Bavardage démocratique

Publié par Ferdy le 03.05.2011
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Gilles Deleuze, citant Platon, s'étonnait lors d'un cours donné à Vincennes dans les années 70, que chacun puisse avoir son avis sur l'existence de Dieu, alors que nous demeurons plus prudents, plus circonspects dès lors que la discussion porte sur un sujet technique à propos duquel nous n'avons aucune connaissance particulière (Deleuze prenait l'exemple de la cordonnerie). Une prudence naturelle nous impose le silence à l'égard de ce que nous ignorons, l'exemple de la fabrication d'une chaussure pouvant être étendu à tout ce qui sort du champ de nos compétences, mais par une sorte de grâce assez téméraire, les langues se délient sitôt qu'il s'agit de données abstraites, c'est-à-dire en l'absence de toute vérité irréfutable. Notre intime conviction prospère sur le substrat de l'invérifiable.

Je pensais en cet instant à la responsabilité d'un juré de cour d'assises. Comment, par quelle évidence, se forge une conviction ? quelles influences viennent accréditer notre propre jugement de faits que nous sommes invités à débattre, en l'absence de toute preuve ou de tout aveu ?

Le troisième procès Colonna, dans l'affaire de l'assassinat du préfet Erignac s'est ouvert hier. Plus de 150 témoins, experts en tout genre, sont cités à comparaître. L'homme nie les faits depuis toujours, et il ne m'appartient pas de me prononcer sur cette affaire. La veuve du préfet quant à elle, est convaincue de sa culpabilité. 

La réforme judiciaire annoncée visant à ouvrir le champ correctionnel à une proportion de jurés populaires, tirés au hasard sur les listes électorales, promet de rapprocher le citoyen du justiciable. La polémique fait rage au sein de la magistrature, cette mesure fort coûteuse est-elle de nature à garantir une sentence plus avisée, plus juste ou au contraire plus sévère que celle prononcée par des professionnels de la justice ? enfin, au nom de quoi l'amateur serait-il plus apte à s'emparer d'affaires souvent complexes pour déterminer la relaxe ou estimer, en son âme et conscience, de la peine encourue ? au-delà de l'aspect démagogique sous-jacent, le pouvoir exécutif laisse planer une suspicion à l'égard de ces magistrats dont la fonction essentielle consiste à prononcer, au nom de la justice, l'établissement de la vérité. Si celle-ci se trouve ainsi diluée parmi des citoyens dont ce n'est pas le métier, et qui auront reçu une formation juridique accélérée (24 heures environ), il sera bientôt plus facile de juger un innocent ou un coupable, au nom de la Loi, que de se présenter à l'épreuve du permis de conduire...

Je ne sais plus quel groupuscule avançait récemment, non sans une certaine provocation, l'idée de désigner, dans cette continuité de l'aléatoire, la composition du Sénat à ce même tirage au sort. Considérant que la Chambre haute, comme l'Assemblée, ne représentent en rien la société civile telle que nous la connaissons. L'élite parlementaire se trouvant tellement éloignée du peuple de base (une sur-représentation des professions libérales et d'industriels, de cadres supérieurs, d'énarques ou de polytechniciens de toute obédience, etc.), rien ne viendrait s'opposer à ce que mon épicière de quartier, le chauffeur de bus ou le chômeur de longue durée puisse exprimer et défendre lors d'une législature son point de vue au sein de l'hémicycle. J'ignore si ce système démocratique serait plus pertinent que celui que nous connaissons actuellement.

Pourtant, j'aurais tendance à croire que l'épicière de mon quartier possède une solide expérience du vécu, certainement plus en phase avec la réalité que nombre de dinosaures qui fréquentent assidûment la buvette du palais du Luxembourg.

Commentaires

Portrait de badiane

en aurait certainement coupé ses ongles, face à cet écran de fumée où la "législation démocratique" écoute de moins en moins  le peuple et le laisse souvent dans un dénuement que les associations doivent régler ou les assistantes sociales et également où les travailleurs sociaux sont souvent démunis,

j'ai une amie qui est bénévole à la croix rouge parfois ils laissent une famille à un abri bus car ils n'ont pas de solution à proposer, 

les lois se contredisent trop souvent, on en appelle à la jurisprudence, il nous faut être avertit, jongler avec les contradictions, on applique des "pansements sociaux" qui ne soignent pas sur la longue durée, l'avenir est incertain pour la plupart, quant aux élites, bien souvent si ils maîtrisent une certaine culture ou capacité, ils leur manquent l'intelligence de vie et de regard, pas tous pourris mais ceux qui veulent lutter contre le système ont intérêt à être pugnace. badiane

Portrait de romainparis

justice républicaine. Si la justice d'Etat n'est pas impartiale, elle n'est pas.

Thémis l'impartiale :