ça faisait longtemps

Publié par Ferdy le 11.05.2011
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Ma mère. Huit ans que je n'ai plus vu cette femme hautaine, rigide, toujours impeccablement maquillée. Elle a bien aussi un mari, mon père, pleutre, lâche, servile. Ils auront tous deux, respectivement, 79 et 80 ans à la fin de l'année. C'est terrible d'admettre que je ne souffre pas de leur absence. Mais, presque chaque jour j'éprouve un sentiment complexe. Il y aura un moment où quelqu'un m'appellera pour m'annoncer la disparition de l'un ou de l'autre. Il serait tout de même assez étonnant qu'ils décident d'en finir tous les deux le même jour. Même à leur âge. 

Je me pose des questions futiles. Si je dois assister aux funérailles, serais-je obligé de pleurer ? pourquoi faire ? ma mère n'a jamais manifesté un seul sentiment, il serait absurde voire même assez vulgaire d'afficher une peine factice. Mon père, c'est différent, je crois que c'est lui qui partira le premier, parce que c'est comme ça. Lui non plus n'a jamais manifesté aucun sentiment, il est possible que s'il me croisait par hasard dans la rue, il ne me reconnaîtrait pas. 

En souvenir, j'ai de ma mère plusieurs images. La première, c'est celle d'une femme toujours impeccablement coiffée, maquillée, habillée et qui sentait la crème hydratante lorsque j'allais lui souhaiter la bonne nuit. Je l'accompagnais chez son tailleur, nous commandions des bouquets de fleurs, nous échangions des bouquins. Le reste du temps, dès que j'en fus capable, je me droguais. Le père sillonnait la planète dans la visite d'usines qu'il dirigeait de loin. A la première occasion, on me foutait dans des avions. Toute une partie de l'enfance, je l'ai passée avec ce signalement en plastique autour du cou et une hôtesse à mes côtés. Deuxième image de ma mère, son horreur de la campagne, de la terre, des insectes. Bien qu'ayant vécu entre Paris et une maison de campagne dans son enfance, elle détestait le charme champêtre, marcher dans la luzerne, observer la Lune ou les toiles d'araignées. Le père quant à lui n'avait jamais eu de préférences bien spécifiques. Il suivait son épouse comme un caniche.

Il faut me résoudre à leur disparition. C'est terrible et en même temps, ce n'est rien. Depuis 23 ans, je suis capable de croire que je partirai avant eux. Mais même cela paraît foutu. Alors que j'avais prévu pour moi une liste d'invités impressionnante et de la belle musique pour mes obsèques. Ils résistent les vieux. Ils iront peut-être se faire incinérer en Suisse, le moment venu. J'imagine un appel de mon frère, Yverdon-les-Bains, il y a ce joli lac de Neuchâtel, on pourrait y répandre leurs cendres. Mon expérience du cinéma m'a appris les fausses larmes, soit on pulvérise légèrement un produit destiné à faire pleurer, soit on dépose sur la joue, juste en-dessous de l'oeil, un filet brillant qui peut être valable pour plusieurs prises. Pleurer sur commande réclame un talent que je n'ai pas. 

C'est pénible car j'y pense presque chaque jour. Quel costume adopter ? un noir ? une chemise blanche avec une cravate bariolée ? devrai-je présenter au survivant mes sincères condoléances, lui tenir la main, l'embrasser, l'enlacer ? 

S'y soustraire serait pire encore. Déjà que je suis plutôt assez mal vu dans le clan familial, mon absence serait désastreuse. Et si le protocole m'autorisait à une simple visite de courtoisie, un vague lancé de fleurs dans le lac, quelques mots de circonstance, (quelle perte !), puis un TGV retour en gare de Lausanne, un sandwich-club au saumon et un échantillon de vin de Bordeaux, la lecture de Charlie-Hebdo pour me distraire. 

Je me demande s'il n'aurait pas été préférable que je parte avant eux, ça nous aurait épargné tout ce cirque.

Commentaires

Portrait de badiane

y aller ou pas, j'en suis au même point pour la mienne, je ressens un rejet tardif à son sujet, elle n'a rien à voir avec la tienne, elle  est une femme rurale qui a vécu dans le déni et m'a étouffée, je ne lui ai jamais pardonné certaines choses, manipulations, lâchetés, détournement de regard, pourtant il faudra bien grandir et cette mère a eu une vie bien difficile, à la mort de mon père qui plus jeune était brutale verbalement et physiquement , il s'était remis en question sur sa fin de vie, faut dire que ses six enfants ont exprimé chacun à leur façon un mal de vivre, pour lui, j'y serais allée à genoux ,si il avait fallu et à ce moment là, j'étais hospitalisée, comme toi, je  pense que c'est de l'hypocrisie quand nous ressentons rien de positif pour la personne hormis de la pitié, une question de protocole, néanmoins, je me demande si je ne ressentirais totalement rien devant l' irrévocable et cette démarche je dois la faire, revoir la famille en entier me soulève le coeur, je me suis affranchie d eu depuis 22 ans et je ne leur dois rien, ça n'est certainement pas pour eux que j irais seulement par conscience de faire ce chemin symbolique et physique de la voir réellement morte, peut être je pleurerai malgré tout mais pas trop quand même, enfin, si je pouvais être bien malade ce jour là ou en papouasie, ça m'arrangerait. Et le père Freud dans tout ça! bien à toi badiane
Portrait de joris

... dans vos histoire et je pense que beaucoup de gens doivent se sentir concernés.

Pour ma part j'ai repri contact avec la mienne au bout d'environ 15 ans. celà fait a peu prés un an que je lui parle au telephone chaque semaine, enfin disons que c'est elle qui me parle, elle est tellement bavarde! Disons que je ne fais que l'appeller et elle dit le reste. mais elle est tellement loin de mon univers, et moi du sien. alors ce ne sont que bavardage sans grande importance, des mots que l'on se dit pour faire comme si...

j'irais sans doute à ses funerailles si je ne part pas avant elle, mais comme ca, pour la forme. il y aura d'autre personnes bien plus triste que moi.

Mon père (que je ne considère pas comme mon père) que j'ai volontairement banni de ma vie, devra se passer de ma présence ce jour là, ou plutôt je m'abstiendrais de me déplacer pour lui. Et le pire c'est que je n'éprouverais aucune peine! ca j'en suis persuadé!

Portrait de Ferdy

très sincèrement, car il m'arrive de poster des canulars ou des histoires à dormir debout, lorsque j'ai écrit ça la nuit dernière, je ne faisais qu'exprimer un doute, quelque chose que je croyais intime, déplacé, dérangeant, ingrat (tout ce bazar d'une dette, parce qu'ils nous ont donné la vie, et tout le baratin qui va autour),

je m'aperçois que, loin d'être seul dans ce questionnement nous pouvons être un certain nombre à l'éprouver, soit en raison de la maladie, de l'orientation sexuelle comme il est dit parfois pudiquement, ou d'un choix de vie qui ne correspond pas à celui qui avait été tracé par les géniteurs... c'est d'amour dont il est question ici, et si Freud a pu faire avancer un peu la perception de cet océan encore très mal connu, rien ne paraît couler de source, aucune légitimité ne viendra affirmer ni infirmer ce pénible sentiment filial.

Je vais prendre un exemple qui se trouve assez loin de mon propos. En fait, il est l'un des plus beaux que je connaisse. Il y a une vingtaine d'années, j'ai vécu avec un mec employé de la RATP, comme son père, comme sa mère avant lui. Son existence paraissait condamnée aux tunnels. Sa famille feignait d'ignorer son homosexualité, même s'il vivait chez moi et que nous nous rencontrions parfois, tous ensemble. Lorsque nous nous sommes quittés (il fallait bien qu'il y ait rupture), il s'est mis à faire des conneries, il a chopé le VIH et a décliné en quelques mois. Cette famille aussi éloignée, apparemment, de cette problématique l'a soutenu avec une ferveur indéfectible jusqu'à sa mort. Dans un même élan, elle avait accepté qu'il fût gay, séropo puis malade. 

Tout ceci pour dire que cette aptitude à aimer n'a rien d'un privilège de classe, j'en sais quelque chose. Je suis bien naïf pour avoir cru que le prolétariat ne parviendrait pas à digérer des phénomènes plus acceptables dans la bourgeoisie. Ce constat sera d'abord celui de mon ignorance bornée, je suis né avec ce handicap.

Portrait de Zzorg

Les vrais souffrances sont muettes, et les larmes, véritable expression de la douleur pour certains, ne se commandent pas. Certains pleurent aux obsèques, même d'une personne avec qui le lien était ténu, mince comme un filet d'huile d'olive sur une salade de tomates. D'autres sont surpris d'être ravagés de larmes lorsqu'est venu le moment d'un dernier au revoir. Nous ne pouvons qu'être nous-même, nos intentions comptent plus que nos actes. A l'évocation de ces instants extrêmes de condensation de sentiments contradictoires, essayons peut-être de ne pas extrapoler, de vivre ces moments au jour le jour, à l'heure près, à la minute même. A ce prix peut-être sommes nous nous-mêmes ? Je n'apporte pas de réponse, et encore moins de conseils, je jette juste quelques mots, et te dire aussi qu'au delà d'être nos parents, nous avons à faire  à des individus, avec leurs faiblesses, leurs forces, leurs erreurs. Quelles que soient la tournure que prendront les évènements, je sais grâce à tes mots un peu de toi, et ce jardin que tu cultives, je souhaite que personne ne le piétine, afin qu'y règne la paix.

T'embrasse.

Zzorg