Et la santé?

Publié par rickhunter le 19.09.2009
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"Et la santé?"

C'est ce que l'on demandait couramment quand on rencontrait un voisin, un copain. Un peu tombé en désuétude aujourd'hui. On n'imagine pas qu'un quadra ou même quinqua a des problèmes de santé ou sans doute que l'on préfère n'en rien savoir. Chaque mauvaise nouvelle apprise dans la journée est un petit poids à rajouter dans son sac à dos et qui veut d'un poids supplémentaire?

Mais il y a ceux qui sont faits pour tout entendre, tout porter, tout supporter, de par leur situation familiale ou leur métier.

J'étais l'un de ceux là : infirmiers, instituteurs, assistantes sociales, boniches et autres psychiatres de centres médicaux. Chaque jour, des gens qui gagnaient plusieurs fois mon salaire et en parfaite santé physique venaient se plaindre de leurs petits bobos de l'âme, du corps, du mari insensible, de la petite qui mangeait moins, de l'école à choisir avec soin...

Un jour, après que mes supérieurs et délégués syndicaux ( pourtant homos ou de gauche ou séropos ou les trois cumulés, si, si...) aient commencé à moins apprécier ma façon de travailler, mon non-conformisme, mon mépris des valeurs bobos, après qu'ils aient commencé à me pousser gentiment vers une mission moins en vue et me retirer les boulots gratifiants, je m'en suis remis aux décisions du grand patron dans sa tour d'ivoire, lui qui savait tout et comprenait tout des angoisses du métier. Il me fit promesses et serments de m'envoyer où l'on saurait m'apprécier.

Puis plus rien! Promesses oubliées, autres priorités. Le choix entre me soumettre où me soumettre.

J'ai claqué la porte et consulté avant de bousiller quelqu'un ; mais cette fois ci, ce ne serait pas moi qui subirait ma propre colère.

Je n'étais pas seul, j'avais un ami, un vrai, qui comprend tout.

J'avais un médecin qui me connaissait depuis vingt cinq ans.

J'avais un psychiatre, un vrai missionnaire de centre social à dix balles qui fait de l'urgence ou du solide.

Congé maladie, renouvelé. Le patron ne bouge pas.

Trois mois sans travailler et un médecin expert qui veut me renvoyer aux lions.

Je demande une contre-expertise avec un expert hiv (il n'y en a pas dans mon boulot!) et découvre dans mon dossier médical demandé à l'hôpital que je ne suis pas juste un séropo perdu dans la multitude comme quelques collègues, copains, amis : j'ai officiellement le sida depuis des années, à cause de trois petits boutons roses de kaposi sur mon corps (magnifique, merci) enlevés au laser en cinq minutes. Un kaposi quand on est sous traitement, c'est exceptionnel ! Je suis donc exceptionnel et j'ai le sida.

Plus question qu'on me regarde d'un oeil condescendant : "il est déprimé! il a craqué!".

Quelques coups de fils, le mot Sida qui fait mouche à chaque fois. Vite, on me passe un autre service, vite on rééxamine mon cas, vite une prolongation, vite un changement de statut...

Depuis 2008, je suis donc "en congé longue durée " mais, ouf pour mon employeur "sans lien avec le service".

Je suisbien moins stressé avec mon petit sida que je ne l'étais à réparer les conneries de mon directeur, à répondre à ses coups de fils angoissés à vingt deux heures, à subir ses tripotages "de bon copain" ou écouter ses histoires de minets ou ses douleurs musculaires.

Plus de déléguée syndicale qui segarde les boulots pépères et dirige la maison en sous main.

Plus de patron dont il faut écouter les discours patelins et la solidarité affectée alors qu'il cherche justement à se lancer gentiment en politique pour une gauche bien pensante et nantie qui ne révolutionnera jamais rien.

Plus de "clients" qui me situent entre la jeune fille au pair et la bonniche payée au black dans leur échelle de valeur et considèrent que le service public, c'est Fauchon en gratuit.

Plus de haine quand un médicament m'a fatigué, ou qu'un chien a jappé toute la nuit, ou qu'une nouvelle loi me vole encore quelques libertés ou que mes concitoyens ont encore voté pour le plus pourri et qu'il faut quand même retourner au turf le matin.

La paie a beaucoup diminué mais les impôts un peu aussi.

Je peux enfin quitter la ville pendant des semaines et voir le changement des saisons sur une année entière, passer trois jours à glander quand le Norvir fout la gerbe, bosser sans urgence et admirer le résultat ou relativiser toutes ces corvées passées qui étaient si urgentes et dont personne ne se souvient le lendemain.