'hui. Une façon aussi de dire aux personnes qui votent pour nous que nous nous engageons collectivement. J'attends de cette campagne qu'elle libère la parole,  et qu'elle permette qu'on ne mette plus les gens à l'écart."

Crédit photo :  Jacques Lavignotte