L'image n'a plus rien à cacher

Ce billet n'aura rien d'un scoop, il s'agirait plutôt d'un lieu commun ou d'un constat tardif : la place souveraine de la capture d'images dans des champs aussi variés que l'information, la recherche médicale, les enquêtes policières et son corollaire sécuritaire, jusqu'à la banale vidéo familiale ou festive mise en ligne, tout peut être saisi à chaque instant, et il n'y a ici qu'un pas entre pouvoir et devoir.

En zappant hier soir sur différents JT, je fus saisi par les exemples qui enchaînaient des témoignages, passant indifféremment de la découverte à la pure illustration de circonstance. 

L'innovation majeure relevait d'une prouesse médicale, d'origine israélienne, qui consiste en une sorte de gélule munie d'une caméra et d'un système d'éclairage qui, une fois ingérée, parcourt le système digestif, sans la pénibilité invasive d'une coloscopie, pour visualiser le côlon en haute définition. La bande démo était particulièrement convaincante, le seul bémol étant la préparation préalable de cet examen, qui requiert du patient l'absorption de cinq litres de liquide afin de permettre la locomotion de l'engin dans le système digestif.

Presque sans transition, le BEA nous plongeait à - 4.000 m sous l'océan Atlantique, pour nous faire découvrir quelques débris du vol Air France, Rio-Paris, disparu depuis près de deux ans. Là encore des images d'une qualité exceptionnelle sur lesquelles il était facile de reconnaître un train d'atterrissage endommagé et certains éléments du fuselage. Le commentaire précisait qu'un certain nombre de corps se trouvaient encore présents en cabine. Ces images nous seraient épargnées.

Puis, grâce aux caméras de vidéo-surveillance présentes dans une gare RER de la banlieue parisienne, la police était parvenue à identifier et arrêter les auteurs présumés, deux jours seulement après les faits ayant conduit un jeune homme qui n'était pas de leur cité à recevoir des coups d'une telle violence que celui-ci se trouvait hier encore entre la vie et la mort. Plans de coupe sur les couloirs du RER et la façade de l'hôpital Bichat.

Fukushima comme si vous y étiez, une caméra installée sur une grue, laissait entrevoir le carnage au sein du réacteur nucléaire n°2 où aucun homme ne se risquerait aux radiations.

Plus léger enfin, sur la BBC, Virgin présentait le prototype de son gadget spatial qui se propose d'envoyer prochainement quelques touristes fortunés à une centaine de km d'altitude au-dessus de la Terre. Doté de très larges hublots à partir desquels ils auront tout loisir de filmer un périple aussi vain que grotesque.

Saint Thomas, (surnommé Didyme), l'apôtre qui doutait de la résurrection de Jésus tant qu'il ne l'aurait pas vu, par lui-même, n'aurait sans doute pas renié cette époque où le texte, l'analyse, la réflexion se trouvent annexés par un tout image, constant et en temps réel, qui n'autorise aucun recul.

Il serait temps d'inscrire au programme des élèves, dès le plus jeune âge, en même temps que l'apprentissage de l'écriture et du calcul, une initiation à la lecture, à l'interprétation et à la hiérarchisation des images qui se bousculent, pour le meilleur comme pour le pire, dans une inaccessible satiété.