AYMERIC L'OCCITAN

Publié par JIPETTE le 14.07.2012
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Bôgosse au charme ravageur, il fait office de garde chasse. Il crèche dans une cabane de pêcheur en roseau au bord de l’étang de Salses. Dans ces lagunes submergées de sagnes les locaux se servent de cette lande, cuivrée en automne, pour construire des cabanots au bord des lagunes. De formes arrondies, pour résister à l'herculéen vent du Nord, ce matériau est un parfait isolant, de plus, très résistant.

D’ailleurs, ici, tout le monde résiste : hommes, bêtes, nature. Génétiquement parlant tombe mécaniquement un “Non” catégorique. Le Midi est le front du refus à tout et à rien. Plusieurs saisons peuvent s'égrener, le sagne est maître incontesté des lieux. Aymeric a tapissé l'intérieur d'argile barbouillé à la chaux. Une vieillerie de tamaris tourmenté et noueux, étendu au sol, trône sur l'aile gauche. A droite une vigne vierge envahit tout un pan de mur. Ancres et chaînes rouillées sont tapies comme des couleuvres et lézardent au soleil.  Aymeric a cloisonné en tiers la cabane. Dans le premier il range méticuleusement son matériel de braconnage, et quelques outils. Les deux autres tiers sont réservés à son usage domestique. 

Pas une âme qui ne puisse survivre à des kilomètres à la ronde dans ce paìs désertique. Aux firmaments du matin, terre blanchie par le sel, seules vivotent quelques touffes de salicorne parsemées de-ci de-là. Très pauvre, très mal payé, très mal logé mais très heureux. Solitude partagée avec son Esméralda : Sofia et le petit Paquito. Il a extrait sa douce de l'Espagne Franquiste à la barbe de la Guardia Civil dûment arrosée de quelques centaines de pesetas. La probité n'est pas le propre de ces malpropres de Franquistes à la Guardia attifée de deux grosses oreilles sur leurs chapeaux. Mais ces sinistres Mickey font plus pleurer que rire. Chapeau gris de moustiques, ce gaillard à une trentaine d'années, sec et boucané, marié à une grassouillette dinde gitane, souriante de niaiserie. Au pied des  peupliers blancs,  au bord d'une roubine, il tend son trémail,  le bruit précipite les garennes affolés dans les poches du filet.

Cette tendre chair parfumée au thym et au romarin améliore l'ordinaire fait de pain gris et de jambon rance. Il élève le furet pour la chasse : argent de poche pour le gris de sa bouffarde. Le gros rouge, qui tâche, est gratuitement fourni par un ramonet du domaine de Ricardelle auquel, en période de vendanges il sert de caviste. L’hiver, il organise des chasses au colvert pour les fortunés de la région. Musaraignes, campagnols, vol lourd des foulques, poule d'eau, hérons garzette, nuage rose des flamants égaient le quotidien de l'espiègle Paco. Les poules d'eau une fois pelées, sinon gare au goût de poiscaille, font d'honorables civets.

Le soleil couchant ouvre des plaies sanguinolentes, blesse l'étang d’un sang luciférien. Fin de journée grise et caniculaire entre chien et loup. Une bouffée tiède monte de l'étang, envahit d'un dense brouillard londonien au loin le phare de La Franqui prend discrètement congé.

Un banc de pierre sous le grand tamaris noueux couché par le vent, torturé, domestiqué et  rampant sur le sable tel un esclave soumis aux forces supérieures sert de reposoir en fin de journée.