MARQUISE (Corneille / Tristan Bernard)

Publié par Cmoi le 03.11.2017
9 507 lectures

"Tu verras quand t'auras mon âge !", j'ai tellement entendu cette réplique dans ma jeunesse, que je réprime l'envie de prononcer à mon tour, cette phrase absurde et superflue. Certains ont composé des vers pour dire la même chose. En l'occurrence Corneille, faisant vainement la cour à Marquise-Thérèse de Gorla, qui lui répond par l'intermédiaire de la plume de Tristan Bernard. 


Petites notes historiques : Marquise n'en est donc pas une. C'est le prénom (courant à l'époque) de Mademoiselle Du Parc, comédienne dans la troupe de Molière. Le poème de Corneille, "Stances à Marquise" n'est pas complet, il n'y a ici que les trois premières strophes. Quant à la réponse de Marquise à Corneille, elle a été imaginée par Tristan Bernard quelques deux cent cinquante ans plus tard. Le tout à été mis en musique par Georges Brassens. À noter également (c'est mon côté musicien), que les vers de Corneille sont composés de sept syllabes, alors que ceux de la réponse imaginée par Tristan Bernard en comptent huit. 


MARQUISE (Corneille / Tristan Bernard) 


Marquise, si mon visage 

A quelques traits un peu vieux, 

Souvenez-vous qu'à mon âge 

Vous ne vaudrez guère mieux. 



Le temps aux plus belles choses 

Se plaît à faire un affront :

Et saura faner vos roses 

Comme il a ridé mon front. 



Le même cours des planètes 

Règle nos jours et nos nuits :

On m'a vu ce que vous êtes ;

Vous serez ce que je suis. 



"Peut-être que je serai vieille, 

Répond Marquise, cependant 

J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, 

Et je t'emmerde en attendant." 

Commentaires

Portrait de Kitsune

Il me souvient d'une algarade avec une jeune bécasse que je ne connaissais nullement, une nuit dans une discothèque : elle m'avait craché au visage un "Tu es un has-been" qu'elle croyait être mortel. Je lui avais immédiatement rétorqué qu'"au moins, moi, j'avais été" et qu'"il n'était pas sûr qu'elle puisse en dire autant un jour".

Elle était restée bien silencieuse...avant de tourner les talons : oui, il faut toujours un temps avec certain-e-s pour que l'information arrive à bon port.

(j'ai toujours eu en réserve une bonne dose de venin à l'attention des imbéciles persuadé-e-s que le monde leur appartient)

Portrait de Cmoi

Qui dans la suite de son poème argumente très bien les bénéfices de l'âge, même si la fin est assez prétentieuse. En effet comme il l'avait prédit, ses talents littéraires traversent les siècles, alors que la beauté de Marquise fut éphémère. 


Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.
Vous en avez qu'on adore ;
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.
Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.
Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.
Pensez-y belle Marquise,
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise
Quand il est fait comme moi.