Mon job, je l'aimais bien, c'était pas trop exigeant, j'arrivais dans la matinée, je consultais la presse, le distributeur de boissons chaudes se trouvait pas loin de mon bureau, les fenêtres donnaient sur la mer, je n'ai jamais très bien su quel poste j'occupais dans cette entreprise anonyme, ni ce qu'on était supposé y faire, la plupart du temps nous étions en réunion, je crois savoir que le boss se plaisait à nous voir ainsi réunis, mais de là à participer à ces discussions interminables, il ne faut pas exagérer, le directeur financier monopolisait la parole sans poésie, sans talent, je prenais des notes sur mon portable et consultais mes mails, chaque jour, je changeais de chemise et de cravate, on me complimentait à propos de mes costumes, l'élégance était une priorité dans la boîte, parfois le téléphone sonnait dans mon bureau, c'était le plus souvent des amis ou une erreur de numéro, parfois nous rencontrions des clients, on parlait de choses et d'autres, puis il était l'heure de rentrer chez moi, un peu fatigué par le vin de bordeaux et les cognac, le vendredi je donnais mes notes de frais à la compta, ce jour-là, comme c'était l'usage, je ne portais pas de cravate et n'étais pas rasé, d'après ce que j'en avais déduit, après six mois d'enquête, notre entreprise était spécialisée dans le conseil, c'est tout ce que j'ai pu saisir de son activité, des industriels nous soumettaient des problèmes qu'ils pensaient rencontrer sur leur marché et nous étions supposés leur faire des recommandations, lesquelles ? mystère, à part la carte des vins ou les plats du jour, la couleur d'une cravate, mes compétences n'allaient jamais au-delà, c'était quand même plus marrant que de rester seul chez moi à rien foutre, mes collaborateurs étaient sympas, il y en avait même quelques uns d'assez mignons, j'avais une assistante adepte de la manucure et de la relaxation, elle me faisait parfois un petit massage de la nuque avec des huiles essentielles ;
l'autre jour, le DRH m'a convoqué dans son bureau, il était embarrassé, ça se voyait, il m'a dit :
- sans remettre en cause vos compétences, notre société est contrainte d'entreprendre un vaste plan social avant de se repositionner sur un marché où vos talents, hélas, ne sauraient être pleinement exploités, votre licenciement prendra effet à la fin du mois, nous vous autorisons à ne pas effectuer la période de préavis ;
aussi, que vais-je faire maintenant ? je m'étais fait des copains, ce job organisait un peu mon existence, je me levais avant midi et j'aimais bien le mobilier que j'avais choisi pour mon bureau avec sa bibliothèque acajou, ses deux canapés en cuir noir, la vue sur la mer, les restaurants à proximité ;
la dame de pôle emploi a eu un mal fou à me faire entrer dans une case sur son ordi, elle m'a dit que je devais me préparer à une longue période de chômage et en profiter pour suivre une formation, je lui ai répondu que je réfléchirai à cette proposition à mon retour de vacances, vers la mi-juin, car je me suis inscrit dans un ashram près de Bombay pour un stage d'initiation à la méditation transcendentale, suivi d'une longue randonnée à cheval en Mongolie.
(je lui ai laissé mon numéro de portable)
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Commentaires
Ouf !
Retour à la réalité!
Merci pour ton témoignage Ferdy ! Cette situation malheureusement tend à se généraliser. Il est temps de réaliser que le terme "collaborateur" est impropre. Je préfère le terme salarié, employé, ouvrier (celui qui oeuvre contre salaire). Nous vendons notre force de travail physique ou intellectuelle. Croire que patron et ouvrier, salarié iront main dans la main vers un avenir radieux est une erreur de la pensée, une bêtise largement répandue hélas !
Quand le capitaine a décidé de faire du bénéfice, il débarque ses gentils "collaborateurs", quand il n'abandonne pas le navire échoué volontairement sur un banc de sable. J'ai vu là du grand mépris où l'on ne s'attarde plus sur la couleur d'une cravate, et d'autre se pendre avec.
Ne vous y trompez pas, nous allons vers un monde de brutalité et de barbarie dans le monde du travail. Parisot la patronne du medef, disait dans un bouquin : "l'amour, la santé, sont précaires, pourquoi le travail ne le serait-il pas ?".
Excellents arguments puisqu'aujourd'hui on peut tirer sur l'ambulance et mettre bas les dispositifs sociaux arrachés par la lutte de nos anciens travailleurs !
des lecteurs assidus
des sourires sur des visages à la lecture, un espèce de sentiment de complicité partagée,
est-ce que ça compte ?
sinon nous pouvons imaginer aussi
un thermomètre général d'ambiance (remontez!!! ça caille ces derniers temps !!)
un aspirateur à mauvaises odeurs , un régulateur de too much ?
com dit romain je ne suis pas folle vous savez ;-)
juste terriblement concernée, consternée par cette vague de démissions quand notre entreprise périclite de trop de sensibilités exacerbées...
bien à vous toujours,
ma pudeur légendaire
m'impose le silence !
(j'accepte quand même l'aspirateur-robot, filigrane), quant au reste je pense en avoir assez dit.)
bien à vous, Ferdy.
De mauvais augure, le piaf !
Nous allons vers ??? Ah bon ! il me semblait qu'on était en plein dedans, enfin je dis ça par rapport à ce que je vis, avec un fort sentiment d'une urgence (pour ceux aux manettes) à se débarasser par tous les moyens des malades du sida qui décidément coûtent beaucoup trop cher à la Sécu *** Un propos a été modéré ***
possible erreur d'aiguillage
Spare1, nous ne pouvons enregistrer votre post, veuillez rappeler ultérieurement, amicalement, F.